Depuis des années, des personnes vivant avec des handicaps variés ont joué un rôle important dans l’enrichissement de l’univers culturel du Cameroun. On peut citer notamment les artistes reconnus sur le plan international tel qu’André Marie Tala et Angélina Tezanou qui, malgré leur déficience visuelle, excellent dans leur art. Nous pouvons aussi citer le légendaire Eboa Lotin dont le prénom « Eboa » est devenu, dans le jargon camerounais, une façon de désigner les personnes souffrant d’un handicap des membres inférieurs. On ne saurait oublier ces hommes et femmes qui, bien que n’étant pas aussi populaires que ceux cités ci-avant, se battent contre vents et marées pour se faire une place au soleil, mettre leur talent en valeur et gagner leur vie.

Affectueusement reconnu comme « l’Afrique en Miniature » par beaucoup d’analystes, le Cameroun englobe une grande partie de la beauté naturelle du continent Africain. Cette beauté est reflétée dans son art. Elle est beaucoup plus visible dans les festivals de l’art et de la culture tel que le Salon International de l’Artisanat du Cameroun (SIARC) qui a tenu sa deuxième édition en janvier 2010. Réunissant à Yaoundé les artistes des quatre coins du Cameroun, le SIARC est pendant toute une semaine l’occasion pour les artistes camerounais d’exprimer leurs talents : peintres, sculpteurs, musiciens et architectes pour ne citer que ceux-ci, valides et invalides, répondent présent à cette rencontre.

Parmi ces artistes nous avons remarqué Adeline Mosogne, une jeune femme handicapée qui a eu une formation en sculpture et qui vit aujourd’hui de son art. A travers l’association Atelier de Sculpture des Femmes Handicapées qu’elle a créée en collaboration avec d’autres jeunes femmes, Adeline veut non seulement prouver qu’elles sont tout aussi talentueuses que les autres mais aussi, elle voudrait démontrer qu’il est erroné de penser que la place des personnes invalides est dans la rue. En exposant son art au SIARC, Adeline profite de l’occasion pour éduquer les parents afin que ceux-ci donnent l’opportunité à leurs enfants handicapés d’exploiter tout leur potentiel. Elle pense qu’ils peuvent le faire en se rapprochant de centres comme le sien, qui offrent une formation gratuite.

Aboubakar Hamiba a également participé au SIARC 2010. Après avoir bravé le long et difficile voyage de plus de 900 km effectué en train depuis Ngaoundéré, ville située dans la région de l’Adamaoua (nord Cameroun), Aboubakar espère attirer l’attention en exposant ses toiles. Il déplore le manque de soutien et d’assistance de la part du Gouvernement, qui permettrait aux artistes infirmes comme lui d’améliorer leur art et de pouvoir en vivre. Le problème du manque de moyens est très sérieux chez les artistes camerounais handicapés. Pour la plupart, les fonds investis pour leurs oeuvres proviennent des cotisations familiales, de personnes de bonne volonté et d’épargne personnelle. Au-delà du manque de moyens, il faut également citer l’inaccessibilité des centres de formation professionnelle artistique, et surtout certaines attitudes négatives de la part de société vis-à-vis des personnes handicapées. Par ailleurs, le développement des centres de formation en métiers artistiques reste balbutiant au Cameroun. A cause de ces obstacles, les artistes handicapés rencontrent des difficultés pour mettre leurs talents en valeur.

Ainsi en va-t-il d’Alphonse Ottou Effa. Agé de 28 ans, il travaille comme cordonnier. Bien qu’il exprime de la satisfaction dans son art aujourd’hui, il reconnait toutefois que le trajet n’a pas été facile. Élevé dans une famille pauvre, la cordonnerie n’a pas été un choix mais une nécessité : « Mes parents n’ont pas pu continuer mon éducation », déclare-t-il. Apres deux ans de formation dans le secteur informel et travaillant pour des tierces personnes, il a pu épargner un peu d’argent et, avec l’aide des membres de sa famille, il est arrivé à ouvrir son propre atelier avec le peu de matériel qu’il avait à sa disposition. Tout comme les autres artistes handicapés, Alphonse encourage les personnes déficientes à travailler dur afin d’abandonner la mendicité, et offre même de former gratuitement toute personne handicapée volontaire. Il rêve du jour où il aura accès à l’aide ou à l’assistance financière pour « agrandir mon atelier, aider les autres et améliorer mon standard de vie », conclut-il.

Dans un registre tout à fait différent, Elcha et Guzo l’Amour sont deux jeunes et talentueux musiciens. Toutefois, malgré leurs efforts, ils ont des difficultés pour se faire une place dans le monde musical. Leur plus grand défi est le manque de fonds et un producteur qui voudra bien s’occuper de la mise sur pied de leur produit. Elcha, 30 ans et déjà un album sur le marché dont le titre phare est « Solidarité », est convaincue que si elle a un bon producteur et une bonne stratégie de promotion, elle pourrait acquérir une célébrité au-delà des frontières du Cameroun. Pour l’instant, elle exprime son mécontentement du fait qu’elle soit obligée de se produire uniquement lors des évènements organisés par les associations des personnes handicapées et par le Ministère des Affaires Sociales. Guzo l’Amour, malgré un chant captivant laissant très souvent son auditoire agréablement étonné, est toujours incapable d’accéder à la popularité telle celle de l’icone de la musique camerounaise et internationale Kotto Bass dans les années 90, lui aussi handicapé. De manière générale, la personne en situation de handicap connait des difficultés à accéder aux lieux culturels publics, car les mesures d’accessibilité sont rarement au rendez-vous.

C’est dans le but de surmonter ces difficultés que les artistes camerounais ont décidé de conjuguer leurs efforts à travers des associations et des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Parmi elles, on peut citer le Club des Jeunes Aveugles Réhabilités du Cameroun (CJARC) dirigé par Coco Bertin, lui-même artiste musicien et aveugle. Il est aussi important de mentionner l’Association Interprofessionnelle des Artisans, Artistes et Agriculteurs Handicapés (AS. HA. MVELE) avec à sa tête Michel Patrice Ambela. Les deux associations ont été crées dans l’optique d’être la voix des artistes handicapes étant donné que l’on retrouve au sein de la communauté handicapée au Cameroun des personnes douées, à des degrés divers, de talents artistiques. Ces associations et quelques personnes de bonne volonté construisent les fondations d’un avenir plein d’espoir.

Hilda Muluh Bih, juillet 2010.

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