Quand la musique croise le monde du handicap et que la notoriété est là, on rencontre un Ludwig van Beethoven sourd ou un Joachin Rodrigo aveugle. L’Hymne à la Joie et le Concerto d’Aranjuez sont dans toutes les mémoires et occupent une bonne place dans les présentoirs des disquaires. Voici trois musiciens, eux aussi hors de commun, trois personnalités évoluant dans un univers musical bien différent, celui de la scène rock. À travers leurs spectacles et leurs disques, ils font frémir des millions de fans autour du monde.

Tony Iommy. L’histoire de l’un des ensembles les plus influents de la production hard rock des années 1970 débute en Angleterre, à Birmingham. En 1964, Tony Iommy guitariste et Bill Ward batteur, intègrent des groupes locaux d’où naîtra quelques années plus tard Black Sabbath. Révélé au mois d’août 1970 par un titre de son deuxième album, Paranoid, Black Sabbath devient numéro 1 en Grande Bretagne deux mois après. Malgré une vie agitée et de nombreux bouleversements, la formation se stabilisera autour de son leader Tony Iommi et se reformera en 1997 pour une tournée américaine. L’une des originalités de ce groupe, porté par la vague d’occultisme et de rock dur, tient sans doute dans la personnalité de son guitariste. Dès ses débuts de musicien, Tony Iommy se coupe deux phalanges de la main droite en voulant scier un morceau de tôle. Plutôt que de réapprendre à jouer comme un droitier, il utilise des prothèses en plastique, un peu comme des dés à coudre.

Ces deux doigts sans sensibilité l’ont obligé à développer un jeu particulier car il doit maintenant se fier uniquement à son oreille pour contrôler le vibrato et la pression des cordes sur le manche de l’instrument. Sa guitare accordée plus bas pour qu’il puisse jouer (les cordes sont moins tendues), donne à ses interprétations un son plus lourd particulièrement apprécié par ses admirateurs. En octobre dernier, Tony Iommy s’est laissé tenter par une expérience en solo et a sorti un disque avec de nombreux invités de la scène hard rock sous le titre IOMMY.

Rick Allen avait quinze ans quand il a été engagé comme batteur par le groupe récemment formé, The Def Leppard. Ambassadeurs du hard rock aux États Unis, ils vendront bientôt plus de dix millions d’exemplaires de leur troisième album Pyromania. Malheureusement en 1984, au volant de sa voiture, Rick Allen a un grave accident et perd le bras gauche. Il tient néanmoins son poste à la batterie et le chanteur du groupe Joe Eliot dira même qu’il est meilleur batteur qu’il n’était quand il avait deux bras !

Après avoir utilisé un kit électronique fait sur mesure pour lui, il joue depuis 1995 sur un instrument semi- acoustique. C’est ainsi qu’il enregistre en 1996 un album de rock sans fioritures, Slang. Après un succès mitigé, Def Leppard est revenu à une musique puissante aux rythmes rapides qui leur assure la réussite avec Euphoria en 1999 et des tournées à travers le monde où ils jouent à guichets fermés.

Robert Wyatt. Discret, il est à l’aise dans de nombreux styles, pop, rock, jazz, avant- garde. Il joue la musique qu’il aime avec les musiciens qu’il aime, sans se soucier des modes qui agitent l’industrie du disque. Aujourd’hui, Robert Wyatt n’est pas nostalgique des années de sa jeunesse quand il participait à la fondation de Soft Machine, le groupe qui allait transformer avec Pink Floyd la scène psychédélique britannique à la fin des années 1960.

Il faut dire qu’en 1973, il avait déjà entamé une carrière solo, il est tombé par la fenêtre du troisième étage d’un hôtel et s’est réveillé paraplégique. De ce tragique accident naîtra un album remarquable, original et envoûtant, Rock Bottom. « J’étais un batteur qui chantait un peu, je suis devenu un chanteur qui joue un peu de percussions » dira- t- il dans une interview. Depuis, il ne s’est pas arrêté de composer et de participer à des sessions d’enregistrements avec des complices musiciens. Cet admirateur de Picasso et de Miro, des hommes qui se sont affirmés dans leur maturité, a produit en 1997 un disque où la mélancolie le dispute à la poésie Shleep, montrant toute la vigueur créative de cet artiste.

Pierre Brunelles, novembre 2000.

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