Ses parents ont affronté bien des difficultés pour que leurs trois enfants myopathes soient acceptés, accueillis dans des établissements scolaires classiques. Il a fallu en convaincre des médecins et autres assistantes sociales, pleins d’excellentes intentions, qui voulaient les cantonner aux structures bien établies. Et quelle détermination, quelle quantité d’énergie il faut encore dépenser, chaque jour, pour tracer son propre sillon, alors que la société préfère encore voir les personnes handicapées soigneusement rangées dans des institutions spécialisées. Mais Florence ne se range pas ainsi !

Dans son combat quotidien, elle parvient tant bien que mal à garder le sourire. Elle sait combien les obstacles se sont parfois transformés en tremplins. Après son baccalauréat, quand les écoles de stylistes se sont avérées vraiment trop inaccessibles pour qu’elle s’y inscrive, elle a plongé dans les mathématiques, a découvert l’informatique et se régale aujourd’hui des milles débouchés que cela lui offre. Quand son patron a interdit à ses collègues de l’aider pour les repas, elle a accroché une annonce pour trouver des volontaires. Et parmi les réponses, il y a eu Bruno, qui a tenu sa fourchette, partagé ses repas, puis l’a épousée ! Quand sa maladie a progressé, que les situations de handicap se sont accentuées, elle a découvert le plaisir du télétravail. Mais aucun répit pour la « mini-zapette » qui remplace le clavier de son ordinateur. Car Florence refuse l’assistanat, tant qu’elle le peut. C’est un combat difficile : « Je veux donner le maximum de mes capacités mais la société doit faire le nécessaire pour que je puisse continuer à donner ! »

Chaque matin, elle repousse la tentation de s’habiller sans recherche et opte pour l’esthétisme : collants, jupes et escarpins, même s’il fait frais. Elle sait combien l’image offerte influence le regard des autres et elle évite de virer au pratique (« ce piège dans lequel il ne faut pas tomber ») quitte à s’opposer aux aides soignants qui affectionnent particulièrement les jogging détendus, se moquant pas mal des regards destinés aux personnes handicapées. Or ces regards sont tellement plus clairs quand Florence se montre coquette.

Bien sûr, elle aurait aimé fonder une famille… Ce serait possible : un couple heureux, un entourage bienveillant, un nid douillet, des revenus. Mais une grossesse ouvrirait la porte à de grandes difficultés respiratoires et musculaires, pas forcément réversibles. Quant à l’adoption, il faudrait convaincre toutes les instances administratives et leurs responsables qu’elle n’est pas une petite fille incompétente mais bel et bien une adulte, une femme capable de materner. Florence regrette amèrement que les personnes handicapées soient aujourd’hui encore considérées comme irresponsables, incapables, asexuées.

Alors elle dénonce ces préjugés réducteurs. Elle dénonce aussi la maltraitance qui s’immisce bien vite là où il y a faiblesse. Elle évoque le sadisme de quelques soignants dont elle et ses frères et sœurs ont été victimes. Car il a fallu endurer ces violences pendant des mois, supporter les élongations forcenées et les têtes plongées sous l’eau de longs moments (belle technique de rééducation !) avant de trouver un autre kiné. Elle dénonce la pitié (« c’est inutile ! »), le rejet (« il est manifeste ! »), l’oubli (« malgré les belles promesses »), et le grand projet de laisser les personnes handicapées se débrouiller seules pour assumer les gestes de la vie quotidienne. Elle milite au Collectif des Démocrates Handicapés car elle voudrait vivre dans une société où chacun a une place, quelles que soient ses possibilités. Est-ce trop demander ?

Véronique Gaudeul, janvier 2001.

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