Quel est le point commun entre le concours de beauté Miss Handi France 2019 et le dernier scandale médical en date, la Dépakine ? Paméla Monnier, une jeune femme de 26 ans touchée par de graves séquelles handicapantes générées par ce « médicament », et qui a été élue en mai dernier Miss Handi Bretagne, récompense qui lui ouvre la voie vers le titre national Miss Handi France. Une Miss concernée et militante, déléguée pour la Bretagne de l’Association d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsivant (APESAC) : « C’était un défi personnel, être ambassadrice des personnes handicapées, que le handicap soit visible ou invisible. Et surtout faire connaître l’Apesac, informer les femmes, Le concours a été un bon vecteur grâce à la presse. Ça a permis à des familles qui n’étaient pas informées de ce scandale sanitaire de s’identifier à mon témoignage, de contacter l’association et de pouvoir les aider. »

La Dépakine est un médicament antiépileptique fabriqué par le géant pharmaceutique français Sanofi, interdit aux femmes enceintes depuis juin dernier seulement. Il a été prescrit pendant une cinquantaine d’années. La mère de Paméla, comme bien d’autres, n’a pas été informée pendant sa grossesse du risque lié à un médicament potentiellement dangereux dans une telle période. Pourtant, ses effets nocifs sont connus depuis une publication scientifique anglaise de 1982 et la contre-indication publiée 12 ans plus tard dans Developmental Medicine and Child Neurology. Mais jusqu’en 2007, cette contre-indication n’avait pas été portée à la connaissance du milieu médical français. Si l’Apesac a recensé à ce jour près de 6.000 victimes, dont 140 décès, et 1.418 avortements, on estime entre 15.000 et 30.000 le nombre de victimes atteintes de séquelles invalidantes, troubles autistiques et malformations en tous genres. « L’Apesac recense les familles de victimes, souvent des mères épileptiques ou bipolaires qui ont pris un traitement pendant une grossesse. C’est la molécule valproate de sodium présente dans les médicaments Dépakine, Dépakote et Dépamide qui crée de 30 à 40% de troubles neuro-développementaux dont l’autisme, et 11% de malformations. C’est mon cas. »

Un fonds d’indemnisation amiable géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) a été créé fin 2016. « C’est l’État qui se substitue au laboratoire qui a été condamné dans une procédure civile pour défaut d’information et tromperie aggravée à indemniser une famille à hauteur de trois millions d’euros. » Le fonds d’indemnisation devait indemniser « sans chipoter » avait déclaré en septembre 2016 la précédente ministre de la Santé, Marisol Touriane, mais la réalité que les députés ont découverte en séance ce 8 novembre est toute autre : « Les victimes doivent – écoutez bien, chers collègues ! – constituer des dossiers de 800 pages qui sont examinés par deux instances – un comité d’experts et un comité d’indemnisation -, avec des délais très longs. Ces procédures ont pris du retard, alors qu’elles peuvent concerner un grand nombre de personnes […] Le nombre de victimes qui pourraient bénéficier d’une indemnisation est aujourd’hui estimé à 10.000 environ. Fin septembre 2018, seules 296 victimes directes ont déposé une demande d’indemnisation. Selon l’ONIAM, quinze premiers paiements pourraient intervenir avant la fin de l’année, ce qui signifie que quinze dossiers seulement pourraient donner lieu à une indemnisation. Ce rythme est intenable et inadmissible pour les victimes, qui vivent des situations difficiles. » Le Fonds d’indemnisation est doté de 77,7 millions d’euros pour 2019 et à 424,2 millions pour les six années à venir, un montant qui pourrait s’avérer insuffisant si l’Oniam instruit les dossiers « sans chipoter »…

Voilà la première réussite de Paméla Monnier, faire connaître l’un de ces scandales sanitaires dont la France est spécialiste, mêlant gros sous et compromissions des politiciens, après le sang contaminé par le virus du Sida, les hormones de croissance porteuses de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le Distilbène, le Médiator, etc. Comment, dès lors, concilier un concours de beauté porteur de valeurs positives mais aussi négatives, avec un combat en faveur de l’indemnisation de victimes d’un médicament empoisonneur ? « Mon frère ainé est décédé à l’âge d’un mois et demi, explique Paméla Moniier. J’ai deux malformations cardiaques dont une prothèse au coeur et une tumeur à la face. Quand on a su la vérité il y a deux ans sur mes problèmes de santé, que le coupable était la Dépakine, on s’est dit qu’il y avait tout ce côté noir, mais qu’il fallait avancer, faire quelque chose de positif, et c’est pour cela que le concours Miss Handi était une opportunité pour faire connaître et médiatiser ce problème. J’espère être élue en mars prochain, mais ce côté positif permet déjà de faire connaître l’Apesac et sa présidente lanceuse d’alerte, Marine Martin, elle-même épileptique qui a eu deux enfants nés sous Dépakine. En cherchant sur Internet ‘médicament dangereux pour la grossesse’ elle s’est aperçue qu’il existait des études démontrant les effets nocifs de la Dépakine pour le foetus et a trouvé le tableau technique des troubles de ses enfants. Elle a fait le lien, lancé l’alerte puis créé l’Apesac en 2011. »

Comme Marine Martin, Paméla Monnier aurait pu mener une vie tranquille, elle qui est employé par le département d’Ille-et-Vilaine et mère d’un garçon de 4 ans : « Malheureusement, la Dépakine a des effets sur les futures générations, on ne sait pas encore à quel degré. » Son fils a une hernie ombilicale, des troubles de l’attention et hyperactivité, des symptômes liés à la Dépakine que Paméla n’a pourtant pas prise. Elle s’interroge sur une seconde maternité, maintenant qu’elle connaît les risques : « C’est psychologiquement assez difficile. »

Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2018.

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