Capitale de la Champagne et du champagne, Reims est redevenue, depuis quelques années, une cité attrayante (lire ce reportage paru en mai 2006). Elle entreprend désormais une mise en accessibilité culturelle ambitieuse de ses monuments et musées. C’est le cas pour l’événement qui rassemble chaque soir (et, cette année, jusqu’au 23 octobre) Rémois enthousiastes et touristes étonnés : Rêve de couleurs. Célébration imagée des 800 ans de la cathédrale, ce son et lumière ultramoderne donne aux spectateurs un aperçu du foisonnement coloré qui ornait jadis ce chef-d’oeuvre de l’art gothique, dont la façade entière sert de toile de projection.

Et les sensations s’enchainent, mettant en valeur les hommes qui ont bâti la cathédrale, les événements qui s’y sont déroulés, dont une procession royale qui fait entrer le spectateur jusque dans la nef ! Les effets de relief, presque de la 3D, sont saisissants. Les artistes du groupe Skertzò, qui ont réalisé la mise en images, inondent la pierre de couleurs à la manière de la série des façades de la cathédrale de Rouen peinte par Claude Monet, ou plongent celle de Reims dans le fauvisme.

Les malentendants appareillés sont bienvenus, une boucle magnétique étant installée dans la tour technique de gauche et signalée par un gros pictogramme. Les déficients visuels ont, pour leur part, bénéficié de sessions de descriptions d’images lors de projections des mois de mai et juin, à la satisfaction de la plupart de ceux qui y ont assisté. Rêves de couleurs sera reconduit en 2012, et la ville réfléchit actuellement au mode d’audiodescription le mieux adapté.

« J’ai assisté à une description auprès de cinq personnes aveugles, commente Jacqueline Dalhem, vice-présidente de Reims métropole en charge du transport des personnes handicapées et de la commission intercommunale d’accessibilité. Quatre étaient satisfaites, mais la cinquième déçue par le caractère trop amateur de ce qu’on lui décrivait ». Une réflexion devrait prochainement être engagée afin d’élaborer une audiodescription qui pourrait utiliser le support d’un audioguide.

Dans la journée, l’accès à la cathédrale est devenu plus simple et en pleine autonomie, des portes battantes ayant été installées dans son flanc gauche, signalées par panneaux sur le parvis. Mais celles qui lui font face et conduisent directement au Palais du Tau, à droite de la nef, ont été condamnées parce qu’elles généraient un courant d’air continu…

Autre nouveauté dans la cathédrale, la création des vitraux des chapelles du choeur qui entourent l’axiale, confiés à l’artiste allemand Imi Knoebel. S’il est permis de voir dans cette commande une forme d’expiation du bombardement de la cathédrale par l’armée allemande en 1914, l’intensité des couleurs déployées vient toutefois gêner la perception et la lecture des vitraux de la chapelle axiale, conçus par le peintre Chagall dans une ambiance bleutée tout imprégnée de douceur mariale…

Au Palais du Tau, la réfection du parcours unique de visite devrait être achevée cet automne : rampes, ascenseurs et élévateurs donnent déjà pleinement accès à toutes les salles, les toilettes adaptées sont en service, la nouvelle muséographie restant à installer. Les personnes handicapées suivront (enfin) la même visite que les autres. Il reste à régler quelques détails, notamment le niveau sonore d’un ascenseur qui rendrait sourd un aveugle ! Des maquettes tactiles et un nouveau livret braille sont attendus, des médiations culturelles adaptées programmées, mais l’ensemble, annoncé prématurément par la présidente du Centre des Monuments Nationaux pour juillet 2011, ne devrait être finalisé qu’en octobre, au mieux.

Autre musée, municipal celui-là, celui des Beaux-Arts s’est ouvert aux Sourds en créant un visioguide original, grâce à l’appui de l’association locale Cinésourds. Près d’une vingtaine d’oeuvres sont présentées en Langue des Signes Française, représentatives de la richesse des collections dont l’étage, hélas, restera inaccessible en fauteuil roulant : le musée doit s’installer en 2017 dans un nouveau bâtiment qui sera construit à côté des halles du Boulingrin, les travaux de terrassement ayant mis au jour des vestiges romains et médiévaux en cours d’étude et de préservation en vue de leur intégration dans la nouvelle construction. Durant quelques années encore, les visiteurs handicapés moteurs devront donc se contenter de la collection XXe siècle, installée en rez-de-chaussée, qui propose un intéressant panorama de la création moderne de quelques peintres célèbres.

Mais le plus connu des peintres rémois modernes est certainement Foujita, dont l’émouvante chapelle est enfin pourvue d’une rampe d’accès. La visite mérite de prendre le temps d’admirer le travail de ce peintre au pinceau doux et tendre, mais qui sait également croquer les « trognes » dans le chemin de croix qui orne l’un des murs. Toutes les parois sont peintes à fresque, de scènes de la vie du Christ depuis l’Annonciation jusqu’à la Résurrection, dans un style descriptif sensible, parfois empreint d’humour quand Foujita se représente aux côtés de son mécène et de l’architecte de la chapelle, ou place un joueur de flute andin dans la Nativité. Mais le peintre, décédé en 1968, nous rappelle à la dureté de son époque, incluant des enfants irradiés dans les vitraux qui encadrent le choeur, stigmates mortels des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, pour que l’on se remémore l’horreur afin que cette chapelle reste celle de la Paix.

Reims offre enfin la possibilité unique de visiter une maison Art Nouveau grâce à une accessibilité complète, modèle du genre. Cette Villa Demoiselle, baptisée comme il se doit du nom d’un cru de Champagne, est une rescapée : construite de 1904 à 1907 pour un directeur de la maison Pommery, mais qui mourut avant la finition, elle fut habitée jusqu’en 1931 puis servit à diverses activités (colonie de vacances, stockage de vin). Menacée de destruction et sauvée par un classement « monument historique » dans les années 1980, elle resta délaissée par Pommery qui la laissa squattée et progressivement dévastée.

C’est à une véritable résurrection que les visiteurs sont conviés depuis quelques mois, la famille Vranken qui l’a acquise ayant entrepris la reconstitution la plus fidèle possible : recréation des décors muraux et des vitraux, recherche d’éléments mobiliers dispersés et complétés par des meubles réalisés par l’ébéniste Tony Selmerscheim, patiemment chinés. Dans l’entrée, une cheminée dessinée par un élève de Majorelle et un splendide lustre de 10m de haut vous accueillent. Attenante, la salle de billard a retrouvé son astucieux meuble de rangement. Le goût bourgeois des premiers occupants de la Villa est restitué dans le Salon Baccarat, de style Napoléon III. Au premier étage, un élégant salon de réception remplace les chambres des parents et de leurs enfants. Mitoyen, un salon aux murs façon cuir de Cordoue, tapis 1930 et rare jardinière d’intérieur. Au deuxième étage, deux chambres reconstituent l’univers de Monsieur et Madame…

Tout le parcours, de la cave aux combles, est aisément réalisable en fauteuil roulant, une passerelle en pierre parfaitement intégrée dans le bâti conduit du pavillon d’accueil (avec toilettes adaptées en sous-sol par ascenseur, places de stationnement réservé à proximité) à la maison. Et les quelques visiteurs déficients visuels peuvent sur demande toucher quelques objets et matières. Une réhabilitation d’exception, à tous les sens du terme !

Laurent Lejard, septembre 2011.

Les visiteurs handicapés trouveront à l’office de tourisme de Reims, proche de la cathédrale, des informations précises (avec, sur demande, les photographies idoines) des lieux culturels accessibles. L’office peut également concevoir un programme de séjour adapté intégrant jusqu’à la location d’un fauteuil roulant ou d’un lit médicalisé. Il prête, sur demande, une boucle magnétique portable (utile pour bien entendre un audioguide par exemple). Une convention avec le transport spécialisé Tréma devrait prochainement rendre ce service utilisable par les touristes handicapés, le mode d’inscription restant encore à préciser. L’ouverture au printemps 2011 de deux lignes de tramway facilite les déplacements (distributeurs de billets sonorisés en appuyant sur l’angle inférieur droit de l’écran), mais si de nombreux bus sont accessibles, les lignes ne sont pas déclarées comme telles. Par ailleurs, de nombreuses traversées piétonnes sont sonorisées par un système standard actionné par télécommande.

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