Le 25 janvier 2007, le pape Benoît XVI a prononcé une homélie où il est question de faire entendre les sourds et parler les muets. Dans son introduction, il s’interroge : « Etre sourd-muet, c’est-à-dire ne pouvoir ni entendre ni parler, ne peut-il pas en effet être un signe de manque de communion et un symptôme de division ? » Et il affirme : « La division et l’incommunicabilité, conséquence du péché, sont contraires au dessein de Dieu ». Ne s’agit-il pas d’une allégorie, tant il vrai qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ? Faut-il que nous soyons d’une sourde susceptibilité pour chercher des poux dans les oreilles du pape ! Sans doute, mais cette homélie manque de nuance et risque d’être prise au pied de la lettre par des personnes qui n’ont eu accès ni à l’éducation, ni à la culture dont, précisément, les personnes nées sourdes qui ont souvent des difficultés à maîtriser la langue verbale de leur pays.

Selon le Pape, ne pouvoir ni entendre ni parler serait un manque de communion et un symptôme de division, lesquels sont la conséquence du péché. Ainsi, les sourds seraient punis d’avoir péché ! Y compris les nés-sourds ? Quelles horreurs ont-ils bien pu commettre dans le ventre de leur mère ? Est-ce ainsi, en les stigmatisant, que l’on favorisera l’intégration sociale des personnes dites handicapées ? La société civile tente d’améliorer leur sort via des recommandations européennes qui doivent influencer la politique de tous les pays membres et la France vient de promulguer une nouvelle loi en 2005 (critiquable, certes, mais qui a le mérite d’exister). En revanche, la société religieuse semble ignorer ce mouvement de fond et s’en tenir à une doctrine ancienne. L’accessibilité du cadre de vie, n’est ce pas également celle des lieux de cultes et des religions ? Chacun est-il vraiment libre d’adopter la religion de son choix sans être a priori rejeté en raison d’une vieille croyance qui attribue la déficience à un pêché, à une punition divine, même parmi les fervents chrétiens, qui y croient encore dans nos pays développés ? Qui ignore encore les principes de la génétique ? Ainsi la seule religion offerte aux sourds serait de ne pas en avoir ! Fort bien, si cela résulte d’un choix personnel et non d’une exclusion.

Cette homélie nous rappelle que l’église catholique porte une lourde responsabilité dans les idées fausses et dévalorisantes que la culture occidentale s’est forgée sur les handicaps en général et la surdité en particulier. Selon la doctrine catholique, la parole est d’essence divine et ceux qui ne peuvent ni l’entendre ni la pratiquer ne seraient pas des personnes mais des sortes d’animaux à figure humaine. Ainsi, durant des siècles, des millions de gens, dont le seul tort était d’être nés sourds, furent exclus de la société et privés de leurs droits les plus élémentaires (dont ceux de se confesser, de se marier, d’hériter…). Dans quelques siècles (il faut le temps de bien y réfléchir et d’en décider sans précipitation !) les sourds, comme d’autres, obtiendront-ils de chrétiennes excuses pour cette désolante confusion ?

Pourtant, à une époque où l’éducation était leur affaire, des hommes d’église ont su se montrer ouverts et novateurs. Ils ont compris et démontré qu’il n’était pas nécessaire de les faire ni entendre ni parler pour communiquer avec les sourds et les éduquer. Pourtant, dès les environs de l’an 1.000, des confréries religieuses, celles qui font voeux de silence, les Cisterciens notamment, inventèrent une langue des signes monastique, différente par son vocabulaire, mais semblable, en son principe, à celle des sourds. Il est donc possible de communiquer sans entendre ni parler et la doctrine catholique n’est pas un obstacle insurmontable…

Soyons donc chrétiens et charitables et considérons qu’il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard, ni trois oreilles à un pape, mais rêvons d’un nouveau miracle : que Jésus revienne sur terre, passe dire bonjour au Vatican et fasse signer Benoît XVI ! Nous lui fournirons un interprète en langue des signes pour sa prochaine homélie.


Marc Renard, président de l’association de personnes sourdes 2-AS.

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