Cela devient une habitude, l’action en faveur des personnes handicapées a subi de nouveau un important retour en arrière. Après la suppression en 2014-2015 de l’accessibilité à tout pour tous, puis celle de l’accessibilité universelle du logement en 2019, ce sont les droits des résidents étrangers qui sont passés à la moulinette par la majorité de droite du Sénat. Saisis en première lecture du énième projet de loi réprimant le séjour en France de personnes provenant de pays extérieurs à l’Union Européenne, ces sénateurs s’en sont donnés à coeur joie : ils ont, entre autres, supprimé l’Aide Médicale d’État accordée aux étrangers sans titre de séjour, et les prestations familiales et sociales pour tous pendant leurs cinq premières années de résidence sur le territoire national. Cela concerne la prestation d’accueil du jeune enfant, les allocations familiales, le complément familial, l’allocation de logement, l’allocation de soutien familial, l’allocation de rentrée scolaire, l’allocation forfaitaire versée en cas de décès d’un enfant, l’allocation journalière de présence parentale, le droit opposable au logement, l’Allocation Personnalisée d’Autonomie, la Prestation de Compensation du Handicap et l’Allocation d’Éducation de l’Enfant Handicapé. Cet amendement a même été cosigné par Philippe Bas, ministre chargé des personnes handicapées en 2005-2007. Résultat : des travailleurs en règle, qui cotisent normalement à la Sécurité Sociale et au 1% logement, paient impôts et taxes, seront privés de ces droits, eux et leurs familles.

Une fois de plus, les étrangers sont victimes d’un acharnement de politiciens qui veulent gagner au jeu du plus xénophobe, renvoyant l’extrême-droite à de gentils Bisounours. Le catalogue des suppressions ou restrictions élaborées par ces sénateurs est impressionnant : ils n’ont pas hésité à s’attaquer aux plus vulnérables, enfants, personnes handicapées ou âgées dépendantes en multipliant de 10 à 20 fois la durée de séjour pour accéder aux prestations familiales et sociales conçues pour eux. Acharnement auquel le ministre de l’Intérieur ne s’est pas opposé, lui qui vient de cette même droite, lors du vote de l’amendement instaurant un délai de 5 ans pour accéder aux prestations : il a préféré s’en remettre à la « sagesse » du Sénat. Voilà qui est de mauvais augure en prévision de l’examen, dans quelques semaines, par l’Assemblée Nationale du pays auto-proclamé des Droits humains, de cette réforme ultra-répressive de l’immigration.

Plusieurs associations de personnes handicapées ont rapidement réagi. « Le Collectif Handicaps s’oppose ouvertement à la suppression de l’Aide Médicale d’État (AME), remplacée par une aide médicale d’urgence aux paniers de soins remboursables bien plus restreint [et à] l’allongement à cinq années (au lieu de trois mois) de la durée de résidence nécessaire pour bénéficier de la prestation de compensation du handicap (PCH). Ces deux mesures sont parfaitement discriminatoires, honteuses et contre-productives. » Il omet toutefois de s’opposer au recul similaire du bénéfice de l’APA et de l’AEEH, ainsi que des autres prestations sociales. Pour sa part la Fédération APAJH s’inquiète de la suppression de la régularisation des travailleurs sans papiers alors que dans le secteur médico-social « des milliers d’emplois ne sont pas pourvus, faute de candidatures, dégradant ainsi la qualité des accompagnements. » Elle alerte également sur « les graves conséquences représentées par l’abandon de l’Aide Médicale d’État […] Tout individu malade présent sur le territoire doit être soigné sans distinction », et s’inquiète de « l’allongement du délai de résidence en France pour bénéficier de prestations comme la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) ou l’Allocation Pour l’Autonomie (APA) de 3 mois à 5 ans ». Là encore, on ne peut que relever des lacunes dans cette indignation. Aucun communiqué de l’APF France Handicap, ni sur son fil X (ex-Twitter) ; c’est sur Plaidoyer APF France handicap qu’on trouve une réaction là encore lacunaire. Quant à l’Unapei, l’une des plus grosses associations en faveur des personnes handicapées, elle répond « C’est un sujet collectif, nous n’avons pas d’avis individuel nous concernant. »

Côté politique, le sénateur Philippe Mouiller, qui intervient pour Les Républicains sur les sujets handicaps, ne soutient pas totalement l’amendement de son groupe : « Cet amendement rentre dans une démarche globale portée par le texte au sujet des prestations familiales et sociales, qui peuvent motiver l’arrivée en France de certaines personnes. Toutefois je n’ai pas tout à fait le même avis ; ce qui me préoccupe ce sont les personnes qui ont un accident de la vie ou subissent une perte d’autonomie, et là je me raccroche à la notion d’urgence. J’étais d’ailleurs monté au créneau pour faire sortir du texte de l’amendement les prestations destinées aux personnes handicapées. » Pour sa part, le député Sébastien Peytavie (écoutez l’intégralité de son interview) ne mâche pas ses mots : « Je suis en colère, dégoûté, de ce qui a été fait de ce texte au Sénat, dans une logique purement électoraliste, pour faire la course aux idées les plus abjectes de la droite. Sur les questions humaines, des digues viennent de sauter, on le voit avec l’AME ; humainement, c’est un non-sens, pour la santé publique c’est un non-sens, sur les questions financières c’est un non-sens, et c’est exactement la même chose pour le handicap. Ne pas répondre aux besoins des personnes va les laisser plus longtemps dans les difficultés, peut aggraver des situations. » Il espère avec ses collègues « remettre de la dignité là-dedans » lors de l’examen du texte à l’Assemblée Nationale, mais redoute le compromis final en Commission Mixte Paritaire : « Dans cette politique, la question de la préférence nationale vient prendre le relais sur toutes les autres situations, sur l’état de santé, le handicap. »

On saura dans les prochaines semaines si une majorité de députés suit ce mouvement de répression des étrangers handicapés. Mais ce qui doit être remarqué, c’est qu’ils sont traités à égalité des étrangers valides : un nouveau pas vers une société inclusive, en arrière toute cette fois…

Laurent Lejard, novembre 2023.

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