La décision, rendue en juillet dernier par le Tribunal de grande instance de Reims, qui indemnise la fratrie d’une fillette trisomique car « le temps consacré [par la mère à sa fille] l’est au détriment de ses deux frères », lesquels ont été « témoins de la souffrance de leurs parents » vient seulement d’être divulguée. Elle démontre toute la conviction et le courage qui ont inspiré ce jugement irresponsable, mercantile et discriminatoire. Désormais, l’amour aussi aura un prix sonnant et trébuchant !

Et naître handicapé sera, plus que jamais, une faute grave, une opprobre. Bafouant ainsi l’esprit de la loi du 11 février 2005, que nous, personnes en situation de grande dépendance, avons voulu avec force. Non seulement, ce jugement est un déni de vie et de droit à la différence mais aussi une déshumanisation obscurantiste. Quand dédommagera-t-on le préjudice subi par cette fillette à cause de ce jugement ? En effet, il ne pourra pas la laisser indifférente, même si, probablement, parce que trisomique, elle est censée être trop idiote pour ne pas susciter de mauvaise conscience autour d’elle. Et qu’adviendra-t-il du lien affectif et familial qui ne peut qu’être rompu après une telle démarche ?

Nous refusons cette « américanisation » de la frustration, de la culpabilité, de la perfection et du refus de l’erreur, donc du droit absolu et irresponsable à la réparation systématique. Ou alors il va falloir se résigner à rembourser tout et n’importe quoi. Dans cette hypothèse, nous ne sommes pas prêts de voir la fin du tunnel car les manques d’amour se ramassent à la pelle toute l’année…

Un handicap, à quelques exceptions près, n’est pas que souffrances et déconvenues. Il est également une expérience de vie spécifique et unique pour l’intéressé(e) et son entourage, un amour authentique, aussi différent soit-il, ainsi qu’une découverte humaine et une joie fondamentale. À condition de le voir, de le vouloir… et d’avoir une place humaine dans notre société. Il suffit de le demander à celles et ceux qui le vivent au jour le jour. Quand un tel jugement n’est que le reflet d’un rejet de la possibilité de différences, d’un manque d’amour et d’humanité. Manque de bon sens également.

Nous refusons que la situation de handicap puisse être considérée comme une tare : elle doit simplement être compensée de manière adéquate, selon les besoins et aspirations de chacun. Telle est notre démarche, dans la dignité. Le jugement de Reims, tel un outrage à notre existence même, va à son encontre.


Marcel Nuss, Président de la Coordination Handicap et Autonomie, octobre 2005.

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