Notre Dame de Chartres. Evoquer le bleu de ses vitraux est un lieu commun lorsque l’on parle de sa cathédrale. Construite sur un plateau entre 1194 et 1230, elle dominait la ville et se voyait de loin. Las, l’urbanisation des faubourgs oblige maintenant les éditeurs de cartes postales à truquer leurs clichés pour montrer cette « église posée au milieu des blés » qu’elle fut jadis. L’habitat s’étend le long de l’Eure, rivière aujourd’hui sale et aux eaux vertes, dont les rives restent bordées de lavoirs désaffectés et parsemées de ponts médiévaux.
La nef est vaste mais moins majestueuse que celle de Saint- Étienne de Bourges (pour qui la connaît). La croisée, en revanche, paraît immense. Ce qui étonne le visiteur matinal, c’est l’obscurité ambiante malgré les innombrables vitraux qui s’étalent sur trois hauteurs. Splendides, ils sont néanmoins parfois peu lisibles du fait de leur élévation, et probablement noircis par les années. Les voûtes sont sombres, l’architecture manque de légèreté. L’édifice est plus lumineux l’après- midi; l’une des ses merveilles, c’est son tour de choeur historié, une véritable dentelle de pierre sculptée au XIe siècle.
Le sol est d’origine, pur XIIe siècle, et comporte un labyrinthe renommé; en développé, il mesure 361 mètres et demi. Les moines le parcouraient à genoux pour faire pénitence, ce qui prenait le temps de marcher une lieue (quatre kilomètres).
En nos temps modernes, les croyants doivent attendre la fin de la messe, à 18h 30, pour effectuer le voyage symbolique qui les conduit de la Terre vers Dieu. Le sacristain vient enlever les chaises et les barrières; c’est alors un spectacle empreint de féerie que ces gens qui déambulent entre ces lignes de marbre noir, certains poussant la dévotion jusqu’à aller pieds nus pour obtenir quelques jours « d’indulgences » (le feraient- ils au coeur de l’hiver ?)
Un plan incliné permet d’entrer par le grand portail, l’ensemble de l’édifice étant de plain- pied, à l’exception des chapelles. Celles et ceux qui en ont les moyens physiques pourront accéder au sommet de la tour gothique dont la flèche culmine à 112 mètres! Vous vous arrêterez bien avant, sur une terrasse ornée de monstres de légende. Admirez- y aussi les nombreuses gargouilles. La vue sur le bâtiment est superbe mais on n’en dira pas autant du panorama…
Saint-Pierre de Beauvais. Jeanne Hachette fut la beauvaisienne la plus célèbre: rappelez- vous comment elle tailla en pièces les bourguignons de Charles le Téméraire en 1472! Depuis cette époque, la ville a beaucoup souffert, notamment durant la débâcle de 1940 qui vit le centre historique dévasté par un gigantesque incendie.
Le choeur de la cathédrale est le plus haut de la planète: ses voûtes culminent à plus de 48 mètres ! L’édifice semble néanmoins fragile, malgré l’architecture massive, les piliers volumineux. Il faut préciser que des « écarteurs » gigantesques maintiennent en place les colonnes du transept, et que la chapelle contenant l’horloge astronomique est étayée. Le batiment s’est effondré sous son poids à deux reprises, et ce qui aurait certainement été le plus grand édifice religieux de la Chrétienté restera à jamais inachevé: la nef n’a jamais été construite, et malgré cela l’ensemble choeur- transept atteint les 72 mètres de long.
Le carillon est probablement le plus ancien Jacquemart en état de fonctionnement au monde. L’horloge astronomique date du siècle dernier et vient d’être entièrement rénovée; une présentation audiovisuelle (payante) vous aide à en comprendre l’intérêt et le fonctionnement…
Il reste peu de vitraux anciens; le verre blanc qui les a remplacé éclaire « a giorno ». Autre curiosité de la cathédrale: aucune statue n’orne les niches des portails; la statuaire n’a simplement jamais été réalisée. Trois siècles séparent la construction du choeur (1272) de celle du transept (milieu du XVIe siècle).
On entre sans difficulté dans la cathédrale par le portail nord; à l’intérieur, une rampe permet d’accéder au déambulatoire. La basse- oeuvre (église carolingienne) et le cloître étaient en travaux lors de notre passage, et ne se visitaient pas. Avant de quitter Beauvais, passez par l’ancienne Collégiale Saint- Étienne: vous y verrez notamment une Sainte… barbue (Wilgeforte, qui n’avait rien trouvé de mieux pour échapper à un mariage forcé!), un vitrail du jugement dernier particulièrement expressif ainsi qu’une roue de la fortune.
Notre-Dame d’Amiens. La Picardie regorge d’églises gothiques ; un festival de musique se déroule d’ailleurs chaque année dans celles de Senlis, Laon, Noyon, Soissons (dont nous ne parlerons pas ici mais qui valent également le détour) et bien sûr dans celle d’Amiens. La construction de cette dernière a duré 68 ans, de 1220 à 1288. L’intérieur a été « Viollet Le Duc- isé », c’est à dire restauré dans l’idée que le XIXe siècle se faisait du Moyen- Âge. Résultat : toutes les chapelles sont désormais d’une esthétique discutable… Heureusement pour nous, les restaurateurs du Second Empire ne se sont pas attaqués au tour de Choeur, orné de scènes de la vie de Saint- Firmin et de Saint Jean- Baptiste en pierre sculptée polychrome, exécuté au début du XVIe siècle. De Saint Jean-Baptiste, justement, vous pourrez contempler la face, conservée à Amiens depuis près de huit cents ans ; il s’agit évidemment de la « véritable » relique, attestée comme il se doit !
Rappelons que ce célèbre martyr fut décapité pour avoir, entre autres choses, déplu au roi Hérode (cf. Salomé). Sa tête aurait séjourné trois siècles dans le palais du « sancticide », jusqu’à ce que des moines la découvrissent dans ses ruines. On la mentionne ensuite en 850 à Constantinople, ville ou des Picards participant à la 4e croisade la retrouvent; 350 ans plus tard, les croisés font le sac de la cité et s’emparent de la relique conduite illico à Amiens. Elle fut adorée des fidèles durant des siècles et aujourd’hui la brochure de l’Office de Tourisme n’en mentionne même plus la présence: sic transit… A Amiens aussi, les vitraux anciens ont disparu. Le sol a été refait au XIXe siècle et le labyrinthe, très géométrique, amuse les enfants mais ne suscite pas l’intérêt des fidèles. La cathédrale est accessible par le portail sud du transept. Les deux tours se visitent; on gravit l’escalier de la tour sud jusqu’à la hauteur de la rosace, devant laquelle on passe, pour ensuite monter au sommet de la tour nord.
En observant attentivement la façade, vous remarquerez des morceaux de silex dans les blocs de calcaire; les tailleurs de pierre du Moyen Âge devaient s’en accommoder, ou détruire leur travail! Tout là- haut, vous aurez une vue imprenable sur la flèche en bois sculpté recouvert de feuilles de plomb; on comprend pourquoi elle penche légèrement…
Souvenir de l’un de nos lecteurs: « Il y avait foule au moment de notre visite: c’était le 11 août 1999, jour de l’éclipse totale de soleil! La nef était transformée en hall de gare, elle reçut, nous dit- on, autant de monde que Notre- Dame de Paris! On pouvait voir des gens assis partout, un chien errant, une dame qui téléphonait, deux paralytiques, des mendiants par grappes à chaque entrée. Amiens fut bouleversée durant deux jours, hôtels complets, restaurants combles et visiteurs paumés un peu partout. La Picardie venait de connaître son jour de gloire touristique! »
Notre-Dame de Reims est une cathédrale martyre. Durant la première guerre mondiale, les allemands la bombardèrent sciemment dans le but de faire fuir la population; elle devint alors un symbole de la Patrie. Outre les photographies d’époque, la vision de ces gargouilles, remplies de plomb fondu lors de l’incendie de la toiture, témoigne du traitement infligé à l’édifice. Seuls les murs en ont réchappé. La cathédrale est aujourd’hui reconstruite. Marc Chagall, célèbre peintre d’origine russe, a réalisé en 1974 les sublimes vitraux de la Chapelle axiale.
La cathédrale fut le lieu du sacre des rois de France, de Louis IX (1226) à Charles X (1825). Le monarque était oint de la Sainte Ampoule jadis apportée par le Saint- Esprit « en personne », qui marquait ainsi le caractère divin de la monarchie.
Peut-être est- ce pour marquer cette « royale différence » que l’intérieur du portail de la cathédrale, détail unique, est orné de multiples statues, le roi nouveau faisant sa sortie parmi les saints, les preux et autres monarques ainsi figurés…
Pour accéder à l’édifice, les personnes en fauteuil roulant doivent s’adresser au comptoir d’accueil situé… à l’intérieur ! Le Palais du Tau, mitoyen, est désormais un musée; il accueillait jadis les monarques avant leur couronnement, pour se recueillir et, après la cérémonie, pour festoyer. Seule la salle inférieure du Palais du Tau est actuellement desservie par un élévateur; elle présente le résultat des fouilles effectuées dans la cathédrale et sa proximité.
A l’étage, la salle des festins n’a pas retrouvé la splendeur de sa charpente, qui rappelait celle de la salle des pauvres des Hospices de Beaune. Tout proche, le Trésor est protégé par des portes blindées de l’épaisseur d’un homme ! On y voit notamment le véritable talisman de Charlemagne et quelques reliquaires en or.
Ainsi se termine ce petit voyage virtuel en France gothique. Sur le net, nous vous recommandons les sites suivants, consacrés aux cathédrales de Chartres (officiel et élégant), Beauvais (un peu lourd mais très complet), Amiens (obsolète mais exhaustif) et Reims (« paroissial »). Une description de cette dernière à destination des non- voyants est disponible en suivant ce lien. Enfin, tout le patrimoine culturel picard (cathédrales, festival, etc) est présenté par le Conseil Régional de Picardie sur un site un peu trop « riche » mais très fonctionnel… et à jour !
Jacques Vernes, novembre 2001.