Artemisia absinthium, tel est le nom scientifique d’une plante à fleurs jaunes dont l’utilisation dans la fabrication du célèbre spiritueux auquel elle a donné son nom a fait couler beaucoup d’encre, notamment pendant sa prohibition durant près d’un siècle. Bien que de nouveau autorisée en France depuis mars 2005 (ce que certains ignorent encore) avec des proportions différentes de thuyone, son composant le plus controversé, l’absinthe conserve une aura méphistophélique que conforte l’imaginaire lié aux artistes « maudits » du XIXe siècle, son âge d’or, et au véritable rituel lié à sa préparation: on verse une dose d’alcool dans un verre, puis on place un morceau de sucre sur une cuillère percée, de manière à ce qu’il se dissolve goutte à goutte (idéalement, l’eau est issue d’une fontaine idoine) afin de se mélanger au liquide un peu trouble qui se forme en dessous, créant des volutes dans lesquels les poètes ont voulu voir la fameuse « Fée verte »… Le résultat, qu’il est préférable de consommer avec modération, s’avère à la fois plus fort en alcool et plus doux au palais, sans cette prédominance anisée liée à la badiane que l’on retrouve dans le pastis (terme à proscrire dans la région qui nous intéresse). Point n’est donc besoin d’y rajouter de glaçon, certains puristes se passant également de sucre… voire d’eau !

Si elle a connu un succès phénoménal en France, l’absinthe n’en demeure pas moins originaire de Suisse, où Henry-Louis Pernod (ce nom vous rappellera quelque chose!) a ouvert la première distillerie au début du XIXe siècle avant de s’installer à Pontarlier, de l’autre côté de la frontière, prélude à une saga industrielle qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Si la maison Pernod a survécu à la prohibition en développant d’autres produits alcoolisés (dont le pastis), de nombreux distillateurs aux reins moins solides ont disparu ou sont entrés en clandestinité.

À Môtiers, pittoresque village suisse du Val-de-Travers, la très belle Maison de l’absinthe récemment inaugurée dans un ancien poste de police (cela ne s’invente pas!) retrace cette histoire mouvementée grâce à une muséographie ultramoderne et parfaitement accessible d’où l’on ressort logiquement avec l’envie de goûter à la Fée verte et rencontrer ses fabricants. Un espace de dégustation, en rez-de-chaussée, permet de répondre au premier besoin (on peut même utiliser la fontaine d’eau de source attenante à la Maison), le second pouvant être satisfait par la vocation du lieu, relais officiel de la Route de l’absinthe développée par des organismes institutionnels des deux pays.

À l’autre bout du village, l’Absintherie du Père François, accessible de plain-pied, présente une collection rassemblée par un distillateur passionné, celui de l’Élixir du Pays des Fées: tout un programme! On peut également déguster sur place et, si le courant passe avec l’hôte des lieux, se faire expliquer comment atteindre certains repaires, en pleine nature, où se cachent lesdites fées…

Une affaire d’adultes, l’absinthe ? Oui et non : outre le plaisir de découvrir en famille de fort beaux paysages et un terroir encore authentique, on peut pousser jusqu’au hameau de Noiraigue, toujours dans le Val-de-Travers, où est niché l’un des plus prestigieux chocolatiers suisses : Jacot. Vous ne le connaissez pas ? Normal : seuls les initiés en ont entendu parler, notamment via les ambassades helvétiques dont il est le fournisseur officiel. Un espace de présentation/ dégustation est ouvert au public sur réservation (payante, mais la qualité de la prestation mérite largement le prix), incluant en option la découverte des vins locaux et leur association avec le chocolat. Prévenir pour que le personnel installe la rampe qui permet aux utilisateurs de fauteuils roulants d’accéder par le côté droit du bâtiment. La maison propose évidemment sa propre déclinaison de l’absinthe, alcoolisée ou pas : magique !

Côté français, les enfants sont également à la fête à Nancray, dans le Doubs, au musée des Maisons comtoises. Ce vaste espace éco-muséographique rassemble une trentaine de beaux exemples d’architecture locale pieusement démontés puis restaurés sur place avec le souci de respecter leur orientation et leur environnement d’origine, cultures et animaux compris. Comme elles ont conservé leur mobilier, on a parfois l’impression troublante que leurs habitants viennent juste de s’absenter. Des expositions temporaires et des animations, notamment culinaires, sont régulièrement proposées aux visiteurs, tous âges confondus. Seuls bémols : le site, vallonné, requiert une aide quand on se déplace en fauteuil roulant manuel, et les étages des maisons ne sont pas accessibles. Tout a été fait, néanmoins, pour compenser cet inconvénient : outre un plan de visite spécifique, un guide braille et des tablettes présentant les parties inaccessibles sont disponibles à l’accueil, ainsi que des fauteuils roulants en prêt (dont un pour enfant). Des visites adaptées aux personnes déficientes sensorielles sont également proposées en saison. Restauration possible sur place (sauf le vendredi), toilettes adaptées, emplacements de parking réservé près de l’entrée.

L’absinthe, on la retrouve évidemment à Pontarlier, sa capitale française, où le musée municipal, installé dans une élégante demeure bourgeoise, présente notamment deux salles consacrées à la Fée verte, vue sous l’angle artistique, scientifique et commercial. S’il vous reste du temps, attardez-vous dans les collections dédiées à l’art comtois ou à l’archéologie: elles sont tout à fait passionnantes, de même que les expositions temporaires abordant des sujets en rapport avec la région.

Au moment de la prohibition, Pontarlier comptait une vingtaine de distilleries qui employaient la majorité de la main d’oeuvre locale et produisaient la moitié de la consommation mondiale! Il n’en reste aujourd’hui que deux: celle de Pierre Guy et, en « banlieue » (à La Cluse-et-Mijoux) celle des Fils d’Émile Pernot. La première, toujours tenue par les descendants du fondateur, qui ont beaucoup oeuvré au retour en grâce de la Fée verte, est une véritable caverne d’Ali-Baba sur laquelle flotte le parfum délicieux des nombreuses liqueurs produites par la maison et qui ont permis à celle-ci de survivre à l’interdiction. Voir fonctionner les antiques alambics de cuivre ou échanger avec le personnel passionné qui les fait vivre, est un véritable bonheur!

La seconde distillerie, dominée par le célèbre château de Joux (hélas toujours inaccessible en fauteuil roulant) produit tout autant de liqueurs, avec la même diversité et la même qualité de composants, dont des absinthes vieillies trois ans en fût de chêne qui valent réellement le détour. Vous pourrez profiter de votre visite parmi les alambics pour demander l’origine du T dans ce Pernot-là! Dégustation possible sur place, toilettes adaptées.

Sachez enfin que tous les ans depuis une quinzaine d’années, la ville de Pontarlier accueille des Absinthiades rassemblant collectionneurs, artistes, distillateurs, chocolatiers et institutions culturelles; les prochaines auront lieu les 4 et 5 octobre 2014 : tout le monde est invité !

FRAC de Besançon.

Quoi de neuf à Besançon ?

La ville natale de Victor Hugo (mais aussi des frères Lumière et de bien d’autres personnalités) a évidemment évolué, depuis la présentation que nous en faisions en 2007. Outre le développement du secteur piétonnier et l’inauguration toute récente du tramway (autant de bonnes nouvelles pour les utilisateurs de fauteuils roulants), la maison où naquit l’auteur des Misérables a fait l’objet en 2013 d’un aménagement muséographique ambitieux et accessible permettant à tout un chacun de se familiariser avec ce véritable monument de notre littérature; lequel n’est toutefois resté que quelques mois ici avant de suivre ses parents dans le sud de la France… Par un hasard assez extraordinaire, c’est sur cette même place que sont nés l’écrivain romantique Charles Nodier et les frères Lumière, qui attendent toujours leur propre musée…

À l’autre bout de la ville, la Cité des Arts et de la Culture, due à l’architecte japonais Kengo Kuma, déploie ses fastes de verre, de bois et d’aluminium à l’emplacement de l’ancien port fluvial sur le Doubs. Elle rassemble, depuis 2013, le conservatoire de musique, danse et art dramatique de Besançon, ainsi que le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de Franche-Comté. En dehors des journées Portes ouvertes, seule cette partie est ouverte au public, à l’occasion d’expositions temporaires d’Art Contemporain de très haute tenue. Toilettes accessibles, restauration possible sur place.

Le meilleur moyen de se familiariser avec les artistes de notre temps (qui seront, pour certains, les classiques de demain), consiste à interroger les médiateurs présents dans chaque salle, ou s’inscrire à l’une des nombreuses visites accompagnées qui sont organisées tout au long de l’année dans ce bâtiment à l’accessibilité perfectible. L’occasion de se confronter à des regards différents sur le monde qui nous entoure, avec ou sans vapeurs d’absinthe !

Jacques Vernes, septembre 2014.


Sur le web, la Route de l’absinthe propose un panorama complet sur le sujet, y compris du point de vue historique, et permet de préparer les étapes de sa propre route, dégustations comprises, au gré des manifestations culturelles organisées autour de l’absinthe. Dommage que les indications d’accessibilité ne figurent pas sur ce site par ailleurs très bien conçu. On pourra, pour la partie française, consulter utilement cette page dédiée sur le site du Comité Départemental du Tourisme du Doubs et, pour la partie suisse, contacter l’Office national de tourisme. Enfin, il est possible de parcourir en joëlette des tronçons français de la Route de l’absinthe : l’association Apach’Evasion organise cela à la demande.

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