Même ceux qui ne l’ont jamais regardé connaissent Plus belle la vie, ce feuilleton télé diffusé depuis 11 ans sur France 3, et dont l’action se déroule à Marseille, seconde ville de France mais également la plus inaccessible. Certes, sa situation sur sept collines ne facilite guère les choses, mais c’est au délaissement des politiciens qui dirigent la cité phocéenne depuis des décennies que les Marseillais handicapés doivent la plupart des obstacles qu’ils rencontrent au quotidien, les autres résultant de cet égoïsme incivique qui est paraît-il l’apanage de certaines peuplades méditerranéennes, symbolisé notamment par le stationnement anarchique ou les ordures épandues sur la voirie. Cela va changer, c’est sûr, grâce aux mini-films Plus belle la vie ensemble voulus par le Gouvernement, financés par l’argent public à hauteur de 1,5 million d’euros et diffusés sur la télévision d’Etat, pour montrer que oui, les bipèdes valides peuvent cohabiter harmonieusement à Marseille avec les handis en tous genres…

Voyez plutôt : premier mini-film de cette campagne, un aveugle attend qu’un feu sonore passe au vert, puis empoigne le coude d’un ado trop occupé sur son smartphone pour le faire traverser, message édifiant de l’aveugle qui guide le voyant désinvolte. Or, Marseille compte 134 traversées piétonnes équipées de feux sonores sur quelques milliers qui ne le sont pas. Un autre film se passe au célébrissime bar du Mistral (totalement inaccessible avec son seuil précédé de la bordure élevée d’un étroit trottoir), lieu idéal pour gloser sur l’accessibilité ! Roland, le truculent patron, n’a visiblement pas compris la leçon reçue hier par son confrère du Cours Julien dont le seuil d’entrée de son bistro dissuade les livreurs avec leur diable, et certains clients. Le Roland, on le retrouve d’ailleurs un peu plus tard dans le tramway, seul mode de transport accessible dans la ville…

Dans Plus belle la vie ensemble, on parle portes à ouverture automatique, bipolarité et beauté dans un salon d’esthétique inaccessible, audiodescription à la télé, langue des signes dans l’inaccessible bar du Mistral, et autisme à l’école devant ce même estaminet : avec de telles prises de conscience, on se demande comment Marseille peut maintenir quasiment 100% de lignes de bus inaccessibles ainsi que la totalité du métro, son Schéma Directeur d’Accessibilité des transports étant demeuré un chiffon de papier. Faut-il rappeler que l’Hôtel de Ville est hors d’atteinte des personnes à mobilité réduite, lesquelles ne peuvent donc accéder au bureau du Maire ? Hormis quelques artères à touristes, la voirie est en pitoyable état, de nombreux abaissés de trottoirs potentiellement dangereux, il est ardu et périlleux de se déplacer en fauteuil roulant ou déambulateur, de nombreux édifices publics sont inatteignables.

Mais Plus belle la vie ensemble, conçue avec le Service d’Information du Gouvernement (et lancée par le Premier ministre en personne le 4 septembre dernier en présence de Marisol Touraine et Ségolène Neuville lors d’une conférence de presse qui fleurait bon sa propagande) va changer l’image de Marseille, et même de la France ! Elle vise à montrer que tout le monde doit s’impliquer dans l’accessibilité, faire des efforts d’acceptation de l’autre, réaliser des aménagements universels… Sauf que cette politique rêvée est presque à l’inverse de la réalité de celle de l’actuel Gouvernement qui a réduit par ordonnance l’obligation d’accessibilité aux seuls grands établissements recevant du public (exit les commerces, cafés, restaurants, médecins, etc.), aux logements en rez-de-chaussée, à quelques points d’arrêts qualifiés de « prioritaires » dans les services de transport.

Plus belle la vie ensemble n’est au final qu’une fiction télévisuelle de plus, transformant la réalité, une opération supplémentaire de propagande qui ne fera pas illusion mais dont l’argent consommé aurait pu financer quelques aménagements bien plus utiles, à Marseille par exemple…

Laurent Lejard, septembre 2015.

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