« L’institut des jeunes aveugles du Mali a été créé en 1973, explique Sidiki Diarra, directeur du 1er cycle. En 1969, les aveugles maliens vivant en Cote d’Ivoire et au Sénégal ont été refoulés, donc ils se sont regroupés dans la cour de la grande mosquée de Badalabougou, un quartier de Bamako. Les Amis du Sahel, une O.N.G malienne appuyée par les affaires sociales, a regroupé les aveugles à partir de 1971, et en septembre 1972 l’association a été formalisée par la création de l’Association Malienne pour la Promotion Sociale des Aveugles. De cette association est née l’idée de commencer l’éducation des aveugles qui, pour le commun des mortels, était quelque chose d’impossible. C’est à partir de là que l’institut a été créé ».

L’institut est installé à Faladié, dans le district de Bamako, et dispense l’enseignement primaire et secondaire : dans le premier cycle, les élèves sont tous aveugles ou malvoyants, le second cycle fonctionne en intégration avec des voyants. « Vu les difficultés du pays et celles de l’institut, poursuit Sidiki Diarra, les frais d’études d’un élève aveugle ont été évalués à 120.000 Francs CFA (environ 180€) par année scolaire. Avec l’aide des bailleurs de fonds, des parrains et des marraines, il a été décidé que chaque élève en paye une partie symbolique, 30.000 Francs CFA (45€) pour sa prise en charge durant toute l’année scolaire. Donc, nous sollicitons le bailleur de fonds pour lui dire que tel élève a payé sa participation, le bailleur est sensibilisé parce que l’enfant a pu donner quelque chose pour ses frais d’études. Une manière de dire ‘aide-toi le ciel t’aidera… »

En l’absence de statistiques, il est difficile de savoir combien d’enfants déficients visuels sont passés par l’INAM. Sidiki Diarra se souvient : « La première promotion était composée de six élèves : Mamadou Keita, N’golo Konare, Mariam Doumbia la femme d’Amadou Bagayogo, Daouda Cissé, Djibril Fane et Amadou Bah qui est malheureusement décédé. Nous recrutons, au niveau de la 1ere année, 15 à 20 élèves annuellement. De 1973 à maintenant, nous aurons donc accueilli près de 600 élèves malvoyants et aveugles. Une classe spéciale ne doit pas dépasser 10 à 12 élèves; quand c’est le cas, il faut obligatoirement 3 à 4 enseignants supplémentaires. Généralement, le taux d’abandon ou d’exclusion est très faible : tous les élèves qui rentrent à l’institut suivent le plus souvent jusqu’en 6e année (fin d’école primaire), puis continuent jusqu’à terminer le cycle supérieur ou avoir un diplôme secondaire. Rares sont ceux qui échouent en cours de chemin. Le matin il y a la théorie, l’après midi les activités sportives, manuelles et culturelles, le soir les exercices. Avec ce système, il est très difficile qu’un enfant ne réussisse pas ! Sur les 600 élèves malvoyants ou aveugles, les deux tiers ont passé le cap du Certificat d’Etudes Primaires et du Diplôme d’Etudes Fondamentales [équivalent du Brevet des collèges, indispensable pour poursuivre au lycée]. Actuellement, nous avons 89 anciens élèves aveugles et malvoyants de l’institut qui travaillent dans la fonction publique. Dans toutes les juridictions du Mali il y a un handicapé visuel qui est là comme greffier ou greffier en chef, dans toute l’administration il y a des aveugles. Une douzaine se sont installés à leur compte, dont le célèbre couple de musiciens Amadou et Mariam. Au total, 101 anciens élèves de l’institut ont une activité pour le développement du pays, sans parler de ceux dont nous ignorons le sort… »

L’enseignement est dispensé en français : « Nous sommes un établissement à éducation spéciale, précise Sidiki Diarra, mais nous sommes obligés de suivre le programme officiel. En matière d’éducation spéciale, certaines pédagogies sont appliquées, telle la différenciation : par exemple, lorsque l’on demande à un élève voyant de faire un croquis annoté, on différencie le processus pour l’aveugle. Un seul élève aveugle correspond à 12 élèves ordinaires en terme d’effort du maître, parce que c’est un enseignement individuel. L’enseignement se fait avec le braille, l’écriture de travail, mais certains enseignants ici ne maîtrisent pas la machine braille, ni la photocopie braille. Ces technologies sont dépassées mais nous n’avons pas, au Mali, de machine thermo-gonflable. Nous travaillons encore avec des tablettes braille mais sommes obligés de laisser sur la touche quelques enfants, faute de moyens. Chaque année, nous recevons 30 à 40 demandes alors que nous ne pouvons prendre que 10 à 20 élèves, faute de personnel qualifié et de matériel. Durant toute l’année dernière, les élèves de la 1e et de la 3e année n’avaient pas de tablette. Donc, il fallait que les élèves de la 4e et 5e année fassent autre chose pour qu’on leur retire les matériels et aller les donner aux élèves de la 1e et de la 3e année… L’état des infrastructures est moyen; voyez mon bureau : s’il pleut, l’eau coule à flot ! Dans d’autres classes c’est pareil. Il n’y a pas de toilettes pour les enseignants, c’est tout même aberrant, il n’y a qu’une seule toilette pour l’administration. Au niveau du second cycle, le ministère a construit des salles de classes et 6 toilettes. Pour le premier cycle, les toilettes sont à 100m des salles de classe. Avec des élèves handicapés visuels, c’est très dur. »

Les activités sportives sont en cours de développement : « Nous avons quelques matériels de sport, explique Sidiki Diarra. Trois enseignants seulement, des anciens, connaissent le sport pour handicapés visuels. Dieu merci, le Gouvernement vient de nous envoyer un professeur d’éducation physique sorti de l’Institut National des Jeunes pour le Sport (INJS). Il est en train de dynamiser l’activité sportive. Nous avons trois terrains, une aire pour l’éducation physique classique, la gymnastique, et deux autres pour le volley-ball et le football pour handicapés visuels ».

L’avenir de l’institut est néanmoins incertain : « La politique change dans le monde entier, constate Sidiki Diarra. Les institutions d’éducation spéciale, même si on ne les ferme pas dans un avenir immédiat, je pense que tôt ou tard elles risqueront de changer de nom et deviendront des centres de ressources parce que c’est l’intégration qui prévaut actuellement. C’est obligatoire, il faut mettre les enfants handicapés visuels dans les écoles normales et mettre les enseignants pour le suivi. Le Mali a adopté la pédagogie intégrative, en avance sur les autres pays. Dans les régions de Ségou, Gao, Mopti, le district de Bamako, quelques écoles sont ciblées pour l’intégration et ça marche très bien. Concernant l’avenir, si l’on n’y prend pas garde, nous aurons d’énormes problèmes pour ce qui concerne le matériel qui est excessivement cher. Quelques exemples : un poinçon coûte jusqu’à 850 Francs CFA (1,40€) contre 75 Francs CFA le bic ordinaire; une rame de papier vaut 20.000 Francs CFA (33€) alors que le cahier des voyants coûte 150 à 200 Francs CFA (0,33€); une tablette est facturée jusqu’à 12.000 Francs CFA (19,77€), une machine à écrire braille jusqu’à 1 million de Francs CFA (1.647€), etc. Il n’y a pas d’équipement informatique à l’Institut. Quelqu’un ici a suivi une formation spécifique en France, il travaille au développement social. Un autre a appris avec lui, ces deux là ont un outil informatique adapté qu’ils ont ramené de France. Le budget de l’INAM est insuffisant, il faudrait le revoir pour que nous puissions faire face à beaucoup de nos dépenses. Nous avons besoin de matériel, et de formation des enseignants pour pouvoir le manipuler. Pour les manuels scolaires, il y a une bonne politique du livre au Mali mais, le plus souvent, les livres de lecture que l’on nous donne ne sont pas appropriés. »

Enseignant, Dramane Traoré est un ancien élève de l’INAM : « Cela fait plus de 25 ans que je suis ici. J’y suis venu trouver un respect mutuel entre maître et élèves, et c’est ce qui demeure. A travers le quotidien, les élèves nous montrent qu’ils nous aiment. Nous avons beaucoup fait pour développer le sport au sein de l’institut : l’athlétisme, la lutte traditionnelle, le football pour handicapés visuels. Certaines disciplines ne sont pas pratiquées faute de matériel, tels le javelot ou le vélo tandem, que l’on aime pourtant beaucoup… » Un autre enseignant, Djibril Coulibaly, apprécie « le partage entre nous, l’entente qui prévaut, l’amour des uns envers les autres, l’acceptation du handicap que nous partageons tous ». Tout en regrettant « les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, qui nous empêchent de mener convenablement nos activités. Surtout le manque de formation des enseignants. J’aimerais que l’Etat, qui est notre soutien principal, nous aide à aller suivre une formation spéciale. Heureusement, je suis un fruit de l’institut, j’ai fait toutes mes études à l’INAM, j’ai pu cerner quelques pratiques pédagogiques de mes anciens maîtres. Cela m’aide beaucoup dans mon métier d’enseignant. »

Un tableau idyllique que tempère toutefois un élève de 5e année : « Les élèves sont à l’internat pour étudier, mais certains n’aiment pas travailler. Certains enseignants nous frappent, les cuisinières ne préparent pas bien la nourriture mais nous étudions parce que nous savons pourquoi nous sommes là. L’INAM nous éduque, nous instruit et nous prépare pour un avenir meilleur ». Une élève de 6e année s’interpose : « Je trouve l’internat très bien, assure-t-elle, parce que nous mangeons et jouons ensemble dans une très grande solidarité. Etant une fille handicapée visuelle, l’INAM est le seul institut qui nous permet d’étudier et nous donne la confiance d’affronter la vie comme toutes les autres personnes. »

Propos recueillis par Abdoulaye Coulibaly, janvier 2009.

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