Il faudra encore du temps pour que les voitures se déplacent sans l’action et la vigilance permanentes d’un conducteur, mais cette perspective pourrait aboutir à Châteauroux (Indre) dans trois ans. L’opérateur des transports urbains Keolis expérimente sur le vaste site du Centre national de tir sportif des navettes sans conducteur afin d’élaborer un protocole qui permette de s’en passer totalement sur la voirie publique, au milieu de la circulation. Si d’autres sociétés ont effectué des expérimentations similaires, c’est toujours sur des voies sans autres véhicules (site propre) et avec un agent de conduite assurant la sécurité et certaines manoeuvres. Comment des passagers handicapés peuvent-ils actuellement utiliser un minibus autonome ? On fait le point avec Clément Aubourg, responsable de l’expérimentation des véhicules autonomes au sein de Keolis.

Pas d’expérimentation avec des usagers handicapés

Tout d’abord, plusieurs fonctionnalités annoncées lors de l’arrivée des premières navettes autonomes ont été abandonnées ; il n’est plus question d’y monter « à la volée », en pleine rue, mais depuis des points d’arrêts fixes. De même, le parcours est préétabli pour desservir un circuit et ses points d’arrêts. C’est ce qui oblige encore à faire intervenir un opérateur embarqué ou à distance lorsqu’un obstacle contraint la navette à une manoeuvre de contournement. « Nous avons eu la chance de faire plusieurs expérimentations dans le monde, en accueillant à chaque fois des voyageurs à mobilité réduite et en fauteuil roulant, explique Clément Aubourg. Ici à Châteauroux, on a proposé un service dédié lors de la coupe du monde de para tir, des athlètes du monde entier ont pu tester cette technologie, leurs retours étaient très positifs. » Ce service était toutefois assuré avec des opérateurs humains à bord et Keolis n’a pas encore effectué d’essais sans opérateur et avec des usagers handicapés : « On y travaille, c’est un sujet tout nouveau. Les premiers services sans opérateur à bord commencent ici depuis cet été. Notre objectif est de le proposer aussi aux personnes en fauteuil roulant. On a la chance d’avoir des ateliers de travail avec les athlètes handisport de l’équipe de France de tir. »

Mais des sportifs ne sont pas des usagers comme les autres ni des spécialistes des systèmes de transport adapté : quelle est la pertinence de leurs avis ? Ils ont les moyens physiques de monter à bord des navettes alors que le degré de pente de la palette déployée nécessite, pour d’autres, d’agripper l’une des deux barres de maintien longeant l’entrée pour se hisser à la force des bras, la faute à des trottoirs dont la hauteur de 18 cm est trop basse. Si le parcours est préétabli pour desservir un circuit et des points d’arrêts fixes, l’accessibilité des usagers handicapés dépend de l’aménagement de ces points d’arrêts et de la programmation du véhicule.

Un véhicule perfectible

Sur le site expérimental du CNTS, leur hauteur est insuffisante pour garantir, malgré la palette automatique, une montée en fauteuil roulant manuel : la pente est trop importante et il faut agripper l’une des deux barres de maintien longeant l’entrée pour se hisser à la force des bras. La navette EasyMile employée par Keolis dispose pourtant d’un mécanisme d’agenouillement mais ici il n’est pas programmé pour réduire le taux de pente. Et à l’intérieur, on se place comme on veut… ou peut, faute d’emplacement fauteuil. « Parmi les différentes problématiques, il y a la nécessité de pouvoir expliquer aux personnes à mobilité réduite comment s’installer à bord alors qu’il n’y a pas d’opérateur. Plusieurs technologies existent, on peut installer 4 points d’ancrage au sol et une ceinture 3 points ce qui nécessite l’aide d’un être humain ou travailler avec des entreprises comme Qstraint qui ont des rampes automatiques permettant de caler les roues. Mais ce sont des systèmes qui sont assez lourds et ne peuvent être installés dans les véhicules actuels. » Un tel système est-il d’ailleurs nécessaire dans un véhicule qui circule à 20 km/h en mode autonome ? Dans les autobus qui roulent bien plus vite, aucun système d’immobilisation de fauteuil roulant n’est imposé.

Quant aux usagers aveugles ou malvoyants, ils restent à prendre en compte : comment pourront-ils identifier les points d’arrêts, monter à bord, sélectionner leur arrêt de destination, trouver le bouton d’ouverture de porte puis celui de la fermeture enclenchant le départ de la navette ? « Aujourd’hui on n’a pas prévu de service particulier et de réponses à cette problématique, mais on y travaille, conclut Clément Aubourg. » L’accès en autonomie aux navettes autonomes reste donc à élaborer.

Laurent Lejard, septembre 2022.

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