L’amateur de belles choses trouve toujours très agréable de visiter Strasbourg, et ce plaisir se conjugue également lorsque l’on a un handicap. Déambuler dans le centre historique est assez aisé, même si la voirie est disparate et le pavé parfois désagréable, accumulant les strates de rénovation sans unité de style (lire cet article). Une unité heureusement bien présente dans les bâtiments bordant les rues, dont de fort belles et très photogéniques maisons à pans de bois. L’Office de Tourisme propose dans ses points d’accueil un dépliant également téléchargeable, « Strasbourg facile », comportant un itinéraire spécialement conçu pour les personnes à mobilité réduite, déficientes visuelles accompagnées ou malentendantes. Une page recense les informations utiles pour se loger, visiter, se restaurer. L’association L’art au-delà du regard propose des activités adaptées, mais son site Internet ne contient malheureusement que des informations obsolètes…

C’est au Musée Historique que le visiteur pourra découvrir les différentes époques de développement de la ville, depuis le néolithique jusqu’à nos jours. Au fil des salles, on comprend l’implantation de la ville, on découvre son statut de ville libre et le rôle des bourgeois et des corporations, l’invention de l’imprimerie et l’essor économique que celle-ci procura à Strasbourg au XVe siècle, l’humanisme et la Réforme. On comprend également mieux les moeurs locales en apprenant qu’au XVIIe siècle des ordonnances régissaient tout, y compris l’interdiction de danser ! La ville battait alors monnaie, jusqu’à ce qu’en 1681 Louis XIV la conquière et la rattache au Royaume de France. Un vaste plan-relief réalisé en 1727 et miraculeusement préservé montre ce qu’était cette ville frontière : on le détaille depuis une tribune desservie par un élévateur, avec jumelles à disposition, une projection audiovisuelle venant compléter la compréhension de ce plan remarquable. Au fil des salles, on se souvient par ailleurs que La Marseillaise fut créée à Strasbourg sous le nom de Chant de l’Armée du Rhin, sans oublier l’un des plus célèbres Strasbourgeois, le général Kléber, qui participa aux côtés de Napoléon Bonaparte à la campagne d’Egypte où il fut assassiné en 1800.

Côté accessibilité, toutes les salles sont accessibles en fauteuil roulant (prêt sur demande à l’entrée), toilettes adaptées à l’étage. Les déficients visuels, qui trouveront là le point de départ idéal d’une visite tactile musée-ville, disposent d’un parcours tactile par audioguide à demander à l’entrée, certaines oeuvres pouvant être touchées avec des gants également fournis. Le musée a en outre élaboré une cartographie en relief et braille (qui reste toutefois à éditer, vérifier puis mettre en place). Une version texte du contenu de l’audioguide est disponible à l’accueil.

Des visites spécifiques « Voir les musées autrement » sont ouvertes à tous, avec notamment de la description de tableaux pour les déficients visuels. Pour tous les musées municipaux, l’entrée est gratuite pour la personne handicapée et un accompagnateur (hors ateliers, animations et visites spécifiques), des visites Langue des Signes Française ou Langage Parlé Complété sont organisées pour les groupes sur demande, et une médiation « à la carte » est proposée aux groupes de déficients mentaux.

Presqu’en face du Musée Historique, de l’autre côté de la rivière Ill (non, Strasbourg n’est pas sur le Rhin !), le Musée Alsacien présente dans deux maisons du XVIIe siècle une collection d’objets d’arts et de traditions populaires, avec mobilier typique des XVIIIe et XIXe siècles. On y découvre le mode de vie des Alsaciens des siècles passés au fil d’une vingtaine de salles thématiques. La visite est hélas impossible en fauteuil roulant, et cela devrait durer, la ville n’ayant pu acheter une maison voisine qui aurait permis d’aménager des accès depuis cette extension. La municipalité envisage donc de demander une dérogation à l’accessibilité imposée d’ici janvier 2015 en proposant une médiation multimédia à titre de substitution… Les déficients visuels disposent quant à eux d’un parcours tactile par audioguide à demander à l’entrée, certaines oeuvres pouvant être touchées avec des gants (fournis). Une vidéo en langue des signes présente le musée, qui est par ailleurs visitable en LSF ou LPC, sur demande préalable pour les groupes, ou selon la programmation du service des musées pour les individuels.

En se dirigeant vers la cathédrale par la rue du Vieux marché aux poissons, le visiteur passe devant l’immeuble à pans de bois et enduit mauve ou vécut le grand Goethe, puis devant celui où naquit l’artiste surréaliste Jean Arp, dont l’un des piliers du balcon est orné d’un plaisant diable tirant la langue aux passants ! Et en arrivant rue Mercière, la célèbre cathédrale Notre-Dame construite en grès rose lance vers le ciel sa flèche unique qui culmine à 140m. Lors de la Révolution, un ferronnier la coiffa d’un immense bonnet phrygien en tôle rouge, ce qui empêcha sa destruction : cet événement est rappelé par l’enseigne qui orne l’angle du numéro 24 de la place à gauche de la cathédrale. C’est par ce côté que les personnes en fauteuil roulant entrent dans l’édifice dont seul le choeur est encore en style roman, la nef ayant été reconstruite en style gothique après un incendie. Les vitraux récemment nettoyés éclatent de couleurs. Avec de bons yeux (ou des jumelles), on remarque les étoiles du drapeau européen dans un vitrail réalisé en… 1956 pour le choeur, l’un des rares de l’époque moderne. Autres curiosités : l’orgue richement orné datant des XIVe et XVe siècles et dont les automates fonctionnent, ainsi que l’horloge astronomique gothique dont les automates présentent les quatre âges de la vie, mais également le défilé des apôtres, les phases de la lune, les planètes visibles, les divinités planétaires, le calcul des fêtes depuis Pâques…

Poursuivre la découverte et la connaissance de la cathédrale et de l’art rhénan conduit à se rendre au tout-proche Musée de l’Oeuvre Notre-Dame qui présente esquisses, sculptures et vitraux d’origine, tableaux et objets de piété. Une visite hélas impossible aux personnes handicapées motrices, les salles étant en étage desservies par un escalier en colimaçon de fort bel appareil de pierre mais totalement impraticable ! La ville envisage une accessibilité par un immeuble voisin, mais il faudra ensuite traiter les différences de niveaux entre les salles, le musée occupant plusieurs maisons contigües. Pour leur part, les déficients visuels disposent d’un parcours audioguidé avec objets à toucher (équipement à demander à l’accueil). Des visites tous publics « Voir les musées autrement« , en LSF et LPC sont organisées sur demande ou selon la programmation.

Non loin de là, le Palais Rohan regroupe plusieurs musées dans un faste baroque témoignant de la richesse d’une famille qui compta plusieurs évêques de Strasbourg, dont le fameux cardinal de Rohan qui acheta pour la Reine Marie-Antoinette un collier non moins fameux qui contribua quelque peu à lui faire perdre la tête… Installé au rez-de-chaussée, le musée des Arts Décoratifs est visitable en fauteuil roulant (sonnette « handi » à droite du portail d’entrée, pour que le personnel pose des rampes amovibles). La collection est présentée dans les anciens appartements aristocratiques, assez spectaculaires, dont une chambre où logea Napoléon 1er. Si les Sourds bénéficient sur demande de visites en LSF ou LPC, rien de spécifique n’est proposé aux déficients visuels. Au premier étage, le musée des Beaux-Arts est inaccessible en fauteuil roulant et rien d’adapté n’est proposé aux déficients visuels : du diagnostic d’accessibilité du Palais Rohan en cours de réalisation résultera-t-il des propositions prochainement réalisables ? Dans les caves, le Musée Archéologique est lui, en revanche, accessible en fauteuil roulant, par l’extérieur, en contournant le bâtiment. Sa belle muséographie met notamment en valeur l’époque gauloise de la cité : l’amateur d’os en tous genres appréciera particulièrement une collection étoffée de squelettes de personnes invalides ou atteintes de maladies handicapantes, et autres têtes momifiées… Ici, un parcours tactile audioguidé est proposé aux déficients visuels.

Le gastronome rejoindra la place Kléber par la rue des Orfèvres et ses boutiques alléchantes après avoir traversé le parvis de la cathédrale, pour arriver face à un immense bâtiment de grès rose, l’Aubette, construit en 1768 pour abriter une caserne dont les gardes étaient relevés à l’aube : l’usage a donné son nom à ce qui est devenu, en 1928, un vaste complexe de loisirs avec ciné-dancing, foyer-bar, salle des fêtes, restaurant dans une architecture et une décoration géométrique colorée signés Theo Van Doesburg, Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp. La partie la moins détruite a fait l’objet de restaurations qui permettent au public d’apprécier la beauté des lieux et la vue sur la place. Si la visite est gratuite, l’accès est mal signalé, l’ascenseur étant dans un recoin du passage traversier situé dans la partie droite de l’Aubette; un audioguide est téléchargeable pour les mobiles Android et IPhone. Dans l’aile gauche, un autre ascenseur dessert directement la salle de concert à la décoration plus classique.

A gauche de l’Aubette, la place de l’Homme de Fer conduit à la rue de la Haute-Monnaie qui porte bien son nom, bordée qu’elle est de boutiques de luxe qui vous escortent jusqu’à la place de Broglie et l’Opéra National du Rhin qui en ferme le côté est. La programmation artistique de très haut niveau fait l’intérêt de cette salle qui attire par ailleurs de nombreux spectateurs allemands qui bénéficient d’un sur-titrage dans la langue de Goethe (avec le français). On vient de loin pour entendre et voir des oeuvres rarement représentées, tel ce Don Carlos dans sa version originale française en 2006, ou plus récemment Les Huguenotsle spectacle qu’il fallait voir cette saison. Des oeuvres du répertoire sont également programmées, de même que quelques ballets, deux spectacles pour enfants et jeunes. Hors-les-murs, l’Opéra National du Rhin conduit depuis six ans des actions culturelles dans deux hôpitaux pour enfants ou personnes souffrant de troubles mentaux. L’Opéra dispose sur son flanc gauche d’un accès fauteuil roulant (interphone) avec ascenseur desservant tous les étages. Deux places sont proposées à demi-tarif (accompagnateur compris) à l’orchestre, en extrémité du 10e rang, avec une vision correcte de la scène mais un confort sommaire. Toilettes adaptées, mais hélas aucune médiation pour les spectateurs déficients sensoriels.

Des adaptations, ces spectateurs en trouveront au-delà de l’Ill qui passe derrière l’Opéra : au Théâtre National de Strasbourg (TNS). La moitié des pièces y sont audiodécrites et surtitrées par le service des relations publiques, qui a commencé à proposer une maquette tactile de spectacle avec enregistrement de la voix des comédiens pour les représentations de Têtes rondes et têtes pointues en mars dernier. Le théâtre n’offre pas d’interprétation en Langue des Signes Française « faute de demande » de la part des sourds. Les coémdiens du TNS réalisent par ailleurs des ateliers théâtre au Centre Hospitalier Spécialisé d’Erstein. Anne-Claire Duperrier, chargée d’accueil des publics, visite les établissement spécialisés pour faire connaître les spectacles programmés par le TNS. Lequel propose essentiellement des auteurs contemporains, qui interrogent notre société, les rapports sociaux et humains, mais également des classiques tels Romeo et Juliette, Le mariage de Figaro, dans des mises en scènes modernes qui revisitent ces oeuvres. La salle Koltès (600 places) peut recevoir une dizaine de personnes sur leur fauteuil roulant, en fond de parterre mais avec une très bonne visibilité puisque la profondeur est réduite. La salle Gignoux (200 places) est desservie par un élévateur, le placement est libre. Artistes et personnels handicapés peuvent travailler tranquillement au TNS, l’école de théâtre et l’atelier de construction de décors ont été mis en accessibilité. Les personnes en fauteuil roulant ou déficientes visuelles entrent côté droit par un nouvel accès en rampe coupant les marches d’un large escalier conduisant au parvis du Café du Théâtre et à l’accueil administratif ouvert lors des spectacles. Bien que tout neuf, cet accès « blanc sur blanc » n’apparaît pas conforme à l’obligation de contraster les nez des marches hautes et basses, les rambardes blanches en saillie s’avérant potentiellement dangereuses pour les malvoyants puisqu’elles se confondent avec le blanc du sol. Si un guidage podotactile conduit à des portes motorisées, leur commande extérieure est malheureusement peu visible. Quand aux toilettes adaptées, autant celles du théâtre que du Café ont besoin d’une sérieuse mise aux normes pour offrir le confort d’usage indispensable.

Face à l’accès du théâtre, avenue de La Marseillaise, un immeuble de style germanique abrite depuis peu un musée consacré à l’illustrateur Tomi Ungerer, né à Strasbourg en 1931 et qui vit aujourd’hui en Irlande. Si on connaît son travail pour des livres destinés aux enfants, le musée présente au sous-sol ses caricatures et satires, ainsi que ses dessins érotiques (grenouilles, botanique). Au rez-de-chaussée et à l’étage sont présentés ses livres pour enfants, ses illustrations publicitaires, un livre de chansons allemandes mises en images, quelques jouets de sa vaste collection. Tout cela dans un univers blanc, sol, plafond et murs, avec peu d’oeuvres, mais bien mises en valeur. Des fiches en grands caractères reprennent les textes des cartels, ce qui pallie leur placement en hauteur mal lisible. Accès unique pour le public par une longue passerelle serpentant dans le jardin (les personnes en fauteuil roulant entrent par le grand portail), toilettes adaptées.

En quittant ce musée, s’il vous reste un peu de temps pour flâner, rejoignez la place de la République, faites quelques centaines de mètres en passant la bibliothèque universitaire (en grand chantier de modernisation), longez la Préfecture puis suivez à gauche l’avenue des Vosges jusqu’à la rue Rapp : un immeuble à décoration égyptienne Art Nouveau très colorée déploie son faste sur toute la hauteur, avec colonnes papyriformes : l’Egypte aux portes du quartier allemand !

jubé et orgue de l'église Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg.

En revenant place de la République, vous serez à deux stations de tramway (accessible) du jardin botanique, qui dépend de l’université. Si sa création est ancienne (1619) son implantation actuelle date de 1880, près du grand observatoire, par la volonté de l’Empereur d’Allemagne Guillaume II qui avait annexé l’Alsace et la Moselle à la suite de la désastreuse guerre de 1870… Le jardin botanique a conservé de sa vocation universitaire la présentation d’espèces rares. La serre de Bary, actuellement en attente de restauration, est l’unique survivante de celles construites au XIXe siècle : elle était destinée à cultiver le nénuphar géant. Une vaste serre moderne protège les plantes tropicales dont on observe les frondaisons depuis une tribune qui en fait le tour (accès extérieur assez pentu, nécessité de faire ouvrir les hautes portes pour entrer en fauteuil roulant). L’entrée est gratuite, de même que la visite guidée dominicale; des visites guidées pour déficients sensoriels sont régulièrement organisées.

Retour en centre-ville, pour une halte dans une église atypique, Saint-Pierre le Jeune, qui témoigne de l’évolution religieuse de la ville : sa nef était vouée au culte protestant, son chœur Rococo réservé au catholique, un « simultaneum » voulu par Louis XIV après sa conquête de la ville. Autres points d’intérêts de cette église : un rare jubé en pierre (il en reste six en Alsace) très coloré surmonté d’un orgue, et des peintures murales dont l’une copie la Navicella peinte par Giotto (original malheureusement disparu), exécutée au XIVe siècle. Le cloître attenant est inaccessible, mais on peut l’apercevoir depuis le seuil; c’est le seul conservé à Strasbourg. L’église est ouverte tous les jours à des horaires variables, ou dans le cadre de visites conférences organisées par l’Office de Tourisme (les parcours à accessibilité vérifiée sont signalés par pictogramme).

Encore un tour de tramway pour se rendre au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg (MAMCS). Installé dans un bâtiment moderne dominant l’Ill, face au barrage Vauban (actuellement fermé pour travaux de réfection). Le musée expose une vaste collection de peintures, sculptures, arts graphiques, photographie de la fin du XIXe siècle à nos jours : grands noms et nouveaux talents se côtoient dans des salles disposées de part et d’autre d’un long hall très lumineux. Accès aisé mais pas de visites adaptées en dehors de « Voir les musées autrement« .

Dernière étape de ce parcours culturel accessible et adapté (non exhaustif) dans la capitale alsacienne : la culture scientifique et technique s’expose au Vaisseau, dans un bâtiment bien adapté construit en 2005 au bord du Bassin Dusuzeau (lire cet article). Labellisé Tourisme et Handicap (moteur et mental), il propose également des explications en braille français (les cartels en noir sont trilingues français-anglais-allemand). L’établissement offre également une sensibilisation aux handicaps qui avait fait jaser au moment de son ouverture… On le voit, si l’accessibilité culturelle est remarquable à Strasbourg, son développement reste toujours affaire de volonté et de conviction !

Laurent Lejard, avril 2012.


L’avis d’un Strasbourgeois handicapé, Marcel Nuss :
 « Strasbourg est une ville culturelle relativement accessible. Excepté certains vieux cinémas du centre, reconvertis dans le cinéma d’art et d’essai (tel le Star) ce qui est très frustrant pour un cinéphile comme moi, ou le musée Alsacien, ainsi que certaines salles de concert (La Laiterie). Avec un handicap, on a de quoi voir et faire dans Strasbourg intra-muros : dans le cabaret de la Choucrouterie, ils sont même allés jusqu’à bricoler un plan incliné amovible en planches pour permettre à des personnes en fauteuil roulant d’accéder au restaurant et aux salles de spectacle. Le seul point noir scandaleux, c’est la grande médiathèque de Strasbourg, inaugurée en septembre 2008, dont les salles ne sont absolument pas accessibles en fauteuil roulant sans le secours d’une tierce personne. Non seulement, les battants des portes ne doivent pas excéder 60cm de large mais, en plus, elles sont très difficiles à manier car très lourdes. Que la ville de Strasbourg ait laissé faire sans broncher et que, quatre ans plus tard, elle n’ait toujours rien fait pour corriger ce problème est indigne d’une municipalité qui se vante par ailleurs de sa politique du handicap. »

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