Né au pied des Pyrénées, David Labarre y est revenu vivre au plus près de la nature, affrontant sa grande malvoyance tous les jours en allant marcher seul en montagne. Sa vie mouvementée, ses passions, d’abord le cécifoot au plus haut niveau de compétition puis les randonnées et l’alpinisme, il les raconte dans un témoignage recueilli par l’écrivain Jean-Pierre Alaux et publié chez Elytis, L’aventure à perte de vue.

Question : Vous adorez gravir les montagnes, mais pourquoi en parler dans un livre ?

David Labarre : J’ai besoin de raconter les choses fortes que je fais, pour les faire partager. Le plus important, c’est l’alpinisme. Le coup de projecteur, il le faut parce que les expéditions coûtent cher, la médiatisation permet de trouver les moyens. Mais quand on est face à la montagne, on ne triche pas, ce n’est pas possible.

Question : Même quand vous faites un trek dans les Pyrénées sans GPS ni aide ?

David Labarre : J’ai fait ce trek tout seul, sur 213 kilomètres transformés en 350 kilomètres avec les détours, les égarements. Quand il pleut et fait du vent, les feuilles en braille du roadbook, c’est compliqué à gérer. Je pars en montagne tout seul, je dors tout seul, c’est la liberté. Ma philosophie, c’est d’être libre. L’entraînement et l’effort physique que je fais n’est pas le même que pour le foot. Des efforts très longs, plusieurs heures de marche, suspendu au piolet, aux crampons sur les glaciers. Ça mobilise énormément de force et de concentration, un effort très dur. J’ai arrêté de fumer, impossible de gravir en fumant !

David Labarre au sommet du pic d'Aneto

Question : Mais il faut des moyens pour vivre ainsi ?

David Labarre : Bien sûr. Je travaille, sur des livres, des conférences, des sponsors à trouver. Je ne suis pas fait pour travailler de 9 à 17 heures, je me suis donné les moyens de gagner ma vie pour faire ce que je veux, en racontant sur scène aux gens des choses qui sont chouettes. J’ai énormément plaisir à ça. Un matin, je me suis levé sans avoir plus envie de faire du foot, qu’est-ce que je voulais faire ? La montagne ça ne fait pas vivre, avec deux expéditions par an. Mais les conférences me permettent de raconter tout ça, c’est important pour moi en direct, par vidéo ou dans un livre. Et je peux aller m’entraîner quand je veux. Là, je suis en train de déployer un guidage GPS pour aveugles et malvoyants, on le développe par vibration, pas par la voix. Vous savez, on a 30.000 jours à vivre en moyenne, et je pense qu’il faut les vivre à fond. C’est quand on arrive au 25.000e jour qu’on se rend compte qu’on est passé à coté. Les montagnes de la vie sont franchissables.

Question : Vous avez réussi à vous faire accepter des professionnels de la montagne, ça s’est passé comment ?

David Labarre : Au début, ça a été compliqué avec les guides, parce que je ne veux pas d’assistant. Quand j’ai rencontré ces gars, que ma soeur connaît depuis longtemps, ils connaissaient pas le handicap. Ils ont eu le courage de dire « oui, on part avec toi », ils pensaient me monter jusqu’en haut et ils ont compris que ce n’était pas comme ça parce que je pars tout seul, en ayant besoin d’un guide pour certains passages. Mais mon matériel, je le gère, les noeuds je les serre, je fais tout pour être autonome. Avec Frédéric [l’un des guides de montagne] on a vibré tous les deux sans être encordé en remontant un couloir de neige. Ce qui est fort et ce que je veux, ce n’est pas des grandes traversées sur le dos d’un homme. Mais être avec quelqu’un qui me guide, quand c’est nécessaire. J’essaie d’embarquer tout le monde dans mes trucs. On prépare une expédition au Maroc en mars prochain, qui se fera peut-être. Mais en juillet on va relier en tandem des faces très dures des Pyrénées, dont la face nord du Vignemale.

Question : On sent une réserve dans le livre, comme si vous vouliez préserver les sensations plus intimes…

David Labarre : J’ai voulu me protéger et pas totalement me livrer, je prends beaucoup de recul et sur ce premier livre je n’ai pas voulu m’exposer. La montagne, c’est ma seconde femme : je l’écoute, je la touche, c’est vachement important. J’écoute l’environnement, humblement, et s’il faut faire demi-tour je n’hésite pas. Là, il n’y a pas d’arbitre avec des règles. Il faut savoir être humble et se dire que la montagne ne veut pas de nous.

Question : C’était la même chose avec votre engagement politique pour les législatives de 2017 ?

David Labarre : La politique, je n’en parle pas aujourd’hui, peut-être plus tard. C’était une expérience, on a le droit de faire des erreurs. Une belle expérience parce que j’ai pu rencontrer des gens, mais j’étais trop sincère, ce n’est pas un monde qui me correspond, un monde pourri. Dans ce milieu, on est souvent comme les autres.

David Labarre conduit une transhumance de moutons

Comment l’auteur d’une série télé en est venu à écrire les récits de David Labarre ?

Question : Comment avez-vous rencontré David Labarre ?

Jean-Pierre Alaux : Je suis journaliste, et pas du tout féru d’alpinisme ou de football. La vie a été ainsi que j’ai évolué comme romancier en écrivant Le sang de la vigne, adapté en série télé. C’est par l’intermédiaire d’un ami que j’ai rencontré David Labarre, un personnage très attachant. J’ai décidé de ne pas passer à côté. Ce qui m’a intéressé, c’est le sort d’un gamin de la campagne, comme moi. Son handicap qu’il vit pas si mal, pensionnaire dès 5 ans, une scolarisation catastrophique malgré des enseignants attentifs, un père autoritaire absent, une mère très présente. Il se retrouve orphelin, son démarrage dans la vie est difficile, il s’en sort en tapant dans un ballon, un catalyseur, un moyen d’expression. Quand il se fixe un objectif, il s’y tient. Ça m’a sidéré. Quand il a fait le tour du cécifoot, il est revenu à ses premières amours, la montagne. Il recule la ligne d’horizon.

Question : C’est vous qui racontez à partir des récits de David, alors qu’habituellement l’écrivain sert de plume…

Jean-Pierre Alaux : Je n’ai pas voulu jouer le nègre littéraire, en le publiant chez Michel Lafon, j’ai préféré qu’il passe par mon prisme. Ça a été un travail difficile, il fallait qu’il se mette à nu. Il ne veut pas être traité en handicapé, et sortir du personnage à « leçon de vie ». Je ne souhaitais pas en faire un personnage inspirant, avec du pathos. Il ne le souhaitait pas également. Son handicap fait partie de sa vie, il l’accepte. Il ne parle pas de courage, tout en sachant qu’il ne peut pas tout faire seul en montagne. Il a su s’entourer de gens de la montagne, il est au centre du groupe. Il a le goût de l’aventure, de se débrouiller seul, il ne se laisse pas démonter, et croit en lui. Et sa fille lui donne un objectif, il y est très attaché, sa pensée le guide pour réussir. David voulait témoigner, c’est encore un enfant qui a des rêves à réaliser.

Laurent Lejard, novembre 2020.

David Labarre – L’aventure à perte de vue, par Jean-Pierre Alaux, éditions Elytis, 15,90€ en librairie.

Couverture du livre L'aventure à perte de vue
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