Très rares sont les journalistes aveugles, et Lazaro Rodriguez Ortega confirme l’exception : il exerce cette profession depuis 13 années, entré dans la carrière alors qu’il avait 17 ans, en octobre 1995 : « J’étais correspondant sportif, j’envoyais en tant que volontaire non rémunéré des informations à des médias » explique-t-il. Il a suivi ensuite des études supérieures qui l’ont conduit à obtenir un diplôme international de journalisme sportif, ainsi que plusieurs autres spécialisations : « Cinq années d’expérience correspondent à une année de formation, précise-t-il. Cela n’a pas été facile pour les autres de concevoir qu’un aveugle soit journaliste sportif, ça a été une bataille… » Depuis 4 ans, Lazaro Rodriguez Ortega est salarié. « J’aime le sport et je couvre, depuis 2002, celui pratiqué par les personnes handicapées ». Il présente ainsi, tous les lundis à 21h45, une émission sur Radio Coco (La Havane) qui est reprise en différé sur des radios locales ou provinciales. Outre les reportages qu’il réalise, on lui communique des informations auxquelles il ajoute ses commentaires, et diffuse les résultats des compétitions nationales. « L’émission dure 15 minutes, mais pour les Jeux Paralympiques de Pékin 2008 et d’Athènes 2004, elle était quotidienne ». Des Jeux qu’il a suivis depuis Cuba, et qu’il rêve de couvrir en 2012 à Londres. Même s’il n’assure pas de commentaires sportifs passionnés sur le ton endiablé typique des journalistes latino-américains, il constate une progression régulière de l’audience de son émission hebdomadaire.

Il fournit également des informations aux autres médias sportifs, dont une trentaine de « capsules » d’une minute diffusées chaque mois sur diverses radios, et travaille pour la chaîne éducative de la télévision cubaine, Canal Educativo. Une activité professionnelle qui, si elle apparaît chargée, ne lui permet pas de vivre seul, sa rémunération étant insuffisante. Lazaro habite donc chez sa mère : « Vivre n’est pas facile, mais c’est comme pour tout le monde ! ». Il réside à Santa Fe Playa, un quartier éloigné du centre de La Havane. En fin de semaine, il reçoit sa fille, âgée de 9 ans : il attribue une part de l’échec de son mariage à ses beaux-parents, qui supportaient mal la cécité de leur gendre. « J’ai vu jusqu’à l’âge de 13 ans; je jouais au foot comme gardien de but, au base-ball, je faisais du vélo. C’est comme cela que je connais le sport. Je me sers beaucoup de l’ouïe, ce qui me permet de me représenter les actions, et je suis aidé par mes collègues journalistes, qui ont beaucoup de considération pour moi, et les spectateurs qui commentent ce qu’ils voient. Je travaille de mémoire, et avec un petit magnétophone ». Il rédige rarement en braille, estimant que la lecture en est trop lente et monocorde. S’il a suivi des cours d’informatique, il ne dispose pas d’un ordinateur adapté et c’est sa mère qui lui lit journaux et autres livres : « Je n’aurai jamais de meilleure machine à lire ! sourit-il. Je veux m’améliorer, en préparant une licence en culture physique, pour aider davantage les personnes handicapées et qu’elles soient vues comme des personnes normales. Il reste des barrières dans la tête des gens, et de la discrimination, ne serait-ce qu’à cause des difficultés économiques. Par exemple, un ballon de goal-ball coûte 80$ : quand il en faut une trentaine dans un club, c’est cher ! »

Depuis 2004, les journalistes handicapés cubains forment un sous-groupe au sein de l’organisation professionnelle des journalistes. « Beaucoup d’auditeurs ne savent pas que je suis aveugle. Etre handicapé, où que ce soit dans le monde, est un problème parce que les gens ont leur propre perception. A Cuba, notre atout est l’appui du Gouvernement, malgré le blocus et les difficultés économiques. On n’a pas de problème pour étudier, y compris en école spécialisée. Celui qui n’étudie pas ne le veut pas, ou bien son handicap ne le permet pas. Les aveugles travaillent dans des métiers généraux, et comme professeurs, musiciens, accordeurs, informaticiens. Beaucoup d’autres métiers pourraient leur être ouverts, mais quelque part, cela dépend des personnes handicapées elles-mêmes : jusqu’où souhaitent-elles aller ? »

Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2008.

Partagez !