Unique sous-préfecture de la Creuse avec moins de 4.000 habitants (Guéret, la préfecture, n’en compte qu’environ 13.000), Aubusson est un bourg charmant, au patrimoine architectural préservé, dont le nom rayonne dans le monde entier grâce aux prestigieuses tapisseries qui y naissent depuis plusieurs siècles sous les doigts experts d’artisans d’art auxquels des artistes confient leurs créations. La proximité de la rivière qui a donné son nom au département, ses eaux réputées favorables au traitement de la laine, et surtout le mariage, au XIVe siècle, de Louis de Bourbon, comte de la Marche (du nom de l’ancienne province) avec une princesse flamande expliquent probablement l’implantation de lissiers dans cette vallée éloignée des grands axes commerciaux. Les verdures et autres mille-fleurs héritées de cette tradition flamande continuent à faire la célébrité d’Aubusson mais son développement a été assuré par le statut de manufacture royale conféré au XVIIe siècle sous le règne de Louis XIV. Très affectées par la Révolution faute de commanditaires aristocratiques, les manufactures ont connu une première renaissance au XIXe siècle, renforcée par l’établissement à Aubusson d’une antenne de l’École Nationale d’Art Décoratif (ENAD, désormais rattachée à celle de Limoges) mais cela n’a pas suffi à enrayer le déclin de cette industrie d’exception, réservée aux collectionneurs fortunés et aux commandes d’État. L’Histoire, heureusement, ne s’est pas arrêtée là : à la fin des années 1930, le célèbre Jean Lurçat a révolutionné l’art de la tapisserie en le faisant entrer de plain-pied dans la modernité. Désormais, même si les lissiers sont moins d’une centaine (contre 2.000 à la fin du XIXe siècle), leurs ateliers continuent à produire, que ce soit dans le domaine de la réédition/reproduction ou celui de la création contemporaine.

La Cité internationale de la Tapisserie, inaugurée en juillet 2016, témoigne magnifiquement de cette odyssée. Construite à partir du noyau de l’ancien musée départemental, la nouvelle muséographie, pleinement accessible (stationnement réservé devant l’entrée), se veut un parcours à la fois didactique et ludique dans cet art qui est aussi une industrie. Ainsi sont présentées les étapes de fabrication d’une tapisserie, du dessin préliminaire au carton définitif à partir duquel les lissiers assemblent et nouent les fils de trame colorés. On parle ici de basse-lisse car le métier est horizontal (contrairement à la haute-lisse où la chaîne est verticale), le résultat final n’étant découvert qu’à la « tombée de métier » qui fait l’objet d’une cérémonie très codifiée à laquelle le grand public est parfois convié. Une autre partie du musée évoque l’histoire de la tapisserie, avec des pièces remarquables, certaines très anciennes, venues des quatre coins du monde. Enfin, au rez-de-chaussée, la vaste Nef des tentures retrace, grâce à quelques splendides exemples superbement mis en valeur, l’histoire de la tapisserie du Moyen-Âge à nos jours, des mille-fleurs aux oeuvres du XXe siècle, avec de nombreux grands noms parfois inattendus. Le XXIe siècle est évidemment présent, notamment grâce au soutien de la Cité et de mécènes privés à la création contemporaine, qui se concrétise ici sous la forme d’un appel à projets annuel que complète un espace dédié. La créativité des artistes d’aujourd’hui, conjuguée à l’apport des nouvelles technologies, est absolument bluffante ! Cette créativité, on la retrouve également, dans les rues d’Aubusson, au fil des ateliers de lissiers, dont certains réalisent leurs propres créations. Fût-ce au prix d’un gros seuil, voir ces oeuvres se faire, et discuter avec les artisans d’art est particulièrement enrichissant.

Dans la partie la plus pittoresque d’Aubusson, l’Atelier-musée des cartons de tapisserie, accessible de plain-pied, déploie ses collections dans un groupe de maisons du XVIIe siècle. Comme son nom l’indique, on conserve et restaure ici ces documents indispensables à la réalisation des tapisseries. La visite (guidée) fait revivre à la fois l’histoire, les techniques et les personnes qui ont présidé et président encore à cet artisanat d’exception, que l’on approche au plus près dans un décor qui laisse la part belle à la nostalgie… Faute d’acquérir une tapisserie, résolument hors de portée financière du commun des mortels (il s’en trouve néanmoins à prix raisonnables lors de ventes aux enchères), le visiteur pourra, moyennant finance, repartir avec l’un de ces cartons, dont certains ont été sauvés in extremis par l’association gestionnaire du lieu.

installation vidéo à l'Hôtel Lépinat de Crozant.

L’autre site emblématique de l’art dans la Creuse est la vallée des peintres, au nord du département. Connu surtout des amateurs d’art et des randonneurs, l’endroit a été un haut-lieu de l’Impressionnisme et demeure une destination à la fois secrète et privilégiée pour les peintres paysagistes qui se souviennent que Monet, entre autres grands maîtres, a effectué ici plusieurs séjours, séduit par la beauté de la nature, la lumière changeante reflétée par les falaises et les rivières, tout cela à portée de train depuis Paris. Mais la notoriété de cette vallée, dont le hameau de Crozant, dominé par son impressionnante forteresse (inaccessible aux personnes à mobilité réduite), était la capitale, a pâti de l’attrait des artistes pour les destinations de bord de mer, puis de la désaffection des lignes de chemin de fer, et enfin de l’édification d’un barrage qui a noyé sous plusieurs mètres d’eau la plupart des sites en dehors des promontoires rocheux. La région n’en demeure pas moins des plus agréables au regard mais un effort d’imagination est nécessaire pour se représenter ce qui, désormais, n’existe plus qu’en peinture, accroché aux murs des plus grands musées du monde… À Crozant, l’ancien hôtel Lépinat, jadis rendez-vous des peintres, a récemment été transformé en espace muséographique ultramoderne où l’on peut, en toute accessibilité, découvrir l’histoire de la région, ses principales figures (dont celle du peintre impressionniste Guillaumin injustement oublié) et les oeuvres les plus célèbres qui y ont été peintes, replacées dans leur contexte. Ce centre d’interprétation du patrimoine participe activement à la promotion de la vallée ainsi qu’à la localisation des tableaux afin de remettre la Creuse sur la carte… et les cartels des musées !

Entre Aubusson et Crozant, les amateurs d’Histoire et de nectars confidentiels ne manqueront pas de faire halte au Scénovision de Bénévent l’Abbaye, qui propose de suivre, en trois dimensions (quatre en comptant les parfums !) et en toute accessibilité, les traces d’une paysanne creusoise du XIXe siècle de son enfance à la Première guerre mondiale : émouvant et poétique. Où l’on apprend comment fut élaborée ici une liqueur très en vogue au tournant du siècle, la Bénéventine, dont la recette, recréée à l’occasion de l’ouverture du Scénovision en 2006, ne se déguste qu’ici ! La Creuse, décidément, réserve bien des surprises…

Jacques Vernes, décembre 2016.

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