Ces jours-ci, le Musée en Herbe (Paris 1er) fait le plein. En cause, son déménagement dans de nouveaux locaux plus spacieux et bien situés, à l’angle de la rue de Rivoli juste en face du chantier de la Samaritaine. Grâce aussi à un chat, celui du dessinateur belge Philippe Geluck qui l’expose en tableaux ludiques, référencés, parfois cruels, jamais gratuits : ainsi, le Chat écrase les Schtroumpfs pour en faire une chaussée bleue Klein, rencontre Madame Christo, se fait Joconde, devient Mao façon Warhol, se fait marcher et rouler dessus, expose sa collection dérivée de Vénus de Milo, etc. Aux tableaux et sculptures de Geluck sont accolées des oeuvres qui ont inspiré ses créations : un Saint-Sébastien par Carrache, une copie de la Vénus de Milo, une femme emballée par Christo, etc. Une exposition qui résonne parfaitement avec l’esprit de l’un des rares musées d’expositions temporaires (peut-être le seul en France) à initier les petits dès deux ans et demi à la peinture et la sculpture classique, moderne ou contemporaine. Ces dernières années, nos bambins ont découvert les objets anciens et les oeuvres qui ont inspiré Hergé pour les aventures de Tintin, mais aussi l’univers des Nouveaux Réalistes (Niki de Saint-Phalle, Tinguely, César, Christo) ou les aventures de Martine

« On part de sujets qui parlent aux petits », commente Adeline Brossart, médiatrice. Avec ses quatre collègues (dont deux davantage au contact et formées à l’accueil des publics handicapés) et des intervenants extérieurs, elle anime les visites guidées en petits groupes d’élèves ou de pensionnaires d’établissements médico-sociaux. « Les enfants sont curieux de l’Art, poursuit Adeline Brossart. Avec de l’émerveillement, de la magie, ils n’ont pas les oeillères des adultes, ils expriment leur ressenti. Ils font dans le tactile, on les frustre en leur disant de ne pas toucher. Ils parlent d’abord des détails, les tout-petits ne voient pas le tableau dans son ensemble, tel celui d’Arcimboldo, mais chaque élément. Ce qui marche, c’est l’humour, en leur parlant d’Yves Klein et de ses anthropométries où des femmes nues couvertes de peinture bleue s’étalent sur du papier. »

On l’entend clairement : la proposition du Musée en Herbe n’est pas une vulgarisation infantile de l’Art mais s’appuie sur la curiosité et l’ouverture d’esprit des enfants pour mettre à leur portée des démarches artistiques qui peuvent sembler hermétiques de prime abord. Un musée intelligent qui tire ses visiteurs vers le haut. Avec beaucoup de questionnement sur la sensibilité des jeunes visiteurs : « Il y a des choses qu’on voudrait censurer alors quelles ne les touchent pas, et vice versa d’autres qui semblent anodines peuvent les choquer. »

médiatrices du Musée en Herbe

Pour les visiteurs individuels, le musée prépare pour L’Art et le Chat un audioguide et des fiches de visite en texte facile à lire et à comprendre, imprimées en grands caractères. Ces outils, conçus par les médiatrices sur leur temps disponible, seront disponibles courant mars : le Musée en Herbe a des moyens limités et ne peut proposer ces outils dès l’ouverture d’une exposition temporaire, celle du Chat devant durer au moins jusqu’au mois d’août avec prolongation probable. Le Musée ne propose pas de médiation en Langue des Signes Française mais l’appareil audioguide accommode une prothèse auditive, et l’accueil est équipé d’un amplificateur avec boucle magnétique. Encore manquantes une semaine après l’ouverture des nouveaux locaux, les bandes d’éveil de vigilance équiperont prochainement les escaliers. Enfin, les trois niveaux sont desservis par un élévateur et l’établissement comporte des toilettes adaptées qu’il faut d’ailleurs visiter : le couvercle de la lunette est un pastiche d’une oeuvre de Daniel Buren, plasticien dont Philippe Geluck a voulu ainsi « récompenser » le refus obstiné de se joindre aux oeuvres du Chat, échange de courriers à l’appui affiché dans les WC !

Le musée dispose également de quelques outils tactiles conçus au fil des expositions temporaires : reproduction d’une oeuvre de Vasarely en tactile et braille, jeux de voitures compressées façon César, puzzle cube d’une tête de femme peinte par Picasso, mallette des Nouveaux Réalistes, qui sont utilisés dans les ateliers accueillant des enfants et jeunes handicapés ou mêlant valides et handis. Le musée reçoit essentiellement des petits groupes venant d’établissements médico-sociaux, et également des adultes handicapés mentaux. « Les visites guidées sont effectuées avec une animatrice, en se déguisant, pour un jeu de piste, explique Adeline Brossart. Avec le même objectif que pour les autres, donner envie d’aller au musée, acquérir des références culturelles. Les déplacements dans les salles prennent plus de temps mais on ne rencontre pas de difficulté particulière. Avec les adultes handicapés mentaux, on se laisse guider, c’est en quelque sorte une visite doublement non guidée, on fonctionne au feeling. On propose des ateliers d’art plastique en collaboration avec les éducateurs, adaptés à chaque personnalité, pour six à huit participants au plus. Le maitre-mot c’est l’adaptation, on n’impose pas sa visite et on ne va pas toujours là où on voulait aller. »

Laurent Lejard, février 2016.

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