Pour sa deuxième édition, le festival Retour d’Image, qui se déroule du 25 novembre au 4 décembre 2005, à Paris et Brétigny sur Orge (91) met l’accent sur la vie des personnes handicapées, films vécus pour la plupart, documentaire, et également fiction. C’est dans ce registre que se classe Aaltra (Gustave Kervern et Benoît Delépine), road-movie de deux paumés paraplégiques entre la France et la Finlande (lire cet article).
Autre parcours, initiatique celui-là, celui de Sandy (Cloud Cuckoo Land de Matt Dickinson), arraché du ventre de sa mère cliniquement morte après avoir été fauchée en deltaplane par un avion. Né dans des conditions difficiles, Sandy est infirme moteur cérébral. Il vit aux cotés de son grand-père, restaurateur d’avions anciens, qui a communiqué le virus de l’aviation à sa fille et maintenant à son petit-fils. Mais comment Sandy, qui contrôle mal ses gestes, pourrait-il voler ? Tous doutent, Sandy devra leur prouver sa force, sa volonté, trouver une alliée pour réaliser son désir. Le réalisateur Matt Dickinson signe là un film sans pathos qui casse les schémas tous faits sur ce que peuvent ou ne peuvent pas réaliser des personnes handicapées. Sandy est interprété par Steve Varden, comédien infirme moteur cérébral : la preuve par l’exemple.
Côté documentaire, la problématique de la réparation du handicap dans Le sifflet, réalisé par As Thiam, nous conduit aux côtés d’un couple d’aveugles, Samba et Coumba. Ils se côtoient depuis 35 ans. Ils se chamaillent, tout en se rendant à Dakar à pied à cause d’une grève de bus. Samba, trop sûr de lui, s’égare et ramasse un sifflet, il souffle dedans et retrouve la vue d’un oeil, il souffle à nouveau et il voit parfaitement ! Il découvre le pouvoir du sifflet et la richesse qu’il lui procurera. Cumba souffle à son tour, voit d’un oeil et se moque de Samba, lui dit qu’il faudra tout réapprendre, et pleure parce que Samba veut la quitter pour le sifflet et la richesse. Comment nos vies pourraient-elles changer si d’aventure la guérison miraculeuse se produisait ? Telle est l’interrogation portée par ce court-métrage qui ne veut pas démontrer mais susciter la réflexion.
Touchée, documentaire de Laetitia Mikles, nous fait entrer dans le monde des sourds-aveugles, un univers qu’on connaît trop peu. Sauf peut-être quand on évoque l’américaine Helen Keller, souvent décrite comme un phénomène de réussite. Mais là, c’est auprès de gens ordinaires que nous conduit Laetitia Mikles. Ils parlent avec leurs mains, leurs doigts, leurs gestes tout en douceur, qui touchent l’autre, l’enveloppent. Des mains qui travaillent également, qui sculptent, font du judo, pèlent une orange, qui aiment : la déclaration d’amour, à la fin du film, est l’une des plus belles et des plus sensibles à laquelle il soit donné d’assister…
Lisandre et ses frères, de Rafaèle Layani, nous fait découvrir une fratrie. Tous trois sont sourds, la mère est entendante, le père n’est plus là. Ils sont scolarisés, près de Poitiers, en école ordinaire. La réalisatrice a pu suivre Lisandre en classe, les enfants dans leurs jeux, sourds et entendants, qui se font les niches habituelles à cet âge. La mère a voulu cette scolarité bilingue à l’école, pour que ses enfants parlent la langue des signes, et écrivent et lisent le français. On ne sait si elle exagère quand elle affirme que 70 enfants sourds seulement sont à l’école ordinaire, « une vie plus saine qui n’est pas dans l’assistanat ». Un choix de vie effectué pour l’avenir de bambins qui ne vivent pas en petits handicapés mais en enfants. Un sujet polémique tant le propos est contesté par une partie des militant sourds de la primauté, voire de l’exclusivité de la langue des signes.
Une fenêtre ouverte, de Khady Sylla, nous ramène en Afrique noire. Khady a connu la maladie mentale, et elle nous conduit auprès de son amie Aminta, qui se définit comme folle. Elles dialoguent devant la caméra : Khady est parvenu à sortir de ses troubles psychiques, une maladie sur laquelle elle tente de mettre des mots afin d’en décrire les indicibles souffrances. Aminta, elle, est rejetée par sa famille qui la séquestre à la maison tout en la laissant seule toute la journée. Elle attend que le temps passe, assise dans la cour de la maison. Et ressasse ses souvenirs. La stigmatisation silencieuse est omniprésente dans ce film qui met à nu le martyre psychique vécu par Aminta. Cette plongée dans la folie de deux femmes, l’une qui ne peut en sortir, l’autre qui en parle, interroge sur notre perception des personnes psychiquement handicapées, facilement qualifiées de folles et rejetées parce que comprendre leur mode de fonctionnement heurte les schémas tous faits, les habitudes, et oblige à s’impliquer. Khady, elle, veut ouvrir la fenêtre, et sortir de l’enfermement : « On peut guérir en marchant ».
Laurent Lejard, novembre 2005.
Le programme complet du festival Retour d’Image est disponible sur le web.