« A un moment, j’ai entendu le mot sempiternel et en l’entendant j’ai dit ‘waouh ! mais quel mot magnifique. Ce serait incroyable si on pouvait mettre des mots à l’intérieur des gens comme on sème des graines et le mot pousserait dans leur vocabulaire !’ A partir de cette image, j’ai eu l’idée de fabriquer mon premier sachet de graines de mots. » Et de ce premier sachet a germé un spectacle mêlant poésie de la langue, humour et apprentissage de nouveaux mots, Prends-en de la graine : autour d’une charrette, les comédiens mettent des mots en scène, puis le public vient découvrir le riche vocabulaire de nos langues parlée, écrite, signée, le français et la Langue des Signes Française. Dans les multiples cases de la charrette sont proposées des centaines de pochettes présentant des mots ou mots-signes, selon la version du spectacle. Ces graines de signes ont été dessinées par Matt, créateur de Commentçasesigne, les mots dessinés étant ajoutés dans les pochettes.
Ce spectacle a été créé en 2018 par l’auteur et circassien, Johann Charvel ; cultiver son jardin lui a donné l’idée de mettre en sachets des graines de mots : « C’est un sachet en papier sur lequel est écrit le mot, sa définition, un exemple un peu rigolo, et à l’intérieur on met des petits papiers qui correspondent aux mots que vous allez semer dans votre quotidien, sur la porte du frigo, la table de chevet, et ça permet aux gens d’apprendre des nouveaux mots. » Une autre manière de cultiver en semant du vocabulaire de français et aussi de LSF depuis que le spectacle a croisé en 2022 la route de l’interprète Nola Kastell Sec’h, également comédienne : « Johann jouait la première version du spectacle lors d’un festival, et il y avait là une famille dont les enfants étaient entendants et les parents sourds, un peu à l’écart. J’ai commencé à leur traduire une partie du spectacle, sur le tas. J’avais beaucoup accroché sur ce concept de graine de mot et j’ai proposé à Johann de travailler une version bilingue. Je lui ai expliqué les enjeux de la transmission de la langue des signes et de la culture sourde vers les personnes entendantes. »
Pour l’élaborer, Nola Kastell Sec’h a collaboré avec un groupe d’amis, deux interprètes, une entendante-signante et une personne sourde. « Ils m’aidaient dans cette traduction, faisaient des corrections, parce que c’est important de ne pas traduire tout seul et d’avoir le point de vue de personnes sourdes, d’autres professionnels, pour être compréhensible, et amusant aussi parce que le spectacle est drôle. » Le duo Johann et Nola se complète ou diffère, Nola prenant à témoin le public sourd pour se moquer de son compère quand il s’essaie à signer : « On évoque les entendants qui parlent très vite et qui oublient l’interprète, les travers des entendants et les travers des Sourds, on fait des clins d’oeil d’une culture à l’autre. » Elle adapte également le vocabulaire : « Certains mots n’ont pas d’équivalent en signes, précise Johann Chauvel. Nola a fait le choix de fabriquer des signes, par exemple pour les mots de jeunes, les jeunes sourds ont leurs mots à eux. » Il en est de même pour les OGM, mots orthographiquement et grammaticalement modifiés (attachiant, bernévole, samèrelipopette, etc).
Cette version bilingue n’est pas proposée systématiquement, Johann Charvel souhaitant qu’elle soit l’occasion de mobiliser le public sourd et de bien l’accueillir, en le plaçant avec une bonne visibilité : « Ca passe beaucoup par la compétence de l’organisateur à entrer en contact avec les collectifs Sourds régionaux. Les publics sourds sont tellement habitués à ce qu’il n’y ait rien pour eux qu’ils font peu la démarche d’aller voir si dans un festival est donné un spectacle qu’ils pourront comprendre. » Un public qu’il faut donc aller chercher, alors que l’offre est pourtant présente. « Il y a des spectacles en langue des signes qui tournent partout, complète Nola Kastell Sec’h, même dans des territoires où il n’y a pas de public sourd, parce qu’ils sont basés sur une histoire, de l’imaginaire, où la langue des signes, même si elle n’est pas comprise, apporte visuellement. Notre spectacle repose beaucoup sur la linguistique et on a fait des représentations où il n’y avait que des entendants très intéressés, mais je sais que dans des petits endroits, les programmateurs ne vont pas le vouloir. Même dans des gros festivals, avec les restrictions budgétaires, l’accessibilité pour des spectacles pour tous est moins la priorité. Et qui dit interprète dit deuxième comédien, et le prix du spectacle augmente. »
Oeuvre de création linguistique, la Graineterie de mots participe à l’enrichissement du vocabulaire de la langue des signes en créant des nouveaux signes qui ne demandent qu’à alimenter le vocabulaire utilisé par les locuteurs, et rejoindre ceux d’autres artistes. « Je pense à IVT qui a créé des nouveautés linguistiques qui se sont intégrées à la langue des signes française, conclut Nola Kastell Sec’h. Je ne prédis pas que les signes de la Graineterie de mots vont faire de même, mais les graines de signes sont là, les lexiques à disposition, et si les gens s’en saisissent, c’est bien. » La version bilingue de Prends-en de la graine a été jouée une quinzaine de fois depuis sa création l’an dernier. Lorsqu’elle passera près de chez vous, courrez chercher vos sachets de graines de signes !
Laurent Lejard, septembre 2025.
La prochaine représentation bilingue de Prends-en de la graine aura lieu samedi 27 septembre à 10h30 et 15h à Vernon (Eure), Espace Philippe Auguste - Rue Charles Joseph Riquier. Gratuit, sans réservation, extérieur ou intérieur en fonction de la Météo. Pour le public sourd se présenter 15 minutes avant pour être sûr d'être bien placé !
Avec le soutien de la Fédération Française de l’Accessibilité