Créé en 2003 lors de l’Année Européenne des Personnes Handicapées, le festival Orphée, qui se déroulera à Versailles (Yvelines) du 28 septembre au 20 octobre 2012, a évité le piège du ghetto pour être un événement ouvert à tous les publics qui veulent voir et apprécier le travail d’artistes professionnels handicapés. Avec une programmation qui, au fil des éditions, s’est diversifiée, mêlant théâtre, mime, poésie, folklore (au sens culturel du terme), langue des signes, cécité, visuel, musique et même cirque. Ce mélange se retrouve chez les artistes, handicapés moteurs, déficients visuels ou mentaux, sourds, mais également valides travaillant en symbiose avec eux, ensemble, pour dépasser ces « différences » qui n’existent que dans la tête des gens et disparaissent lorsque la relation humaine se noue.

« 10 ans, ça rend joyeux, je ne les ai pas vus passer ! s’exclame Rachel Boulenger-Dumas, présidente d’Orphée. J’ai encore l’impression de débuter, toujours dans l’enthousiasme du départ. » Rachel Boulenger-Dumas a vécu la nette évolution du public qui, en 2003, comptait surtout des acteurs du secteur associatif handicap : « Depuis, on a pu élargir la programmation et toucher d’autres publics, dont les abonnés du théâtre Montansier qui nous accueille depuis la première édition, les scolaires, le jeune public. »

Amandine Tixier, assistante de production, témoigne quant à elle d’une notoriété locale forte : « On exposait il y a peu, lors de la fête des associations, des gens reconnaissaient le visuel du festival, venaient s’informer spontanément. » Le fruit d’une importante communication, qui dépasse les limites de Versailles et de sa proximité et fait que chaque année des dizaines de spectateurs viennent de loin pour Orphée, comme ils le feraient pour un festival renommé. « Depuis la création du festival, reprend Rachel Boulenger-Dumas, de nouveaux partenaires nous soutiennent, ainsi que les théâtres du département, les villes de Marly-le-Roi et Poissy outre Versailles. C’est aussi cela, l’effet 10 ans : on existe toujours, la programmation plait, les élus locaux et les théâtres bougent. »

On sent toutefois un regret dans ce dixième festival : l’impossibilité de présenter un spectacle à Paris. « Le théâtre du Rond-Point était d’accord, explique Rachel Boulenger-Dumas, mais on manquait d’argent, 20.000€. On aura peut-être, cette année, le soutien de la Région Ile-de-France, pour ce montant, mais on n’a pas pris le risque de jouer à Paris sans avoir de certitude. Les sponsors, les sociétés privées préfèrent l’action au long cours, seules la Fondation de France depuis cette année et celle du Crédit Coopératif depuis longtemps nous aident. »

Rachel Boulenger-Dumas déplore par ailleurs l’absence de synergie entre les festivals « handicap » qui se déroulent ailleurs en France : « Orphée est pluridisciplinaire, alors que beaucoup sont spécialisés, pour les Sourds ou autres publics. En fait, les compagnies d’artistes handicapés sont isolées. » Ce qu’Orphée refuse à sa manière, en ouvrant depuis deux éditions sa programmation aux artistes sourds, conduisant même Emmanuelle Laborit à y découvrir l’an dernier la pièce Metroworld qu’elle a décidé de programmer cette saison dans son théâtre, IVT. « On programme trois spectacles sourds, et l’Association Valentin Haüy se bouge cette fois : des spectateurs aveugles viendront pour des spectacles qui leur parlent particulièrement; on emploiera les souffleurs d’images du CRTH pour leur rendre les oeuvres accessibles. » Diversité sur scène et dans le public, c’est cela le Festival Orphée.

Au programme du 10e Orphée, quelques habitués et des nouveautés. Pour l’ouverture, la compagnie espagnole Flick Flock Danza dans une création française, La llama doble, essai sur l’amour chorégraphié par Suzanna Alcon, qui avait livré un spectacle d’exception en 2009 avec Los yo soñados. L’ESAT Théâtre Eurydice jouera ensuite l’adaptation du texte loufoque de Raymond Queneau, Exercices de styles, créé en avril dernier dans son théâtre de Plaisir. Jomi était de la première édition, Orphée l’a voulu pour sa 10e : un spectacle de mime dans la lignée de Marcel Marceau. Du Ionesco à suivre, avec Les chaises, remarquablement interprété par Monica Companys, Alexis Rangheard et Bruno Netter, dans une mise en scène rigoureuse de Philippe Adrien. Les spectateurs découvriront ensuite l’accordéoniste jazz manouche Marcel Loeffler et son Around Gus Quartett pour une création musicale, puis ils (re)verront Joël Chalude dans son autobiographie Né… 2 fois (au Centre culturel Jean Vilar de Marly-le-Roi). Ramesh Meyyappan signera à sa manière très particulière son Snails & ketchup vu en 2010 chez IVT. Puis l’atelier cirque du Créahm de Liège (Belgique) proposera son Cirque Ouille, sept saltimbanques mêlant les genres. Pour terminer dans les Yvelines, le café-théâtre La Royale Factory présentera Robert Brochet et son chien-guide dans leur show Bien vu Miro ! Durant tout le festival, le théâtre Montansier exposera des oeuvres d’artistes travaillant avec l’association Personimages. Enfin, le festival sera clos à Paris par la présentation des travaux des élèves du Centre Ressources Théâtre et Handicap. De la belle ouvrage !

Laurent Lejard, septembre 2012.

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