Ma nomination de collaborateur de Madame Marie-Thérèse Boisseau, le 1er octobre 2003, dans le cadre du dispositif « grande dépendance », avait suscité alors espoirs, craintes et circonspection. Non sans raison, j’en étais conscient. Mais, tout en connaissant dès le départ toutes les restrictions inhérentes à cette mission, j’ai accepté la proposition de la Ministre. Ainsi, je savais que mes frais de mission ne seraient pas assumés par un ministère qui n’en avait pas les moyens et que mon salaire serait congru. Cependant, j’ai accepté cette mission parce que je connaissais les énormes difficultés qui existaient sur le terrain. Des problèmes, je tiens à le dire, que l’on n’ignorait pas et auxquels personne au ministère n’était insensible, d’où ma nomination.

Mon travail aura permis, en moins de quatre mois, de régler une trentaine de situations délicates ou très critiques. Ne serait- ce que pour cette trentaine de personnes que j’aurai réussi à soulager, je suis heureux de m’être engagé dans cette mission. Néanmoins, après trois mois de travail intense et intensif, notamment avec les DDASS [Direction départementale de l’action sanitaire et sociale], je me suis retrouvé en quasi chômage technique. Situation regrettable. D’autant que, d’une part, il y aurait un travail important à entreprendre dans les départements (mais malheureusement je ne suis pas en mesure de le mener à bien par manque de moyens) et, d’autre part, plusieurs faits m’ont conforté dans le sentiment que d’aucuns ne tenaient pas vraiment à ce que j’accomplisse pleinement ma mission. Ce que je regrette. Mais qui ne m’étonne pas.

Par parenthèse, je n’ai pas manqué de faire part, à plusieurs reprises à mon employeur de mes questionnements et de mon intention de démissionner, dès janvier. À cette « paralysie » professionnelle, s’est ajouté le fait que je n’ai jamais pu travailler dans le domaine de la communication, ainsi que c’était prévu dans la lettre de mission. Je suis resté très dubitatif sur le fait que, sous prétexte de manque de moyens, résidant en Alsace, je n’ai pas participé à Paris à la clôture de l’Année Européenne des Personnes Handicapées quand les moyens avaient été trouvés pour prendre en charge les déplacements d’autres invités.

Voilà pourquoi, après mûre réflexion, j’ai préféré donner ma démission afin d’être utile et disponible sur le terrain, plutôt que de perdre mon temps et mon énergie à être ligoté par un poste dont l’intérêt a perdu tout son sens à mes yeux. Je me bats pour la réalisation d’un chantier aux priorités illisibles, non pour être payé à ne plus rien faire (ou si peu que c’est dérisoire) alors qu’il y a tant de besoins et de souffrances autour de moi. Je me bats pour ne plus entendre de mère pleurer de désespoir et d’épuisement, parce que l’A.E.S [Allocation d’éducation spéciale] n’est pas adaptée et insuffisante dans les situations les plus lourdes. Je me bats pour qu’il n’y ait plus de disparités entre départements, comme c’est à craindre avec la décentralisation prévue pour l’année prochaine, en voyant la mauvaise volonté que mettent déjà bon nombre de Conseils Généraux à s’investir dans le dispositif « grande dépendance », entre autres. Dans ma position, lorsqu’on sait la cause que je défends et l’éthique qui la nourrit, il était intenable de continuer à m’accrocher à un poste qui n’avait plus d’autre utilité que de me ligoter dans un droit de réserve et la perspective dénuée de sens d’attendre la fin de ma mission.

Aujourd’hui, les personnes handicapées ne peuvent qu’être inquiètes pour leur avenir face aux discours incohérents et contradictoires qui leur parviennent de toutes parts. Ainsi, que penser lorsqu’on entend certains membres du cabinet de Madame Boisseau prôner, il y a peu, le retour à l’institutionnalisation des enfants lourdement handicapés ? Ou qu’on entend dire que la grande dépendance, celle nécessitant une prise en charge 24h/24, ne sera assumée qu’à hauteur de 18 heures effectives par jour ? Pendant que, dans le même temps, on parle d’incompréhension ou d’erreur pour justifier ces prises de position. Comment pourrait-il en être autrement ? Rien n’est clair, rien n’est écrit.

Pour moi, une page est tournée mais mon engagement n’est pas terminé. Il ne le sera que le jour où l’égalisation des chances, l’autonomie, le libre choix, l’insertion professionnelle et scolaire, l’accessibilité et le changement des mentalités, des regards portés sur l’autre, sur le différent, seront une réalité tangible et concrète.

Marcel Nuss, février 2004.

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