Paris est la ville française la plus dotée en théâtres, prestigieux certes mais vieillissants et peu ou mal accessibles aux publics handicapés. Heureusement, la législation oblige les propriétaires à réaliser les travaux nécessaires en la matière, ceux du Châtelet (Paris 1er) et de la Ville (Paris 4e) dans les prochains mois, encore que le théâtre de l’Athénée (Paris 9e) vient de s’en abstenir : sa rénovation complète n’a pas entrainé de mise en accessibilité des balcons et du foyer, elle se résume comme avant à quelques places au parterre… Mais non loin de là, l’Opéra Comique, également classé monument historique, vient de réussir la sienne à l’occasion d’une rénovation qui a restitué les ors et les splendeurs du bâtiment et de ses ornements.
Un chantier conduit par Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des monuments historiques, et sa collaboratrice architecte Marion Gauchard. « L’accessibilité, c’est une conviction pas une contrainte, assure-t-il. Notre réflexion a autant concerné l’accueil du public que la partie professionnelle. » Loges, scène et atelier de costumes sont devenus accessibles, des artistes handicapés pourront donc se produire en pleine autonomie. « Un théâtre, c’est une verticalité qui pose des problèmes pour tous, poursuit Pierre-Antoine Gatier. L’architecture de l’Opéra Comique date de la fin du 19e siècle, elle porte une monumentalité, on met en scène le bâtiment; on monte un escalier, on franchit un vestibule… » C’est le bâtiment lui-même qui a été mis en scène par Louis Bernier, l’architecte de l’époque, propos que Pierre-Antoine Gatier a parfaitement respecté sans que son intervention modifie substantiellement les lieux, ce qui l’a contraint à créer un accès différencié : « Je n’ai pas réussi à avoir un accès public pour tous, mais l’entrée du personnel, c’est la vraie vie du théâtre ! » C’est donc par cette porte du 5 rue Favart, qui reste à signaler par pictogramme, que les spectateurs en fauteuil roulant ou à mobilité réduite accèdent désormais. Les autres spectateurs handicapés, notamment ceux qui sont déficients visuels, entrent par la grande entrée de la place Boieldieu, grand escalier extérieur assez raide, premier vestibule, deuxième escalier, second vestibule, et escaliers desservant la grande salle : sauf à casser le bâti pour créer plusieurs élévateurs dans un immeuble classé, ce qui n’aurait pas été accepté, l’accès différencié s’imposait par simple pragmatisme. D’ailleurs, si l’Opéra Garnier (Paris 9e) dispose d’un élévateur fauteuil pour en franchir le large escalier en perron, celui-ci n’a jamais été mis en service faute de pouvoir, dans ce monument historique, mettre les escaliers du vestibule en accessibilité au moyen d’un élévateur !
Le « précédent » Opéra Comique ne disposait que d’un seul ascenseur très étroit, dans lequel on ne pouvait entrer qu’avec un fauteuil de transfert et sous la surveillance d’un pompier. Désormais, l’accès aux étages est autonome, et le nombre de places réservées passe de deux à quatorze, dans la plupart des catégories et points de vue. « Ce qui me tenait à coeur, reprend Pierre-Antoine Gatier, c’est que tous les niveaux soient accessibles. L’ascenseur et les parcours rendent accessibles tous les niveaux sauf l’amphithéâtre. » Pour réaliser cette distribution verticale, il a fallu créer une trémie pour l’ascenseur en déplaçant d’imposants piliers de granit, une délicate modification structurelle invisible. L’offre d’accueil des spectateurs en fauteuil roulant s’étoffe : quatorze peuvent être accueillis contre deux auparavant. Au parterre, quatre emplacements sans fauteuils d’orchestre (en extrémité de premier rang et angle des deux allées transversales), et dans les différents niveaux de loges une dizaine de sièges pouvant être enlevés ou laissés, en fonction du souhait du client. Cette gamme de placement offre aux spectateurs handicapés une diversité de points de vue, ces places restant réservées ce qui permet de décider quasiment au dernier moment d’assister à un spectacle. Les Parisiens valides qui réservent un an à l’avance apprécieront… Mais comme toute médaille a son revers, la réduction précédemment consentie de 40% sur le prix des places est ramenée à 20% : comptez en moyenne de 60 à 100€ pour les oeuvres majeures, y compris pour l’accompagnateur.
Autres aménagements en cours de finalisation, des boucles magnétiques à la billetterie et en salle Bizet où sont organisées des conférences. Petit bémol : pas de bandes d’éveil de vigilance dans les parties ouvertes au public, qui auraient altéré les sols et que le classement monument historique rend quasiment impossible à installer. Ces BEV équipent toutefois les locaux professionnels. Mais les spectateurs aveugles ou très malvoyants peuvent profiter de spectacles avec audiodescription, le prochain n’étant toutefois programmé qu’en décembre 2017, pour Le Comte Ory (Gioacchino Rossini). Et bien évidemment, l’Opéra Comique dispose désormais de toilettes adaptées.
Les splendeurs de cette salle d’opéra de la fin du 19e siècle s’offrent désormais à tous les publics, pour profiter au mieux de ce temple de l’art lyrique qui a ouvert sa programmation à la création tout en redonnant leur chance à des oeuvres chantées-parlées qui eurent leur heure de gloire. Allez-y !
Laurent Lejard, mai 2017.