« Ah, tu as placé ta fille ? », « Ah, ta fille est dans un centre ? » Combien de fois vais-je encore entendre ces mots prononcés avec une certaine connotation négative ? Placement, centre, ces mots qui vous cinglent comme une gifle en plein visage. Ce n’est déjà pas facile d’avoir un enfant différent, ce n’est pas la peine d’en rajouter ! Anne- Lorène a le syndrome d’Aicardi, elle est polyhandicapée. Lorsqu’elle était toute petite, elle était avec nous. Elle était très souvent malade, encombrée, avec beaucoup de fièvre d’où de longues et nombreuses convulsions. Elle a été hospitalisée d’urgence à maintes reprises; j’étais toujours à l’affût de ses moindres gestes, d’un front chaud. La nuit, si je l’entendais un peu, je déboulais dans sa chambre : fait-elle des convulsions ? Quand il n’y avait pas de bruit, je trouvais que ce n’était pas normal et je la touchais pour sentir sa respiration; si bien que pour tenir le coup, je me dopais avec un antiasthénique bien connu et que la miss, même si je ne faisais pas de bruit lors de mes intrusions dans sa chambre, sentait sûrement une maman stressée…

C’est le pédiatre qui la suivait à l’époque qui, devant la santé si fragile d’Anne- Lorène, ses multiples hospitalisations, et une maman extrêmement fatiguée, nous a proposé un établissement médicalisé. Très dur moment : se détacher de sa fille avec laquelle il y a de tels liens fusionnels, voir dans cet établissement des enfants handicapés, des fauteuils roulants… car à ce moment- là, nous nous cachions encore la vérité. Mais il le fallait, pour elle, pour nous, pour notre équilibre à tous les trois ! Emmenée sans cesse aux urgences, avec de nouveaux visages, Anne- Lorène n’avait aucun repère; dans cet établissement, elle a commencé progressivement à faire ses marques, à vivre avec d’autres enfants comme elle, à être soignée par les mêmes personnes qui la connaissaient, à avoir des activités que jamais je n’aurais pu penser lui faire réaliser. En effet, elle va à la piscine, à des spectacles, au cinéma, participe à des balades, des pique- niques; elle a une « scolarité » avec une institutrice spécialisée hors pair avec laquelle Anne- Lorène a fait d’énormes progrès. Elle fréquente régulièrement une extraordinaire salle multi- sensorielle qui se trouve à l’étage de son service, financée par une très dynamique association locale. Sans oublier toute l’équipe qui est sur place : médecins, kiné, ergo, éducatrices, puéricultrices… tout le personnel qui est vraiment remarquable.

Mon but n’est pas de faire la promotion de ces lieux de vie, le choix de chacun est personnel. Même si depuis plus de 10 ans, ce n’est pas de gaieté de coeur que je vois ma fille partir le lundi pour revenir le vendredi, que j’ai toujours ce pincement lorsque nous lui disons au revoir avec de faux sourires. Je sais que nous avons trouvé notre équilibre et qu’Anne- Lorène est entre de bonnes mains; habituée à une maison-bis toute petite, elle ne sera pas perturbée quand elle sera adulte, lorsque ses parents seront devenus vieux.

Il faut peut-être changer certaines mentalités: mettre son enfant dans une structure spécialisée ne signifie pas s’en débarrasser; à nous, parents, de contribuer aussi au dynamisme de ces lieux de vie. Personnellement j’ai été trois ans présidente du conseil de cet établissement et nous essayons de participer à chaque manifestation organisée par celui-ci. C’est une façon, très importante, d’être proches de son enfant malgré les kilomètres qui nous séparent.

Il y a tant de parents qui se battent pour la création de nouvelles structures, que juger négativement ces placements dans ces centres serait désavouer leurs demandes et leurs actions. Place à la tolérance et à la compréhension et, s’il vous plait, arrêtez de nous culpabiliser : vous ne savez pas le mal que vous nous faites !

Annick Perroux, mai 2004.

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