Question : Quel a été votre parcours personnel et professionnel ?

Jean-François Camiul : J’ai 50 ans. Je suis devenu sourd à l’âge de 3 ans et j’ai grandi en France, scolarisé dans un centre spécialisé pour déficient auditif à Saint-Brieuc, puis à Nantes et à Montpellier. Je me suis ensuite formé à Poitiers et Paris. J’ai quitté la France après avoir obtenu un BEP Comptabilité, puis d’Aide Médico-Psychologique. En 1993, j’ai décidé de quitter la métropole, pour retourner dans mon pays natal qui m’est très cher, et être auprès de ma famille. J’aime mon pays, sa culture, sa tradition, sa richesse, son environnement. Là, j’ai enseigné la langue des signes à l’Association Martiniquaise pour l’Éducation de Déficients Auditifs et Visuels (AMEDAV). C’était mon premier emploi. Trois ans après, j’ai démissionné car sa philosophie ne me convenait pas, la langue des signes n’était pas une priorité dans son programme. Je suis revenu à Paris pour une formation de formateur et en ingénierie de formation à l’AFPA. De retour en Martinique, j’ai créé un premier centre de formation à la langue des signes, financé par la Région. Ensuite le groupe Surdus géré par des Sourds m’a proposé une franchise pour avoir la même vision, se regrouper, développer l’activité, réfléchir à la stratégie du développement. Grâce à cette vision commune, j’ai accepté le nom Surdus Antilles. Tout a très bien démarré mais au bout de 5 ans le groupe déposé le bilan. J’ai été obligé de créer un autre établissement, Sengis, mais le démarrage a été difficile, j’ai dû déposer le bilan. Je suis formateur indépendant depuis 2008 et multiplie mes activités de formation, sensibilisation, conseil et soutien au sein de mon centre de formation JFC conseil. J’ai eu beaucoup d’expériences en Martinique. Je me suis battu pour les intérêts des Sourds et la reconnaissance de la langue des signes.

Jean-François Camiul

Question : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous installer à Ducos ?

Jean-François Camiul : Ma famille vit à Ducos, j’y ai grandi. C’est une commune de près de 20.000 habitants, elle se trouve au centre de la Martinique. C’est une belle ville dynamique en plein développement. La vie locale a beaucoup évolué depuis mon arrivée. La langue des signes était méconnue par la population. J’ai formé plein de stagiaires, des particuliers, des demandeurs d’emploi, des professionnels, des parents. Beaucoup se sont sensibilisés, les inscriptions ont explosé. La société martiniquaise a beaucoup changé, ainsi que la mentalité. La langue des signes est mieux acceptée. On la voit partout à la télévision, les interfaces traduisent, il y a un accompagnement social. Certes, il manque beaucoup de choses à faire encore évoluer. Chez les Sourds, il y a un manque de motivation, de dévouement, d’autonomie, ils sont trop assistés, j’ai du mal à les comprendre. C’est à cause de l’éducation donnée en centre spécialisé, et de la famille. Je me bats pour leur autonomie, leur droit, leur épanouissement. J’étais président de l’association des Sourds de la Martinique, j’ai organisé un déplacement en France pour un tournoi de foot, participé à des tournois en Martinique. J’ai créé un groupe de percussions tambour, on a assisté au carnaval à Saint-Joseph, organisé des événements lors des journées mondiales des Sourds. Je voulais leur montrer qu’on peut faire beaucoup de choses avec notre surdité. Mais c’est pas évident pour eux. Ils ont besoin d’être assistés.

Question : Vous ne communiquez qu’en langue des signes ou vous oralisez et la lecture labiale vous permet de comprendre les entendants ?

Jean-François Camiul : Ma langue est la langue des signes, ma langue naturelle maternelle. Non, je n’oralise pas. Je suis assez autonome, la société doit m’adapter et non l’inverse. Tout se passe bien. J’utilise un interprète pour des rendez vous, des réunions, conférences, entretiens. Comme je suis responsable, je gère mon centre, je dirige l’équipe sourds et entendants. La langue des signes est primordiale pour les Sourds. C’est ce que les professionnels de la surdité ne comprennent pas.

Question : Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager dans la politique locale, et pourquoi avoir choisi une liste régionaliste ?

Jean-François Camiul : C’est Aurélie Nella, tête de liste du parti Péyi’a, qui m’a rencontré et souhaitait que je sois sur sa liste électorale. Je ne voulais pas trop car la politique, c’est que la parole. Après mûre réflexion, j’ai accepté, son programme m’a convaincu : cohésion sociale, solidarité, démocratie participative et inclusion. C’est une opportunité. Maintenant, je suis conseiller municipal délégué à l’inclusion et aux personnes handicapées. J’ai beaucoup de projets à venir cette année, je souhaite que ma ville devienne une ville inclusive. C’est ma première expérience politique; avant, je suivais un mouvement politique en tant que sympathisant.

Question : Quelle a été votre participation à la campagne électorale ? Vous avez distribué des tracts, participé à des réunions publiques, étiez-vous accompagné d’un interprète ?

Jean-François Camiul : Oui, c’est une expérience et des actions incroyables. Pendant la campagne, j’ai distribué des tracts, rencontré des habitants, participé à des conférences et des prises de parole publiques. J’étais toujours accompagné d’un interprète, c’est mon principe, sinon je ne serais pas sur la liste électorale.

Question : Depuis que vous êtes conseiller municipal, de quelles aides disposez-vous pour assister au conseil, recevoir des citoyens, suivre des réunions ?

Jean-François Camiul : Je suis délégué à l’inclusion, je siège à la Commission solidarité, social et santé, dans la Commission accessibilité et aussi la Commission développement éducatif. J’assiste régulièrement au Bureau majoritaire et au Conseil municipal. En tant que délégué, je perçois une petite indemnité mensuelle. A notre installation officielle, la situation financière de la ville était dans le rouge. Donc, avec la maire on s’est arrangés. La ville prend en charge les frais d’interprète lors du Conseil municipal et des commissions. Pour le Bureau, majoritaire, c’est 50-50, j’en paie une partie grâce à la Maison Départementale des Personnes Handicapées et le complément de Prestation de Compensation du Handicap pour mandat électif. Ce n’est pas beaucoup mais je ferai une demande d’augmentation.

Les 7 conseillers municipaux sourds ou malentendants

Question : Vous êtes l’unique élu Sourd de Martinique ?

Jean-François Camiul : Oui, mais il y a 6 autres élus Sourds dans des communes de métropole. On s’est réunis par Whatsapp, on a échangé sur nos points de vue, le manque d’interprètes, et d’autres problèmes. On a décidé de créer une association et d’écrire à la secrétaire d’État chargée des personnes handicapés, Sophie Cluzel, qui a entendu notre sollicitation lors d’une réunion au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), pour demander de prendre en charge les frais d’interprète dans les municipalités où il y a des élus sourds. On verra la suite qui sera donnée. Un point à ajouter pour l’équipe majoritaire, les camarades sont très unis, respectueux, dynamiques, motivés. Je me sens très à l’aise avec eux, sans regard bizarre, et beaucoup d’attention. Et je les remercie de leur attitude agréable, et surtout Madame la maire Aurélie Nella, de m’avoir donné cette belle opportunité. Une nouvelle étape de ma vie.

Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2021.

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