Une nouvelle réponse : l’arrêt de la cour de Cassation du 14 décembre 2022.

Toute la difficulté naît de ce que les Établissements et Services d’Aide par le Travail, et donc les travailleurs handicapés qui y sont placés, relèvent des règles fixées par le Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF) et, lorsque ce code le prévoit, de certaines règles du code du travail.

Sur les principes généraux

  • Un ÉSAT est une structure qui permet aux personnes en situation de handicap d’exercer une activité professionnelle tout en bénéficiant d’un soutien médico-social et éducatif dans un milieu protégé. Cette structure accueille donc des personnes qui n’ont pas acquis assez d’autonomie pour travailler en milieu ordinaire ou dans une entreprise adaptée à leurs besoins. Les personnes concernées peuvent ainsi exercer une activité professionnelle mais aussi maintenir les acquis scolaires, tout en développant des compétences métiers.
  • Dans tous les cas, ils sont admis en ÉSAT sur décision de la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) de leur Maison Départementale des Personnes Handicapées. Ils ne sont pas liés à l’ÉSAT par un contrat de travail mais par un contrat de soutien et d’aide par le travail comme le prévoient les articles R 243-1 à D 243-3 du CASF ; ils sont considérés comme étant « usagers » d’un établissement médico-social. L’ÉSAT est soumis aux règles de la médecine du travail fixé par le code du travail conformément aux dispositions des articles R 344-8 du CASF et L 4622-2 et suivants du Code du Travail.
  • Tout employé, s’entendant non-usager d’un ÉSAT, peut être frappé d’une inaptitude en cours d’exécution lié par un contrat de travail. L’inaptitude médicale au travail peut être prononcée par le médecin du travail lorsque l’état de santé (physique ou mentale) du salarié est devenu incompatible avec le poste qu’il occupe. Avant de prendre cette décision, le médecin du travail doit réaliser au moins un examen médical du salarié concerné et procéder (ou faire procéder) à une étude de son poste de travail.
  • C’est uniquement lorsqu’il constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible, alors que l’état de santé du salarié justifie un changement de poste, que le médecin du travail peut le déclarer inapte à son poste de travail. L’avis d’inaptitude oblige l’employeur à rechercher un reclassement pour le salarié.

Néanmoins, il peut procéder à son licenciement s’il est en mesure de justifier :

  • De son impossibilité à lui proposer un emploi compatible avec son état de santé ou
  • Du refus par le salarié de l’emploi proposé.

L’employeur peut également licencier le salarié si l’avis d’inaptitude mentionne expressément que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L’ensemble est régi par les articles L 4624-10 à L 4624-21, L 1226-2 à L 1226-4-3 et enfin, R 4624 à R 4624-44 du code du travail.

Sur l’état de la jurisprudence actuelle

  1. Monsieur Fenoll, usager de 1996 à 2005 du CAT La Jouvene, avait posé la question de savoir s’il avait vocation à bénéficier de cinq semaines de congés payés ou non. Cette question a été tranchée par l’arrêt 26 mars 2015 de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui a interprété la notion de « travailleur » et les lui a accordées.
  2. Monsieur X, engagé en 2005 et dont le statut de travailleur handicapé n’a été reconnu que le 1er mars 2010, s’est réclamé du double du préavis de licenciement de trois mois qui lui ont été accordés au regard de l’application d’une annexe à la convention collective qui prévoyait clairement cette disposition. C’est la portée de l’arrêt 16 mars 2022 de la chambre sociale de la Cour de Cassation.
  3. Le cas de Monsieur C vient corroborer le cas de Monsieur X dans un arrêt du 14 décembre 2022 de la Cour de Cassation.

Sur les faits

Monsieur C, travailleur handicapé a été admis dans un ÉSAT le 2 septembre 2014 à la suite d’une décision d’orientation de la CDAPH de l’Ardèche. Un contrat de soutien et d’aide par le travail a ainsi été signé le 22 septembre 2014 avec l’association hospitalière par l’intermédiaire de son établissement secondaire, l’ÉSAT.

Or, le 9 avril 2018 le médecin du travail a déclaré Monsieur C inapte à son poste, avec dispense d’obligation de recherche de reclassement. L’ÉSAT avait demandé et obtenu de la MDPH la sortie des effectifs de ce travailleur le 14 juin 2018.

Sur la procédure

Monsieur C a présenté un recours gracieux auprès de la CDAPH et c’est ainsi que la décision de la MDPH avait été annulée. Cependant, l’ÉSAT avait refusé la réintégration du travailleur. Monsieur C a alors saisi le juge des référés pour être réintégré et a demandé un rappel de salaire remontant au 15 juin 2018. La cour d’appel de Nîmes a fait droit le 2 novembre 2020 aux demandes de Monsieur C, considérant que la décision de l’ÉSAT de sortir le travailleur handicapé des effectifs en l’absence de décision préalable de la CDAPH constituait un trouble manifestement illicite.

L’ÉSAT s’est alors pourvu en cassation car, selon lui, la déclaration d’inaptitude avec dispense de reclassement du médecin du travail s’imposait à lui pour refuser de maintenir le travailleur dans ses effectifs et rompre son contrat de soutien et d’aide par le travail.

Cependant, la Cour de Cassation a rappelé que la décision de la CDAPH désignant les ÉSAT en mesure d’accueillir les personnes handicapées s’impose à tout ÉSAT, et que lorsque l’évolution de l’état de santé ou de la situation de la personne le justifie, l’ÉSAT peut demander la révision de la décision d’orientation de la CDAPH ; mais il ne peut mettre fin de sa propre initiative à l’accueil de la personne handicapée sans décision préalable de la CDAPH et ce conformément à l’article L 241-6 du CASF.

La Cour de cassation a également rappelé que si le travailleur handicapé en ÉSAT est soumis aux règles de la médecine du travail du code du travail, il est un usager et non un salarié. Il n’est donc pas lié à l’ÉSAT par un contrat de travail. Dès lors, elle estime que les ÉSAT ne peuvent pas rompre le contrat de soutien et d’aide par le travail des travailleurs handicapés en application des dispositions du code de travail relatives à l’inaptitude. Plus avant, elle a aussi indiqué que l’ÉSAT ne pouvait donc pas décider unilatéralement de rompre le contrat du travailleur en raison de son inaptitude.

Le législateur devrait se pencher plus précisément sur l’encadrement des personnes présentant un handicap et qui sont usagères d’un ÉSAT. C’est un fait que les sociétés ont de plus en plus tendance à employer des personnes présentant des handicaps, du fait des aides gouvernementales qui leur sont octroyées, mais aussi parce que ces personnes sont demandeuses d’emplois.

Une manne qui mérite toute notre attention.

Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), février 2023.

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