Strasbourg paraît agréable à vivre pour des visiteurs handicapés : topographie assez plate, peu de voitures dans le centre, qui comporte un vaste secteur piétonnier, transports collectifs efficaces et en voie d’adaptation complète, larges trottoirs sur les avenues et boulevards rénovés… Mais si Strasbourg et sa communauté urbaine conduisent une politique volontaire en matière d’accessibilité, sa réalisation sur le terrain est loin d’être aisée. Ainsi la gare centrale SNCF consiste-t-elle un parfait cas de figure : rénovée en 2007 pour l’ouverture de la Ligne à Grande Vitesse Est, elle a été agrandie d’une verrière englobant la façade, sous laquelle se trouve une station de tramway. Si un guidage podotactile parcourt la verrière, propriété de la SNCF, il ne descend pas sur les quais du tramway, propriété de la ville ! Et ce guidage n’est pas poursuivi dans les parties anciennes de la gare, tel le couloir souterrain vers les quais. « L’aménagement n’a concerné que les nouvelles installations du fait d’une enveloppe budgétaire définie, explique Jean-Luc Schweitzer, responsable de l’unité gare. Il y a eu un problème de coordination sur le guidage. Les maîtres d’ouvrage, les exploitants sont différents, il faut concevoir des comités de sites pour que tout se coordonne et fonctionne dans un pole d’échange. »

Actuellement, qui a la responsabilité de faire régler le niveau sonore, totalement inaudible, des annonces dans les ascenseurs reliant la gare SNCF aux quais des tramways ? Mystère. Quant aux bandes de guidage podotactile, expérimentales, elles sont semblables à celles de la gare de l’Est à Paris, avec bornes sonores déclenchées par télécommande et indiquant au voyageur sa position dans la gare. Hélas, plusieurs de ces bornes hurlent littéralement, crachotent ou sont en panne : des matériels qui ne sont pas entretenus puisque la SNCF n’a pas prévu de contrats de maintenance… « Il va y avoir des contrats de maintenance sur les équipements d’accessibilité, assure Jean-Luc Schweitzer. Tout ne se fait pas en un jour. » Il faudra également modifier le cheminement des déficients visuels dans la verrière, le guidage podotactile ignorant la création ultérieure du terminus en surface d’une autre ligne de tramway. Enfin, on remarque que si les distributeurs automatiques de billets de trains régionaux sont équipés de la fonction vocale nécessaire aux déficients visuels, celle-ci n’est pas mise en service, sans que Jean-Luc Schweitzer lui-même en connaisse la raison…

Strasbourg a la chance de posséder un vaste réseau de tramway avec une très bonne accessibilité incluant des annonces sonores et visuelles, même sur les voitures anciennes : en effet, c’est à la demande de la ville que le constructeur ABB a conçu la première rame à plancher intégralement plat, assurant une bonne liaison depuis le quai. Avec toutefois une lacune verticale devenue hors-normes, obligeant le réseau à poser sur les quais de la ligne A un rehausseur de 6 cm desservant la porte avant.

Côté bus, le travail sera important puisque l’accessibilité totale du réseau est projetée à l’échéance 2015, à l’exception de quelques Impossibilités Techniques Avérées (ITA) sur des points d’arrêts qui restent à déterminer. L’aménagement de ces points d’arrêt repose sur un modèle-type adapté aux réalités de terrain. Ainsi, l’arrêt Saint Florent (Quai des Pêcheurs) dispose-t-il d’un abribus déporté du fait de la présence d’arbres. « La politique d’aménagement global s’inscrit dans le cadre de la charte Ville et Handicap de 1990, puis du tramway, explique Michel Koebel, chargé de l’accessibilité à la Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS). Elle s’appuie sur une concertation associative, des groupes de travail, des visites et tests sur sites d’essais, des correspondants ville et handicap dans les services. » Cela n’a pas empêché que survienne un conflit lorsque l’exploitant (CTS) a décidé sans concertation d’interdire à plus d’une personne en fauteuil roulant d’entrer dans un bus : après une manifestation d’usagers handicapés avec blocage du tramway, en novembre 2009, la Communauté urbaine a décidé d’aménager un deuxième emplacement fauteuil roulant en modifiant les autobus accessibles.

La CUS a adopté son Schéma d’Accessibilité des Transports en décembre 2009, en relevant 65.000 anomalies sur la voirie pour la réfection de laquelle 60 millions d’euros sont budgétés, 40 autres devant financer l’accessibilité des Etablissements Recevant du Public (ERP) et les transports. Mais il n’est pas prévu d’installer de valideur près des emplacements « fauteuil roulant » et poussettes, alors que tous les passagers doivent valider leur titre de transport sous peine d’infraction… Si Strasbourg est l’une des rares villes françaises à demander au conducteur de sortir la palette d’accès pour les poussettes, la personne qui accompagne ladite poussette doit traverser le bus pour valider près de la porte avant…

Une accessibilité de voirie en amélioration.

Les services municipaux ont élaboré un référentiel d’aménagement des espaces publics dont la place Arnold constitue une application toute récente : un guidage podotactile conduit vers les traversées piétonnes, le sol aisément circulant et roulant est traité en béton désactivé, pavés sciés et stabilisé. Les arceaux de parking à vélos, installés dans un alignement d’arbres, n’empiètent pas sur le passage des piétons. Mais il reste à élaborer, comme partout en France, un système d’entrée en « zone de rencontre » (voirie sans trottoir sur laquelle circulent piétons, vélos, fauteuils et automobiles) détectable par les aveugles. Strasbourg a lancé sur ce sujet une concertation avec des associations. Conceptrice en 2000 d’un système de guidage podotactile spécifique, le Pav’guide composé de petits pavés dont les stries étaient placées successivement en opposition à angle droit, la ville semble désormais s’orienter vers une pose en lignes continues, rejoignant ce qui se fait ailleurs.

De nombreux kilomètres de Pav’guide ont néanmoins été posés, notamment au bord des pistes cyclables, afin de réduire les risques de collision avec des cyclistes souvent peu attentifs aux piétons avec lesquels ils doivent partager les trottoirs. Si, dans les quelques secteurs pavés, Strasbourg a prévu des parties latérales dallées facilement roulantes, il reste à la municipalité à en faire respecter l’usage : commerçants et restaurateurs peu civiques y déploient en effet présentoirs et tables, obligeant fauteuils roulants et poussettes à rouler… sur le pavé !

Le service de transport de « trottoir à trottoir » MobiStras accepte de transporter les visiteurs handicapés sur simple envoi préalable d’un justificatif de handicap, mais il n’est pas encore utilisable pour un retour de soirée en ville, après un dîner entre amis ou un spectacle, par exemple, puisque le service s’arrête à 22H30. Enfin, le stationnement est payant y compris sur les emplacements réservés (à la demande des associations) alors que l’accessibilité de l’horodateur le plus proche est souvent médiocre sinon nulle.

Et l’interurbain ?

Le Bas-Rhin comporte 63 lignes régulières par autocars à plancher haut, et 12 services de transport à la demande (TAD). « Nous conduisons un programme de 100 points d’arrêt à mettre prochainement en accessibilité, précise Franck Siegrist, chef du service transport du Conseil Général. Il y a peu de travaux à réaliser du fait de l’urbanisme rhénan, on aménage simplement le point d’arrêt avec ses accès. On ne sera pas à 100% en 2015, il n’y a pas le budget. » L’objectif est en conséquence de traiter les 12 lignes principales plus une trentaine de secondaires qui ont un potentiel de transport de personnes handicapées. Et un gros problème, les lignes de rabattement vers des gares sans accessibilité : « Ces lignes ne seront pas mises en accessibilité, sans transport de remplacement, ajoute Franck Siegrist. On ne fait rien sur le réseau scolaire, en l’absence de suppression du décret de 1977 on poursuit avec les taxis et les VSL. La plupart des parents ne veulent pas d’intégration de leurs enfants handicapés dans les transports collectifs. »

Le Conseil Régional d’Alsace a la charge des transports ferroviaires régionaux, qui comportent 163 points d’arrêt. « Le Schéma Directeur d’Accessibilité des Transports a été adopté en 2008, précise Pierre Fierling, chargé des transports au Conseil Régional. 19 gares avec présence de personnel seront mises en accessibilité à l’horizon 2015, plus 19 Points d’Arrêts Non Gardés (PANG) dont ceux du tram-train de la vallée de la Thur, conçus pour se passer d’ascenseurs. »

Cela veut dire que 125 points d’arrêt resteront sans accessibilité en 2015, sans transport de remplacement parce que les PANG ne figurent pas dans l’obligation d’accessibilité… Les liaisons TER par autocar doivent être adaptées à l’horizon 2015, une expérimentation est en cours. « Cela représente une centaine de points d’arrêts à traiter, en fonction du choix de matériel découlant du cahier des charges, poursuit Pierre Fierling. Le plancher bas est plus cher à l’entretien et l’usage, mais préféré par les clients alors que le Conseil Général a fait le choix du plancher haut qui est plus capacitaire. » Des collectivités différentes, des maitres d’ouvrage différents, des approches différentes, des choix techniques différents et une synergie à élaborer entre les différents acteurs, l’accessibilité universelle d’un territoire reste donc à construire.

Laurent Lejard, novembre 2011.

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