En septembre 2002, trois organisations de déficients visuels et l’Agefiph ont lancé une enquête nationale pour réaliser un état des lieux le plus complet possible de la situation professionnelle des personnes déficientes visuelles sorties des établissements d’enseignement et de formation entre 1991 et 2001. Plus de 700 d’entre elles (25% des personnes contactées) ont répondu. Basée sur le volontariat, cette enquête n’est pas un état statistique mais plutôt un tableau indicateur utile à ceux qui conçoivent les systèmes d’enseignement, conseillent en matière d’orientation professionnelle et proposent des adaptations tenant compte des besoins liés à une déficience visuelle. Elle met en cause bien des idées reçues sur l’intérêt de l’éducation spécialisée et les attentes des déficients visuels dans le domaine professionnel.

L’éducation. L’échantillon des répondants a un niveau de formation élevé : 27% de bac+3 (dont une centaine de kinésithérapeutes), 12% de bac+2, 20% de bacheliers. Ces chiffres sont supérieurs à la moyenne nationale (83% des aveugles répondants sont bacheliers contre 79% de la population générale). Les personnes les moins autonomes sont aussi les moins diplômées, il en est de même pour les déficients visuels ayant des troubles associés. Les scolarisés demandent une orientation professionnelle librement choisie, et non plus subie, au besoin avec des aides et un accompagnement; ils souhaitent également une évolution et une adaptation à leurs besoins spécifiques de la formation initiale. La déficience visuelle oblige à une durée plus longue des études, l’écart avec la population générale s’amenuisant avec l’élévation du niveau de diplôme. Peu de personnes déclarent avoir arrêté leurs études du fait de difficultés liées à leur déficience, sauf à l’Université (12%) à laquelle elles reprochent un manque d’aides et de supports adaptés : seuls 70% des répondants jugent le soutien suffisant, chiffre le plus bas de tous les cycles et types d’établissements. Les plus autonomes dans les actes de la vie quotidienne sont aussi ceux qui ont le plus suivi une scolarité en milieu ordinaire, les autres alternant des périodes dans l’enseignement spécialisé et l’école traditionnelle. Cette alternance est l’une des causes de l’allongement de la durée des études. La scolarité dans les établissements ordinaires permet d’obtenir de meilleurs résultats lors de l’examen du Brevet des collèges et dans la poursuite d’études vers le Baccalauréat. Nombre de personnes reprochent au milieu spécialisé de « materner » les déficients visuels, de mal préparer à la vie en société et de manquer d’ouverture vers le milieu ordinaire.

L’emploi. 54% des déficients visuels répondants travaillent, valeur inférieure à la moyenne nationale. Un quart sont demandeurs d’emploi, 14% sont en formation, 7% ne veulent pas travailler. 28% ont des activités associatives bénévoles; pour la plupart, ce sont des aveugles qui ont fait leurs études dans le milieu spécialisé. Quelques tendances se dégagent : les plus diplômés qui ont suivi une scolarité en milieu ordinaire sont davantage au travail et avec une rémunération convenable, les moins diplômés qui ont fait leurs cursus dans l’enseignement spécialisé sont davantage demandeurs d’emploi. Les 2/3 des déficients visuels travaillent dans le secteur public ou associatif; ceux qui optent pour le privé sont généralement les jeunes les plus autonomes. Les 28% du secteur public (moyenne nationale, 20%) sont les moins autonomes et les plus âgés. Le taux d’emploi dans l’associatif est plus de dix fois supérieur à la population générale (18% contre 1,5%). Les métiers de l’administratif ne représentent plus qu’un tiers des travailleurs. Le télétravail demeure embryonnaire (8%), le contrat à durée indéterminé est très répandu (78%). Les travailleurs ont un poste adapté dans 53% des cas, 22% estimant l’aménagement réalisé sans intérêt. 1 personne sur 2 estime avoir des perspectives professionnelles. 1/3 des répondants déclarent un salaire supérieur à 1.500 euros par mois, et 1 sur 2 est passé par le chômage. L’entrée dans l’emploi s’est fait par candidature spontanée pour un quart des personnes qui estiment marginal l’impact des intermédiaires spécialisés de placement : l’A.N.P.E et Cap Emploi ont placé chacun 5% des répondants, les établissements spécialisés 6%. Les répondants sont très critiques à l’encontre de ces organismes, évoquant une méconnaissance de la déficience visuelle et des aides techniques ainsi qu’un manque de suivi. La fonction publique fait également l’objet de nombreux commentaires négatifs. Quelques professions ont encore la « côte » pour leur taux élevé de débouché professionnel : 94% des kinésithérapeutes trouvent un emploi. Dans les professions du secteur comptable et financier, le taux d’insertion est de 79%, alors qu’il n’atteint que 55% dans l’hôtellerie et 43% dans le secrétariat.

Pour conclure cette présentation succincte, on peut considérer que cette première étude dresse un tableau très intéressant de l’adéquation du système d’enseignement et de formation aux attentes professionnelles et aux besoins spécifiques des déficients visuels. Dommage que l’Association Valentin Haüy, l’un des commanditaires de l’étude, refuse dans un étrange réflexe propriétaire d’en publier le rapport final contrairement à ce qu’elle affirmé en septembre 2002…

Laurent Lejard, avril 2004.

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