Bien que d’un impact marginal sur des pratiques ancrées dans les usages et les moeurs, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) est suffisamment perturbatrice en cette époque conservatrice pour avoir suscité plusieurs tentatives de musellement. Après la mise en cause de son premier président, Louis Schweitzer, pour mauvaise gestion et rémunération fastueuse (accusations qui ont rapidement sombré face à la réalité des faits et des responsabilités), la majorité gouvernementale au Parlement a imposé l’an dernier à la Halde un rabotage budgétaire. Une nouvelle étape dans la vie de cette autorité administrative indépendante est engagée au Parlement, qui va examiner cet hiver le projet de loi l’intégrant au futur Défenseur des Droits. Ce dernier, créé par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, doit rassembler les actuels domaines de compétences et d’interventions du Médiateur de la République, du Défenseur des Enfants, de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité et de la Halde. En clair, ces quatre autorités administratives indépendantes sont condamnées à fusionner au sein d’une seule.

C’est dans ce contexte funèbre que vient d’être annoncé le nom du successeur de celle qui présida la Halde après le départ en avril dernier de Louis Schweitzer, Jeannette Bougrab. Le troisième et ultime président sera Éric Molinié, myopathe quinquagénaire, président durant deux ans de l’Association Française contre les Myopathies (AFM). Détrôné par la comptable Laurence Tiennot-Herment, le cadre supérieur Éric Molinié a préféré investir d’autres associations; il avait pourtant dès ses 30 ans, et durant 10 ans, été trésorier de l’AFM, cumulant même la fonction de Directeur Général de 1999 jusqu’à son accession à la présidence en juin 2001. A l’époque, il travaillait en famille, son frère Arnaud Molinié assurant le mandat de Trésorier adjoint tout en mettant à la disposition de l’AFM ses compétences de Directeur Adjoint de la Communication du groupe Lagardère, une entreprise qu’il a quittée en juillet dernier.

Déçu de l’AFM, Éric Molinié aura pu se consoler au sein d’Electricité de France, dont il est le conseiller handicap, au Conseil Economique et Social jusqu’au début 2010, comme président de l’enseigne de services à la personne Handéo et vice-président de l’Association des Paralysés de France : « Mon parcours se caractérise par une fertilisation croisée entre mes engagements professionnels et mon engagement personnel dans la lutte pour les droits de l’homme et contre les discriminations », déclarait-il poétiquement le 8 décembre dernier lors de son audition par la Commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée Nationale.

Il envisage de poursuivre cette « fertilisation croisée » à la tête d’une Halde en déshérence : « 7.788 réclamations enregistrées en 2008 – sans compter 30.000 appels téléphoniques -, 5.412 ont été rejetées et 704 seulement ont fait l’objet d’un traitement effectif », rappelait le député UMP Christian Vanneste, farouche opposant à l’existence de la Halde. « De ce fait, poursuivait-il, le coût de traitement de chaque dossier par cette autorité est supérieur à celui du médiateur de la République : 145 euros dans ce dernier cas, contre 1.900 euros s’agissant de la Halde ».

Face à la critique, le programme d’Éric Molinié est simple, voire simpliste : « Si j’ai l’honneur d’être nommé à l’issue de ces auditions, je fixerai à notre institution une feuille de route claire et pragmatique […] il est temps de trier [les réclamations] selon leur importance, en distinguant les dossiers susceptibles d’avoir une valeur emblématique de ceux dont l’intérêt est plus anecdotique ». Ce qui revient, en quelque sorte, à discriminer les plaintes pour discrimination… « Dans le cadre de notre mission de promotion de l’égalité, poursuivait Éric Molinié, je compte également programmer des rencontres avec des partenaires, au premier rang desquels les entreprises, afin de favoriser la mutualisation des bonnes pratiques. On pourrait par ailleurs proposer aux juristes de la Halde, qui viennent souvent du monde associatif, des stages d’immersion en entreprise pour leur permettre de se familiariser avec les réalités de la vie économique ».

Outre que cela fait belle-lurette que la diffusion des « bonnes pratiques » est devenue un amuse-bébé, les juristes de la Halde sont donc invités à plus de pragmatisme en matière de discrimination dans l’emploi générées par des entreprises qui vivent « les réalités de la vie économique ». D’ailleurs, Éric Molinié écarte letesting, « cette approche a été peu comprise et mal perçue par les entreprises, et il doit être clair que cela ne figurera pas au nombre des premières actions que je mènerai ». Il accepte l’idée du député Vanneste de diluer le comité consultatif de la Halde « dans cet esprit de fertilisation croisée que je prône, je ne verrais que des avantages à ce que d’autres acteurs, de l’entreprise ou du logement, rejoignent les représentants des associations militantes au sein de cet organe ».

Voilà un programme tout rond, tout lisse, sans aspérité, écrit pour un monde de Bisounours, porté par un président surtout prêt à ne pas faire de vagues pour ne pas risquer de se noyer… 

Laurent Lejard, décembre 2010.


Le compte-rendu de l’audition d’Eric Molinié par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République est publié sur le site de l’Assemblée Nationale.

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