Ce qui s’est produit au Sénat dans la semaine du 9 avril s’inscrit dans la parfaite continuité de la destruction de l’accessibilité de la chaine du déplacement engagée par le Gouvernement depuis l’ordonnance du 26 septembre 2014 réformant l’accessibilité. La Haute Assemblée a en effet examiné le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron du nom du ministre de l’Economie et des finances. Ce dernier a présenté et fait adopter un amendement qui exclut les nouveaux « services librement organisés de transport » du champ des Schémas Directeurs d’Accessibilité (SDA) et des Agendas d’Accessibilité Programmée (Ad’Ap). L’obligation d’accessibilité des transports reposant exclusivement sur ces SDA et Ad’Ap, les lignes créées dans ce cadre échapperont à la réglementation en la matière. La lecture du projet de loi témoignait déjà de la volonté gouvernementale d’inciter à la création, par des sociétés privées, de nouvelles lignes de transport dans le cadre de la libéralisation voulue par la Commission Européenne qui impose des obligations légales et réglementaires réduites au minimum au nom du dogme de libre concurrence qui favorise le secteur privé au détriment du public.

Comme il subsistait un risque légal, le Gouvernement français a joué la sécurité en décidant de sortir explicitement les nouvelles lignes de l’obligation d’accessibilité. A ce jour, tous les services de transport terrestre de passagers sont organisés par une autorité : commune, intercommunalité, chambre de commerce, département, région, Etat. La législation relative à l’accessibilité des transports est mise en oeuvre par ces Autorités Organisatrices (AO) de transport. Or, les services librement organisés ne seront pas placés sous l’égide de ces AO, ce qui fait qu’ils échapperont de facto à la réglementation française en matière d’accessibilité. En revanche, la législation européenne sur les véhicules s’applique, de même que le règlement européen concernant les droits des passagers dans le transport par autobus et autocar pour les parcours de plus de 250 kilomètres.

Devant les sénateurs, le ministre de l’Economie et des finances a justifié son amendement par le fait que le code des transports et l’ordonnance relative aux gares routières « permettent d’ores et déjà au Gouvernement d’assurer l’accessibilité des autocars et des points d’arrêts routiers. » Or ce n’est pas le cas : la plupart des points d’arrêt ne permettent pas d’embarquer un voyageur en fauteuil roulant, et plus des trois-quarts des autocars en circulation ne peuvent en accueillir. Ce que reconnaît d’ailleurs le ministre : « Nous laissons aux lignes le temps de s’adapter. Certaines lignes sont aujourd’hui en conformité, d’autres peut-être pas. » Un propos que le sénateur écologiste Jean Desessard a compris ainsi : « Il existe de nouvelles lignes et il ne faut pas perdre de temps : on verra donc plus tard pour les contraintes d’accessibilité des personnes handicapées. De vos propos, monsieur le ministre, j’ai cru comprendre qu’il fallait d’abord envisager l’installation des lignes et leur expérimentation, l’actualisation de l’obligation d’accessibilité des personnes en situation de handicap étant pour plus tard. » Si Emmanuel Macron a démenti cette intention, c’est pourtant bien ce que veut le Gouvernement.

Au profit que qui ? La première demande de création de « services librement organisés de transport » émanait dès le lendemain de la présentation du projet de loi Macron, le 10 décembre 2014, du groupe privé à capitaux publics Transdev, filiale de la Caisse des Dépôts, la banque de l’Etat. La SNCF et sa filiale Keolis, la RATP via sa filiale RATP Développement sont dans les starting-blocks pour déployer de nouvelles liaisons à réglementation réduite et rentabilité optimisée : quand on sait qu’un emplacement fauteuil roulant occupe quatre places assises dans un autocar, on comprend mieux que des opérateurs veuillent s’en passer… Pour cela, ils font durer les véhicules acquis avant mai 2007, date à partir de laquelle s’appliquait pleinement en France l’obligation d’accessibilité des autocars telle que définie par la Directive Européenne bus et cars de 2001. L’exposé des motifs de l’amendement soutenu par Emmanuel Macron précise à cet égard qu’un décret prévoira « une période transitoire pour ceux qui seraient déjà en service, la même démarche étant retenue pour les points d’arrêt créés de ceux qui sont d’ores et déjà existants. » L’accessibilité de ces points d’arrêts est régie par l’ordonnance du 26 septembre 2014 qui réduit l’obligation à ceux qui sont considérés comme prioritaires par les Autorités Organisatrices de transport : gageons que les opérateurs des nouvelles lignes sauront en tirer profit.

Face à cette nouvelle entaille dans ce « vivre ensemble » tant revendiqué par un gouvernement qui le piétine pourtant dans ses actes, les réactions de dirigeants d’associations nationales de personnes handicapées sont plutôt disparates. « Si le ministre veut dire qu’il faut attendre le renouvellement d’un certain nombre de matériels existants, c’est logique, commente le président de l’Association Nationale Pour l’Intégration des personnes Handicapées Moteurs (Anpihm), Vincent Assante […] Si en revanche il veut dire ce que l’on croit comprendre dans sa première intervention que les lignes privées ne relèvent pas de l’obligation d’accessibilité, ce qu’il dément dans sa réponse, c’est évidemment autre chose ! » Le président de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA) Philippe Chazal ne l’entend pas ainsi : « Je trouve que c’est absolument scandaleux, il n’y a aucune raison ! Soit on veut l’accessibilité universelle, soit on ne la veut pas. Qu’on donne un délai, oui, mais qu’on exclue les services privés comme cela, je ne suis pas d’accord. » Le président de la Fédération des Associations Pour Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH), Jean-Louis Garcia partage la même réaction, en plus laconique : « L’APAJH n’est pas d’accord. » C’est bien la première fois depuis 2012 que cette Fédération désapprouve un texte gouvernemental, mais une surprise ne vient jamais seule : « Pour nous, c’est plutôt positif, réagit le Conseiller national accessibilité et conception universelles de l’Association des paralysés de France, Nicolas Mérille. Comme il s’agit de nouveaux services, ils doivent être accessibles. » C’est probablement la première fois depuis 2012 que l’APF approuve un texte gouvernemental sur l’accessibilité. Avant de « révolutionner » les transports interurbains, les « services librement organisés » ont déjà mis des associations nationales de personnes handicapées sens dessus-dessous…

Laurent Lejard, avril 2015.

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