Une vaste esplanade bordée par un précipice, tel se présente encore l’accès à la Bibliothèque Nationale de France François Mitterrand. Si elle porte le nom d’un ancien Président de la République (1981-1995), c’est en l’honneur de l’homme qui a voulu sa construction. Le visiteur, lui, entre au coeur de quatre livres ouverts, comme posés aux angles du bâtiment; il marche sur un parvis de bois puis descend au coeur des livres par un Travelator (rampe mécanique). Durant ce parcours « initiatique », il côtoie l’état primitif du livre, l’arbre, dont quelques-uns forment une forêt enchâssée au centre de l’immeuble. Voilà pour le concept.

La réalisation est plus brutale. Le Travelator ne fonctionne plus en descente : trop de glissades et d’accidents, la rampe métallique est recouverte par un tapis noir disgracieux. Le bois employé pour l’esplanade s’est avéré très glissant par temps humide, des stries ont été pratiquées pour réduire le risque de chute. Les personnes en fauteuil roulant doivent, quant à elles, entrer par l’un des deux ascenseurs du parvis, lesquels ne sont pas en libre-service, fermés par une porte sans poignée extérieure. Il faut donc appeler, au moyen d’un interphone, un gardien pour qu’il emprunte l’élévateur puis ouvre de l’intérieur la porte qui y donne accès. Jusqu’en 2001, la tâche était risquée : « L’interphone pour commander l’ascenseur est placé trop haut et en plein vent, ce qui rend la communication avec le personnel d’accueil quasiment impossible » (lire cet article). Depuis 2002, deux plaques latérales en verre et une « casquette » protègent des intempéries. Mais une fois dans le hall, le sport commence : les couloirs, longs de 250m, sont revêtus d’une épaisse moquette, certes très isolante, mais qui nécessite une bonne force musculaire pour s’y mouvoir. Même chose avec les immenses et lourdes portes coupe-feu, et qui vont par paires, à pousser et tirer. Une visite à la B.N.F vaut une bonne séance de culture physique !

« On avait fondé beaucoup d’espoirs sur le Travelator, explique l’architecte de la B.N.F, Dominique Perrault. On s’était attachés à ce que l’accès ne soit pas différencié pour les personnes handicapées; le plan incliné est le moyen le plus agréable d’accéder à un bâtiment, c’est une entrée douce. La moquette est du même type que celle des avions et des trains. On avait également prévu que les portes coupe-feu soient maintenues ouvertes par un dispositif automatique, mais la réglementation sur la sécurité ne l’a pas permis ». L’architecte constate les divergences résultant des règlements sur l’accessibilité et la sécurité : « On pourrait trouver une solution aux situations contradictoires, mais la France est le pays du bon droit, pas de l’intelligence, de la recherche d’une solution harmonieuse ». A cet égard, Dominique Perrault avoue préférer travailler en Allemagne ou en Autriche, où les positions seraient moins figées. Il déplore que l’immeuble de la B.N.F ait dû être conçu comme une construction finale, ne pouvant évoluer avec l’usage.

« Les grands bâtiments, ajoute Dominique Perrault, ne devraient pas être perçus comme achevés dès leur ouverture. Il serait plus efficace d’accompagner leur mise en place. La B.N.F a été construite dans un quartier vide à l’époque, qui est peuplé, vivant maintenant, et qui conduit à remettre l’ouvrage en chantier, pour l’adapter en permanence pour ceux qui y vivent ou qui y travaillent ». L’accès à la bibliothèque devait être aisé pour tous, Dominique Perrault rappelle qu’il avait inclus, dans son projet initial, un accès direct à la future ligne 14 du métro parisien, automatique et accessible. Un autre choix a été effectué par les décideurs, l’entrée de la station Bibliothèque se retrouvant à 500m de celle de la B.N.F !

En attendant une hypothétique restructuration du bâtiment, la chargée de mission pour l’accueil des personnes handicapées, Edwige Le Brettevillois-Popovitch, a cherché à améliorer l’accueil : entre autres dispositions, les personnes handicapées peuvent désormais accéder en voiture au parking du personnel (1 emplacement réservé), situé sous le parvis. Les parties usées de la moquette d’origine sont changées par une plus « roulante »; en fauteuil, on fait aisément la différence : la neuve vous envoie à gauche alors que la vieille fait tirer à droite ! La B.N.F est pourtant en pointe dans un domaine : elle est dotée d’un équipement rare, deux ascenseurs conçus pour fonctionner en cas d’incendie afin d’évacuer les personnes handicapées motrices. Une exception dans un bâtiment handicapant pour tout le monde…

Laurent Lejard, mai 2006.

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