« En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail; le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452- 1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

Voici l’attendu de principe posé par la Cour de Cassation sur ce délicat problème le 28 février 2002 concernant le problème de l’amiante et repris par la Haute juridiction dans un autre arrêt le 11 avril 2002.

Le principe en matière d’accident est une indemnisation normalement forfaitaire : le salarié ne peut prétendre à la pleine réparation de son préjudice, à moins de démontrer l’existence d’une faute inexcusable. Dans ce cas le régime spécial d’indemnisation disparaît et l’entière indemnisation du préjudice peut être demandée. Le régime spécial d’indemnisation est alors complété pour parvenir à une réparation intégrale du préjudice de la victime. L’élément capital de la discussion est donc la notion de faute inexcusable.

A titre d’exemple, voici les faits qui ont été soumis à la Cour de Cassation : le 13 mai 1994, un salarié de la société Camus industrie fut retrouvé mourant à son poste de travail, le crâne fracassé par le tour multibroches sur lequel il travaillait et dont les capots de protection avaient été déposés. Le 6 juin 1995, le tribunal correctionnel condamna le dirigeant de la société Camus industrie des chefs d’homicide par imprudence et de violation des mesures relatives à l’hygiène et à la sécurité du travail à raison du défaut de protection des tubes guide barres. La veuve de la victime formulait également une demande d’indemnisation, fondée sur l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, qui devait être déboutée par la cour d’appel de Dijon le 29 juin 1999. La Cour de Cassation était donc saisie.

Le raisonnement de la Cour suit plusieurs points de réflexion :

– Elle rappelle l’obligation de sécurité qui s’impose à l’employeur en application de l’article L. 230- 2 du Code du travail : « le chef d’établissement prend les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l’établissement, y compris les travailleurs temporaires. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que de la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Il veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ». L’employeur doit prévenir les risques auxquels sont exposés les salariés, il doit les évaluer et prendre en considération la capacité réelle des salariés intéressés.

– Elle édicte une véritable obligation de sécurité de résultat, comme dans les arrêts « Amiante » du 28 février 2002 .Ces obligations de sécurité sont rattachées d’habitude à un contrat (le contrat médical, par exemple). Il s’agit ici du contrat de travail et l’obligation de sécurité qui découle de l’article L. 230- 2 du Code du travail est une obligation de résultat. L’inexécution de l’obligation de sécurité est prouvée par le défaut de résultat. L’employeur peut toutefois démontrer un cas de force majeure pour échapper à son obligation, même si une telle hypothèse est rarissime. On distingue l’obligation de résultat de celle de moyens : dans le second cas il faut mettre tout en oeuvre pour parvenir au but sans y être tenu mais dans le premier cas, il faut aussi être sûr d’y parvenir. L’obligation de résultats assure au salarié une sécurité absolue, seule la preuve du défaut de résultat est nécessaire pour demander une indemnisation complète ; alors que c’est au salarié qu’il revient de prouver que tout n’a pas été mis en oeuvre pour assurer sa sécurité lorsque l’obligation de sécurité est de moyens. Désormais l’atteinte portée à l’intégrité physique ou mentale d’un salarié, dès lors qu’elle a un lien avec les dispositions de l’article L. 230- 3 du Code du travail suffit à établir l’inexécution de l’obligation de sécurité.

– La Cour indique enfin que « le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452- 1 du Code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Mais il y a là une certaine ambiguïté car une distinction semble être opérée entre faute inexcusable et obligation de sécurité- résultat : pourtant, si le danger pouvait être ignoré par le chef d’établissement et donc qu’il n’y a pas de faute inexcusable, il pourrait difficilement y avoir violation de l’obligation posée à l’article L. 230- 3 du Code du travail. Dans le prolongement, le manquement à l’obligation de sécurité n’implique- t-il pas que l’employeur n’a pas pris les mesures de prévention nécessaires et donc a fortiori qu’il aurait dû connaître le risque ?

Dans tous les cas il faut être vigilant et l’on s’aperçoit que ce débat est bien délicat. Compte tenu des conséquences financières pour la victime, il est évident que celle-ci devra s’entourer des conseils d’un juriste spécialisé, seul à même de maîtriser les arcanes du droit en cette matière.

Philippe Carlini, Avocat au barreau, CP Carlini et Associés, mai 2002.

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