Partie de l’actuelle région Languedoc-Roussillon, le département de l’Aude occupe un territoire fortement marqué par l’histoire du Languedoc médiéval et de la tristement célèbre croisade des Albigeois (XIIIe siècle), véritable guerre coloniale de la France du Nord contre celle du Sud sous prétexte de religion (le catharisme). De l’Histoire ancienne ? Oui et non si on considère l’esprit frondeur qui a toujours prévalu, et prévaut encore, dans cette région jadis très prospère que les crises politico-économiques ont durement éprouvée et qui s’en est toujours relevé à la force du poignet. La révolte des vignerons, il y a un peu plus d’un siècle, en est le meilleur emblème et un exemple de solidarité qui s’est perpétué jusqu’à nos jours. Le vignoble languedocien (IGP), premier pôle économique du département, compte aujourd’hui parmi les plus importants de France; on peut s’en faire une idée, en toute accessibilité, au Château Cabezac, à Bize-Minervois. La culture de l’olivier est en augmentation (voir par exemple le Domaine des Pères, à Trèbes) mais, en dehors du secteur industriel, c’est surtout sur le tourisme que misent les pouvoirs publics. Une activité dont l’un des moteurs principaux n’est autre que le fameux canal du Midi, que nous avions présenté en 2003 dans un reportage toujours d’actualité. Le seul bateau de croisière accessible est disponible au départ de Homps chez la compagnie Les Canalous mais l’affluence touristique, surtout en haute-saison, le rend difficile à obtenir (sans évoquer les tarifs, plutôt onéreux), sauf à réserver très en avance.

Il en va en effet, toutes proportions gardées, de la navigation sur ce canal emblématique comme de celle sur le Nil, où les touristes handicapés moteurs ne sont pas toujours à la fête… D’où l’intérêt de le découvrir « à pied sec », en suivant son tracé depuis la route, quitte à s’octroyer des mini-croisières d’une demi-journée ou d’une journée, plus faciles à gérer côté transferts, repas, toilettes, etc. En matière d’hébergements « terrestres », l’Aude dispose en effet d’une large offre adaptée qui doit beaucoup à l’implication des professionnels locaux, particulièrement sensibles à cette thématique. Il en résulte d’ailleurs un accueil réellement attentionné, quelle que soit la gamme de prix; idem pour ce qui concerne les lieux et activités touristiques. La démarche Destination pour Tous (lire cet article) a été l’occasion, pour le Comité départemental du tourisme (CDT) de fédérer les initiatives et développer un véritable maillage d’accessibilité tous handicaps qui font du département l’un des plus performants dans ce domaine.

Revenons au canal du Midi qui relie, rappelons-le, Toulouse (en Haute-Garonne) à la Méditerranée; l’Atlantique est rejoint grâce au canal de Garonne, formant avec celui du Midi le canal des deux mers. Cet ouvrage hors du commun, chef d’oeuvre d’ingénierie du XVIIe siècle classé au patrimoine Unesco, présente ses plus beaux atours à partir de Castelnaudary. Cette ville paisible, lovée autour de son Grand bassin, sert de point de départ ou d’arrivée à de nombreuses croisières. L’office de Tourisme a conçu un guide de visite accessible que l’on peut se procurer sur place. Le personnel, formé à l’accueil du public handicapé, ne manquera pas non plus d’évoquer l’autre célébrité locale : le cassoulet, spécialité gastronomique mondialement célèbre qui a même fait l’objet d’une route agri-touristique. Peu importe que Chauriens, Carcassonnais ou Toulousains en revendiquent la paternité : il faut absolument y goûter ! Notre suggestion (avec hébergement accessible) : le domaine de la Capelle, à Saint-Martin-Lalande.

À une dizaine de kilomètres de Castelnaudary, le long du canal, la vénérable poterie Not, accessible de plain-pied moyennant une légère pente et quelques seuils, est la dernière à fabriquer artisanalement les « cassoles » dans lesquelles se mijote le divin plat. Entreprise familiale, à taille humaine, on y déambule, parmi les pièces cuites ou à cuire, dans une atmosphère hors du temps. Littéralement : la cuisson au feu de bois demande pas moins de 36 heures de labeur attentif et trois semaines de refroidissement ! Impossible, après ça, de louper son cassoulet, mais la maison fabrique par ailleurs toutes sortes d’autres objets que l’on peut acquérir à des prix très raisonnables.

Tout près de là, le seuil de Naurouze constitue le point culminant du canal, sur la ligne de partage des eaux entre méditerranée et Atlantique. Un obélisque y a été érigé en souvenir de Pierre-Paul Riquet, génial autant que téméraire entrepreneur à qui l’on doit l’ouvrage au bord duquel il est ici possible de balader en toute accessibilité : selon les endroits, le chemin de halage n’est en effet pas toujours aisément « roulable ».

En remontant un peu dans l’arrière-pays, on peut faire halte à Saint-Papoul, village discret, voire secret, dominé par un château mystérieux qui ne se visite pas, et bordé par une imposante abbaye bénédictine dont la découverte est possible en fauteuil roulant (quelques pavés et un gros seuil). Important lieu de pèlerinage au Moyen-Âge, l’endroit, particulièrement poétique, sommeille désormais à l’instar d’une Belle au bois dormant attendant celui qui la réveillera. Un festival de musique, par exemple: le joli cloître s’y prêterait et l’église, dont l’acoustique est excellente, possède un rarissime orgue baroque. Un petit musée complète la visite. L’étape peut même durer, en entrée de bourg, puisqu’un gîte récent, décoré avec goût et labellisé Tourisme et handicap, dispose d’une chambre adaptée. Les propriétaires, intarissables sur Saint-Papoul et sa région, s’avèrent en outre d’excellents guides et conseils touristiques. La plupart des prestataires de gîtes ou chambres d’hôtes partagent d’ailleurs cette qualité: amoureux de leur terroir, ils en sont les meilleurs ambassadeurs.

Autre village plein de mystères : Bram, situé à mi-chemin de Castelnaudary et de Carcassonne. Fondé au IIe siècle avant notre ère (en témoigne un musée archéologique parfaitement accessible), il s’est ensuite concentré autour de son château aujourd’hui disparu. Au sens premier du terme : c’est l’un des rares villages circulaire de France, et le plus vaste d’Europe avec ses quatre anneaux. La voirie, en cours de réfection, fait la part belle aux circulations douces, ce qui rend la déambulation en fauteuil roulant d’autant plus agréable que les rues, où les belles façades abondent, sont agrémentées de fleurs. Dans la ville nouvelle (Bram s’est développée grâce au commerce lié au canal), une ancienne maison de maître a été tout récemment transformée en espace d’expositions temporaires de très haute tenue.

Entrée de la Cité de Carcassonne.

À quelques kilomètres en aval, Carcassonne déploie les splendeurs millénaires de sa Cité (pour une vision d’ensemble spectaculaire, une seule adresse: l’aire du Belvédère d’Auriac, sur l’autoroute A61). On ne reviendra pas ici sur l’histoire mouvementée de l’endroit (un article n’y suffirait pas), que l’on peut découvrir notamment en visite guidée, mais il convient de préciser que l’accessibilité aux visiteurs handicapés moteurs est des plus ardues, principalement à cause du fort taux de pente, des pavés et des innombrables marches à l’intérieur du château. Des aménagements sont néanmoins proposés: consultez cette page spécifique sur le site des monuments nationaux. Les visiteurs déficients visuels sont mieux lotis puisqu’ils peuvent en outre préparer leur visite grâce au très utile ouvrage en relief et audio consacré à la Cité, dans la collection Sensitinéraires. Quant aux déficients auditifs, ils trouveront, en suivant ce lien, une présentation LSF de la Cité. Même s’il est possible, avec la carte européenne de stationnement, de garer son véhicule dans les douves ou se faire déposer devant le pont-levis, mieux vaut éviter les périodes de forte affluence touristique, ne serait-ce que pour pouvoir plus agréablement jouir de l’aspect éminemment romantique de ces lieux auxquels Eugène Viollet-le-Duc a consacré plusieurs années de restauration.

Carcassonne ne se résume toutefois pas à sa Cité : il y a aussi, bordée par le canal du Midi, la Carcassonne des Carcassonnais, élégante préfecture où il fait bon vivre, à des années-lumière des hordes de touristes qui ont remplacé les troupes du comte de Toulouse. Cette « ville basse » (ou Bastide) est certes moins ancienne que la « ville haute », mais tout est relatif : sa fondation remonte au Moyen-Âge ! S’il reste peu d’édifices de cette période, l’architecture des siècles ultérieurs témoigne d’une grande prospérité. On le sait peu mais cette Carcassonne-là fut l’une des capitales économiques du royaume de France, grâce à son industrie textile (laine), ce que rappellent les nombreux hôtels particuliers construits par les richissimes industriels de l’époque. Les ouvriers, eux, s’écrasaient dans les ruelles crasseuses de la Cité… La concurrence anglaise et l’émergence de la viticulture à grande échelle ont sonné le glas des tisserands mais la ville où naquit Fabre d’Églantine a survécu à toutes les crises, notamment grâce à la Cité qui constitue désormais, avec ses trois millions de visiteurs annuels, une importante source de revenus. L’Office de Tourisme, soucieux de faire découvrir l’autre Carcassonne, infiniment plus facile d’accès en fauteuil roulant (y compris le très riche Musée des Beaux-Arts installé dans l’ancien Présidial), propose de passionnantes visites audio-guidées de la Bastide ainsi que des supports spécifiques pour le public déficient sensoriel. Ne manquez pas de visiter l’émouvant Centre Joë Bousquet, installé dans l’ancien hôtel particulier où ce poète devenu paraplégique pendant la Première guerre mondiale passa la majeure partie de sa vie. Enfin, si l’envie vous (re)prend de naviguer sur le canal du Midi, sachez que le bateau promenade Lou Gabaret, ancré au port, est labellisé Tourisme et handicap.

L’un des attraits de la navigation sur le canal réside dans la découverte de ses haltes nautiques, où les plaisanciers font étape pour quelques heures, entre deux passages d’écluses, pour y déjeuner, faire quelques courses ou passer la nuit. Elles sont souvent bien équipées, notamment en toilettes accessibles, et il y règne une atmosphère à la fois paisible et détendue. Ainsi, à une quarantaine de kilomètres à l’est de Carcassonne, près de Narbonne, le hameau du Somail, créé de toutes pièces au XVIIe siècle par Riquet, est un rendez-vous charmant bien connu des amoureux du canal, mais également une curiosité administrative puisqu’il est géré par trois communes (Saint-Nazaire d’AudeGinestas et Sallèles d’Aude) ainsi que par l’organisme public Voies Navigables de France (VNF). L’office de tourisme, installé dans une ancienne maison de maître, propose en rez-de-chaussée, expositions temporaires et informations touristiques mais ce n’est pas le seul attrait de l’endroit: outre des terrasses ombragées et un pont acrobatique enjambant le canal (aide indispensable pour le franchir en fauteuil roulant manuel), il abrite la plus importante librairie ancienne du département, véritable institution dont la réputation dépasse largement les frontières.

Sallèles d’Aude est aussi le point de jonction entre le canal du Midi et celui de la Robine, portion moins connue et donc moins fréquentée, pour le plus grand bonheur des initiés. Mis en service par Vauban et également classé au patrimoine Unesco, il traverse Narbonne et relie la Méditerranée via Port-la-Nouvelle (le canal du Midi se poursuit quant à lui jusqu’à l’étang de Thau, près de Sète dans l’Hérault). Ses berges, plantées par endroit de splendides pins parasols, sont aisément praticables en fauteuil roulant.

À l’instar de l’Aude canalisée, on traverse souvent Narbonne, au fil de l’A61 ou de l’A9, sans s’y arrêter, en oubliant que cette très antique cité, capitale de la province romaine à laquelle elle a donné son nom, peut constituer une destination de vacances à elle seule ! Bien que sous-préfecture, c’est en effet la cité la plus peuplée du département et son histoire est aussi riche et mouvementée que celle de Carcassonne. La ville où naquit Charles Trenet offre à ses habitants, ainsi qu’aux visiteurs de passage, un cadre urbain agréable doublé d’un éventail d’activités digne de sa taille, où l’accessibilité n’est pas oubliée. Les touristes handicapés qui souhaitent en découvrir les attraits seront d’ailleurs bien inspirés de faire escale à l’office du tourisme, vaste bâtiment ultramoderne parfaitement accessible, où ils trouveront des fauteuils roulants de prêt (à disposition dans la plupart des lieux publics) ainsi que des conseils de visite ou des idées d’activité. Le lieu dispose également d’un espace d’expositions temporaires ainsi que de toilettes adaptées. Si le gigantesque palais fortifié devenu Hôtel de ville, qui trône sur la place du même nom, n’est pas accessible en fauteuil roulant, on peut accéder à ses cours et ses passages où règne une atmosphère évoquant le palais des Papes d’Avignon. Quant au pont des Marchands, tout proche, qui enjambe le canal de la Robine, c’est l’un des derniers ponts habités de France. Si habité, d’ailleurs, avec ses boutiques et son animation, qu’on en oublie sa fonction première ! La vocation spirituelle de ce puissant archevêché (aujourd’hui simple paroisse) se retrouve dans les nombreux édifices religieux qui le parsèment. Si l’étonnante cathédrale gothique inachevée reste inaccessible en fauteuil roulant, on peut en parcourir le cloître et les jardins. Par ailleurs, la chapelle des pénitents bleus, espace d’expositions temporaires, est pleinement accessible, de même que le spectaculaire musée lapidaire installé dans l’ancienne église de l’Amourguier, où sont conservés les blocs antiques récupérés lors du démantèlement des remparts au XIXe siècle : dépêchez-vous de le visiter, il devrait prochainement déménager.

Bien que située à l’intérieur des terres, Narbonne a aussi sa plage sur la Méditerranée, et même son handiplage (la liste complète des plages accessibles du département est disponible sur cette page). Dans la proche banlieue de Narbonne, Port-la-nautique, situé au bord de l’immense étang de Bages-Sigean, occupe l’emplacement de l’ancien port antique, dont quelques reliefs ont d’ailleurs été mis au jour. La société nautique y propose toute l’année des activités handi-voile auxquelles il est aisé de se joindre, fût-ce en simple débutant: le plaisir avant tout! Sanitaires adaptés, stationnements réservés, repas possible sur place.

À l’extrémité de l’étang, près de la station balnéaire de Port-la-Nouvelle, le canal de la Robine rejoint la mer. Le paysage, entre port de commerce ou de pêche, plage et lagune, est particulièrement intéressant à découvrir: un paradis pour photographes! La réserve naturelle régionale de Sainte-Lucie, créée en 2009, est un modèle du genre. On y accède par une longue route sauvage, entre étang et canal (on peut, sur demande préalable, franchir en voiture la barrière d’accès), jusqu’à une ancienne maison éclusière transformée en espace d’accueil et écomusée. De là, les possibilités de balade en pleine nature sont nombreuses: n’oubliez pas vos jumelles et de quoi affronter le soleil. Toilettes adaptées, pique-nique possible sur place.

La réflexion autour des aménagements spécifiques au public handicapé se poursuit, notamment avec le Comité départemental handisport pour la mise à disposition de joëlettes et handbikes, ou encore avec l’organisation de visites en LSF. Dans l’Aude, l’accessibilité à tout pour tous n’est vraiment pas un vain mot: n’hésitez pas à vous renseigner auprès des professionnels locaux et… passez de bonnes vacances!


Jacques Vernes, juin 2014.


Sur le web, le comité départemental du tourisme de l’Aude a développé un site spécifique dédié au label Tourisme et handicap. Régulièrement mis à jour, c’est une véritable mine de renseignements et un moyen privilégié de préparer un séjour adapté en toute confiance.

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