Musée d’Aquitaine : Nicolas Caraty se dirige en souriant vers la salle de Préhistoire, se place avec naturel devant des reconstitutions de peintures pariétales et les présente tout aussi naturellement. Plus loin, c’est la statue d’une Vénus âgée de 25.000 ans qu’il détaille, puis un rare torque gaulois en or massif, une statue d’Hercule, un Mithra… On l’écoute, captivé, narrer l’histoire de ces objets… qu’il n’a jamais vus : Nicolas Caraty est aveugle, et il est probablement le seul en France à exercer le métier de guide conférencier dans un musée. Pour tous les publics.

Un métier vers lequel les hasards de la vie l’ont mené, son entourage ayant d’abord choisi pour lui une autre profession, plus traditionnellement dédiée aux aveugles : accordeur de piano, dont il a préparé le CAP à l’Institut National des Jeunes Aveugles à Paris. « Ça m’intéressait mais il n’y avait pas de débouchés. Travailler a toujours été pour moi quelque chose d’essentiel pour avoir une reconnaissance sociale. J’ai essayé de répondre aux opportunités qui s’offraient ». Opportunités qui l’ont conduit à devenir animateur culturel en Contrat Emploi-Solidarité pour une association disparue depuis, activité polyvalente qui l’a incité à faire de la médiation culturelle.

Mais auparavant, son chemin l’a amené à travailler dans la télévente, à temps partiel, ce qui lui permettait de faire du sport (il a été, avec l’équipe de France, vice-champion d’Europe de cécifoot en 2005) et mener des activités associatives. Jusqu’à ce que les inconvénients du métier de téléconseiller et le stress qu’il engendre conduisent Nicolas Caraty à faire de la médiation culturelle au Futuroscope de Poitiers, qui lançait une « attraction » de guidage de visiteurs dans le noir par des aveugles (Les yeux grands fermés), et sur des vacations de plusieurs mois au Musée d’Aquitaine : « Le musée créait un poste. J’aime bien la médiation, expliquer, j’aurais aimé être enseignant. La durée d’une visite est un bon timing, pour donner, et aussi recevoir, transmettre, communiquer. L’apprentissage a été long, j’avais peu de méthode et mes collègues non plus. J’ai mis trois mois à assimiler les salles de Préhistoire. Maintenant, je vais de plus en plus vite. Et je comprends le public, son attraction pour les objets visuels, son dédain pour d’autres… Ce qui va m’attirer, ce n’est pas forcément l’objet le plus flashy ! Un objet me plaît par sa texture, une approche liée à mon handicap, j’aime aller chercher celui qui est enfoui dans une vitrine, comme par exemple ce biberon gallo-romain qui renvoie beaucoup de choses à tout le monde… »

Il lui a fallu un an pour assimiler les collections, 5.000 objets répartis sur 5.000 m², des très grosses oeuvres aux plus petits objets. « J’ai étudié tout ce que l’on a en documentation, sur informatique, pour acquérir les données que je ne maîtrisais pas, en numérisant des documents. Autant que possible, j’ai touché les objets afin de percevoir les oeuvres, mais je parle également de pièces qui n’ont pu être sorties des vitrines pour des questions de sécurité. Je me suis inspiré du travail des autres guides… qui s’inspirent aussi de mes visites ! On travaille comme cela dans beaucoup de musées. »

Médiateur culturel ou guide conférencier, son titre n’est pas tout à fait encore défini, la ville de Bordeaux élaborant actuellement sa politique en la matière. Mais d’ores et déjà, Nicolas Caraty peut postuler dans n’importe quel établissement culturel. « Il a d’abord fallu convaincre les personnes qui se sont lancées dans l’aventure, vérifier si le poste était viable. On a décidé de demander un recrutement permanent à temps plein, une fois les écueils contournés. Quand le chef de service a annoncé un médiateur aveugle, on l’a pris pour un dingue ! On craignait l’incompréhension du public, un gag genre ‘caméra cachée’, des freins qui n’existent plus aujourd’hui; les a priori sont gommés. »

Il ne semble pas exister actuellement en France d’autres guides aveugles de musées tous publics. « Même si mon expérience est connue dans les musées, elle reste de l’ordre de l’improbable, du domaine de l’oiseau rare… On se demande si le public aura le même contenu, la même visite, c’est un peu particulier. Alors qu’il y a des milliers de musées, il pourrait y avoir des postes. Le public prend conscience de la cécité du guide, ce qui implique une manière particulière pour se placer dans les salles, prendre la parole : par exemple, les élèves ont l’habitude de lever le doigt et d’attendre pour parler. Parfois, il y un petit moment de flottement. On a davantage tendance à guider un non-voyant qu’à être guidé par lui ! A la fin de la visite, on a oublié que je ne voyais pas. Et un nouveau champ des possibles est ouvert… »

Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2011.

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