Violaine fait partie d’une fratrie de six enfants, tous adoptés, avec la particularité d’être trisomique. « Bébé numéro 5 », lui aussi porteur d’une trisomie, n’est pas né vivant, ses parents Cécile et Bruno n’étaient pas prêts à assumer un enfant différent, leur projet de vie était d’avoir une famille nombreuse composée d’enfants « standard » et ils ne voulaient pas entamer leur confort familial, même s’ils doivent vivre avec le poids de cet enfant mort parce que « c’est un choix totalement inhumain ». « Bébé X » vit peut-être aujourd’hui dans une famille, s’il a été adopté; ses parents, anonymes, ont balancé durant un mois entre acceptation et remise à l’adoption: « J’ai compris que cette mission héroïque était trop lourde », confie le père, qui vit, depuis, un fort sentiment de culpabilité que la pratique intensive du sport ne peut évacuer. Anne et Bertrand ont assumé, même si « ce n’était pas facile à encaisser », et cela a donné un autre sens à leur vie, ils consacrent davantage de temps à leurs enfants, sans trop se poser de questions, en vivant au présent: « On s’émerveille de chaque progrès de Mathias [trisomique] et ça donne une dimension fantastique, une richesse à la vie ». Véronique et Bernard ont adopté Jairaj, alors âgé de deux ans, que sa famille indienne, pourtant d’un niveau social aisé, avait abandonné parce qu’il avait un spina bifida; « C’est un magnifique enfant qui ne nous donne que du bonheur, proclame sa mère. Les belles vies sont celles où l’on ose, quand on calcule tout, on se prive de bien des choses ! ».

Cinq parcours très différent qui aident à comprendre l’impact du handicap sur les familles, l’ensemble ponctué par la réflexion de trois professionnels. Si le pédopsychiatre et maternologue Jean-Marie Delassus apparaît un peu comme un « monstre froid », décidant de la limite à partir de laquelle une vie vaut d’être vécue, systématisant la déception face à l’enfant handicapé, le philosophe Christian Godin nous conduit à nous interroger sur ce qu’est la norme : une moyenne statistique dans laquelle les individus se reconnaissent, ou un idéal vers lequel on doit tendre ? Pour lui, l’importance de l’écart qui en résulte engendre l’exclusion. « Les enfants trisomiques sont des miroirs, estime la mère de Violaine, en contrepoint du philosophe. Ils nous montrent en très gros ce que nous sommes tous, à un degré quelconque, c’est cela qu’on a du mal à supporter ».

Marie Mitterrand a eu l’idée d’écrire « Accueillir un enfant handicapé » après avoir travaillé sur un film documentaire consacré aux 30 ans de la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, en 1975.

« Je voulais aborder, dans un film spécifique, l’impact de la naissance annoncée d’un enfant handicapé ». Marie Mitterrand a rencontré près d’un quarantaine de familles, de milieux sociaux diversifiés, bien que ce soient essentiellement des parents aisés qui interviennent : « Les personnes modestes rencontrent fréquemment une difficulté à s’exprimer sur leur choix, à intellectualiser leur vie ». Dans son film, Marie Mitterrand nous présente trois familles françaises, une belge et une suisse. Chacune explique les raisons de son choix et le cheminement intellectuel et humain qui l’a conduit à prendre une décision qu’il faut quotidiennement assumer. « Quand on lit les études réalisées, on constate que l’abandon est plus élevé dans les familles urbaines et de niveau social aisé ». Marie Mitterrand estime pourtant que l’acceptation repose davantage sur l’histoire et le parcours de chaque parent, et qu’il faut se garder de généraliser.

On pourra toutefois regretter que le film n’évoque pas la dimension spirituelle de l’accueil d’un enfant handicapé, la plupart des parents étant croyants (catholiques ou protestants). Et le systématisme du propos introductif sans nuance, qui affirme au sujet de l’impact sur les parents de l’annonce du handicap chez leur enfant à naître : « En réponse à [leur] détresse, le corps médical propose aux parents avant la naissance une Interruption Médicale de Grossesse ou après la naissance une remise de leur bébé à l’adoption ». En fait, une étude ancienne indique qu’un nouveau-né trisomique sur cinq faisait l’objet d’un abandon parental avec remise à l’adoption. Mais au-delà de ce propos contestable, « Accueillir un enfant handicapé » met en valeur la richesse humaine qu’apportent les enfants handicapés aux familles qui les acceptent malgré les difficultés, et la douleur engendrée par l’absence du bébé rejeté, un choix aussi « confortable »… que redoutable.

Laurent Lejard, septembre 2006.


« Accueillir un enfant handicapé », film documentaire de 52mn réalisé par Jean-Baptiste Martin, écrit par Marie Mitterrand, produit par Casadei Productions, 16 avenue Elisée Reclus, 75007 Paris. Tél. 01 45 50 38 65, Fax 01 45 50 39 30. « Accueillir un enfant handicapé » sera diffusé les 3 octobre 2006 à 22h30 sur RTBF 1 (dans le cadre du téléthon belge « Cap 48 ») et 18 octobre 2006 à 20h50 sur KTO.

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