Publié il y a quelques semaines, le rapport de synthèse « Mandat électoral – Difficultés et obstacles pour candidater, être élu et exercer un mandat électoral quand on est en situation de handicap » arrive à point à l’approche des élections présidentielle et législatives. Il rappelle le cadre légal et réglementaire, dresse un état des réalités vécues par les élus interviewés et formule quatre principales recommandations :

  • Supprimer les articles de loi interdisant l’éligibilité des majeurs sous tutelle ou sous curatelle ;
  • Faciliter la participation et l’implication des candidats en situation de handicap dans les campagnes électorales, par exemple, en déplafonnant le remboursement des frais de campagne pour les besoins supplémentaires liés au handicap ;
  • Faciliter l’ensemble des activités d’un élu en situation de handicap (participation aux réunions, transmission des documents, préparation des débats, etc.) ;
  • Faciliter le partage d’informations et d’expériences entre les candidats et les élus en situation de handicap.

Cette recherche exploratoire rejoint les expériences relatées par des élus dans plusieurs de nos articles récents : Odile Maurin et Alain Gabrieli pour le handicap moteur lourd, Pier-Carlo Businelli, Samuel Landier et Pascale Isel en matière de malvoyance et cécité, Karine Marin-Roguet et Virginie Cronier pour la malentendance et la surdité, Eléonore Laloux pour le handicap intellectuel et Jean-Charles Houssemagne sur la dépendance en milieu rural, Jean-François Camiul pour la surdité en Outremer.

Question : Quels sont les principaux problèmes rencontrés par des élus handicapés dans l’exercice de leur mandat ?

Cyril Desjeux

Cyril Desjeux : La méthodologie de cette recherche exploratoire repose sur trois ressources. La première, un comité de réflexion composé d’élus en situation de handicap, du secrétariat général du Comité Interministériel du Handicap et d’un chercheur. La seconde, c’est la littérature internationale permettant d’identifier ce qui se fait dans d’autres pays. La troisième, ce sont des entretiens réalisés avec des candidats et des élus en situation de handicap moteur, sensoriel ou intellectuel. Parmi les candidats, deux sont sous mesure de protection judiciaire, dont un a été élu [le devoir d’anonymat empêche Cyril Desjeux de le nommer NDLR]. Avec la grande variété des configurations de handicaps auxquels on a été confrontés dans le cadre de cette étude, c’est une grande diversité de contraintes que l’on a constaté, avec des ressentis différents d’une personne à l’autre.

Question : Quelles sont ces contraintes ?

Etat des lieux des contraintes et obstacles

Cyril Desjeux : Le premier frein qui est identifié, c’est inéligibilité des personnes sous mesure de protection judiciaire. Inéligibilité pour être élu, notamment pour les municipales, les départementales et les législatives, mais qui n’empêche pas d’être candidat. Une autre difficulté est de s’inclure dans des réseaux de relation, d’autant plus que l’inéquité d’accès à la scolarité ou au marché du travail crée des inégalités sur la manière d’accéder à des partis politiques ou à pouvoir constituer sa propre machine électorale. Parmi les autres freins identifiés figure la problématique de l’aide financière pour candidater et être élu : il n’existe aucun soutien collectif pour cela. Les aides existantes pour faciliter l’exercice d’un mandat électoral restent limitées et en dessous des besoins. La Prestation de Compensation du Handicap est relativement restreinte dans ces possibilités, une décision du conseil municipal peut prévoir une enveloppe budgétaire pour compenser par l’aide d’une tierce-personne certaines situations de handicap. Mais cette aide dépend de la majorité du conseil municipal par exemple, sous-entendu : si l’élu représente l’opposition, il pourrait rencontrer des difficultés à faire valoir cette possibilité offerte par le code des collectivités territoriales [dispositions différentes selon les collectivités concernées, lire les articles L2123-18 à 18-4, L3123-19, L4135-19, L5211-13, L6434-5, R2123-22-3, R3123-22, R4135-22, D5211-4-1, R7125-28, R7227-28].

Question : On connaît bien les difficultés et les freins, maintenant quels sont les apports positifs de cet engagement ?

Cyril Desjeux : Notre action de recherche insistait particulièrement sur les contraintes et les ressources, moins sur l’aspect identitaire qui peut exister pendant l’exercice d’un mandat électoral. Les entretiens ne permettent pas de répondre à cette question.

Question : Pourtant vous évoquez la dimension validiste et l’aspect misogyne de l’activité politique. Élue femme et handicapée : deux risques de difficultés qui se cumulent au contact de politiciens encore assez machistes, mais existent-elles, quelle que soit la collectivité, ou résultent-elles de comportements personnels ?

Couverture de l'étude Handéo sur le Mandat Electoral

Cyril Desjeux : C’est une situation difficile à analyser, on manque de données statistiques en France. On sait qu’en termes de structure sociale, on a cet effet de domination à la fois validiste, genré, culturel ou racial. Pour autant, il est compliqué d’arriver à des conclusions de transversalité entre des milieux ruraux ou hyper urbanisés, la recherche ne permet pas d’en conclure quoi que ce soit.

Question : Si on regarde la compensation du handicap en fonction du niveau, entre l’Assemblée Nationale et les collectivités locales, les seuils d’adaptation sont très différents. Ils seraient liés au prestige du mandat ou à l’ampleur des moyens ?

Cyril Desjeux : Il est difficile de répondre, on parle de situations très différentes. On manque d’occurrences. Ce que l’on constate, c’est qu’au niveau communal les moyens qui peuvent être alloués sont moins importants que ceux qui peuvent l’être au niveau national. Ils permettent également de voir comment les différents handicaps sont considérés.

Question : Parmi vos propositions, on remarque la facilitation de la participation et de l’implication en déplafonnant le remboursement des frais, c’est un élément majeur ?

Cyril Desjeux : Ce qui est important et majeur, c’est l’absence d’outils de compensation pour faire campagne. Dans le cadre de la Prestation de Compensation du Handicap, les frais pris en compte ne concernent que les élus, les candidats ne peuvent pas bénéficier de cette enveloppe d’une centaine d’heures pour pouvoir faire campagne. C’est pareil pour ce qui est prévu dans le cadre du budget des communes, qui n’est pas mobilisable pour la campagne électorale. Si des citoyens souhaitent voir compenser des besoins liés à leur situation de handicap, ils doivent non seulement mobiliser leur PCH individuelle et ne pourront pas disposer des besoins nécessaires pour leur campagne. La solution de déplafonnement des dépenses de campagne pour inclure les frais de compensation du handicap est proposée par le comité de réflexion et a fait consensus.

Les 4 recommandations

Question : Les propositions 2 et 3 du comité renvoient à une compensation individuelle et non collective, comme si l’engagement politique n’était qu’une affaire personnelle et pas celle des différents organismes et collectivités de notre société…

Cyril Desjeux : Ces propositions reposent sur la solidarité nationale, pas sur une logique individuelle. La frontière n’a pas été définie sur la manière dont le processus pouvait s’enclencher. Elles restent relativement ouvertes entre un droit dédié et une demande individuelle, d’autant plus qu’on ne les rattache pas à la Prestation de Compensation du Handicap qui aurait forcement entraîné un montage de dossier. Si on ne les rattache également pas aux communes, départements et régions, c’est pour éviter les inéquités de traitement, par exemple pour les élus d’opposition. Le fait de les faire reposer sur des logiques nationales permettrait une pratique équitable et non discriminatoire d’un territoire à l’autre.

Question : La quatrième proposition concerne le partage d’informations d’expériences entre candidats et élus. Il est vraiment nécessaire qu’ils créent un groupe de pression pour exister ?

Cyril Desjeux : Le partage d’expérience ne se traduit pas nécessairement par un groupe de pression. C’est plutôt créer et gérer des logiques de pair-aidance, éviter le sentiment d’isolement, et construire des liens.

Laurent Lejard, janvier 2022.

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