La saison culturelle Japonismes, lancée en juillet 2018, va s’achever en ce mois de février 2019 par la venue d’artistes handicapés. Les tambours sacrés japonais Zuihô Taiko (site en japonais, traduction française en suivant ce lien) qui sont basés près de Nagasaki, connus des Nantais pour leur première série de concerts à l’automne 2017, reviennent à Nantes les 23 et 24 février au Lieu Unique comme support musical à une création chorégraphique d’Olivia Grandville et du danseur Aurélien Desclozeaux. Quelques jours plus tard, ils seront à la Maison de la culture du Japon à Paris les 27 et 28 février, avec en première partie deux pièces dansées. Ce concert sera précédé par deux pièces chorégraphiques : l’une de la compagnie Genesis of Entertainment avec danseurs en fauteuil roulant, l’autre de la Konan Dance Company, dont les danseurs sont handicapés, professionnels ou employés de structures d’aide sociale. Le directeur des tambours sacrés Zuihô Taiko, Shinjirô Fukuoka, présente la troupe, sa création et son évolution.

Question : Pourriez-vous d’abord nous expliquer ce que sont les tambours japonais, leur inscription dans la musique traditionnelle et son évolution à notre époque ?

Shinjirô Fukuoka : Le wadaiko, tambour japonais, est fabriqué à partir de bois comme le keyaki (zelcova du Japon). On creuse l’arbre en un cylindre et le couvre avec une peau de vache. Cet instrument a été utilisé à l’origine lors des rites d’imploration des récoltes ou lors des combats. Aujourd’hui, il est toujours utilisé lors des rituels shintoïstes pour inviter les divinités parmi nous. Après la Deuxième guerre mondiale, l’instrument est devenu également un outil populaire dans le milieu du spectacle vivant. C’est ainsi que de nombreuses compagnies de tambours professionnelles et amateures ont vu le jour et participent à tout genre d’événements.

Question : 
Qu’est-ce qui a conduit à créer Zuihô Taiko, ce groupe musical intégrant des musiciens handicapés ? Comment ont-ils été formés à la musique ?

Shinjirô Fukuoka : 
C’est en 1987 que le premier club de wadaiko a été créé dans un centre destiné à la formation des personnes handicapés : le Centre de développement de capacité à Nagasaki. Au départ, l’objectif était de développer l’entente dans un groupe et les capacités physiques à travers le plaisir de la musique. Mais les membres ayant achevé leurs cursus de formation dans le centre ont souhaité continuer de jouer le wadaiko. Ce club s’est ainsi transformé en club local : le Zuihô Taiko. A l’époque, les handicapés mentaux pratiquaient rarement des activités artistiques dans leur vie quotidienne. Mais ces membres passionnés se rassemblaient volontairement une fois par semaine après le travail pour s’entraîner. Ne sachant pas encore lire les partitions, ils apprenaient la musique oralement : ils chantaient les rythmes pour les mémoriser. Le fait de jouer en public et de recevoir des applaudissements les motivait énormément pour répéter. Aujourd’hui, les personnes qui pratiquent le wadaiko à travers le Zuihô Taiko dépassent la centaine dans le département. Les instruments utilisés au sein de la compagnie sont le grand tambour, le nagadô daiko (tambour de taille moyenne), le shime daiko (tambour à encordage), le okedaiko (tambour en lattes assemblées) mais en dehors des percussions, aussi des shinobués (flûte en bambou), des atari-gane (petit gong) et des chappas (petites cymbales à main). En 2001, certains membres ont exprimé leur envie de devenir musiciens professionnels. C’est ainsi que le Zuihô Taiko actuel, la compagnie professionnelle, a vu le jour. D’autres musiciens ont rejoint ce groupe qui était composé de quatre musiciens au départ et aujourd’hui, nous comptons seize membres qui s’occupent également de la formation de la génération suivante et des ventes de produits dérivés.

Question : Quel est le statut légal de ces musiciens handicapés ? Vivent-ils de la musique en étant rémunérés, ou avec un mélange entre allocations handicap et salaire de musicien ?

Shinjirô Fukuoka : La plupart des membres sont sous contrat de salarié. Ceux qui viennent jouer à Paris vivent avec ce salaire et n’ont pas de métier annexe. Par contre, ils perçoivent leur allocation handicap parallèlement. C’est ainsi qu’ils constituent une assurance financière pour leur avenir ou un complément pour leurs dépenses de la vie courante.

Question : Existe-t-il au Japon d’autres groupes musicaux professionnels de personnes handicapées, et dans quel type de musique ?

Shinjirô Fukuoka : Au Japon, il existe aujourd’hui des musiciens professionnels comme des pianistes ou violonistes malvoyants mais également des groupes de musiciens dans les domaines instrumentaux ou de rock, des compagnies de danse et d’art traditionnel qui sont rémunérés en prestation de service.

Question : Que disent les familles de ces musiciens, et le public ?

Shinjirô Fukuoka : La plupart des parents sont ravis de voir le sens de la vie de ces personnes s’exprimer à travers leur musique. Même si beaucoup de personnes n’ont pas encore eu l’occasion de découvrir ces musiques, le public qui les a écouté est ému jusqu’à verser des larmes; il s’élargit de plus en plus. Certains ne peuvent pas s’empêcher de sentir un attachement affectif vis-à-vis de ces musiciens car leur attitude de jeu est pure. Ils décident d’accompagner leurs activités et de tracer leur chemin avec eux.

Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2019.

Merci à Aya Soejima, de la Maison de la culture du Japon à Paris, pour son aide et sa traduction du japonais.

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