L’illustrateur Nayel Zeaiter a fait du Facile à lire et comprendre (FALC) sans le savoir mais le résultat est là, accessible à tous (ou presque, rien n’étant prévu pour les personnes déficientes visuelles.) La direction du Grand Palais lui a en effet confié la réalisation d’une palissade ceinturant le vaste édifice occupant le terrain entre les avenues Winston Churchill et Franklin Roosevelt (Paris 8e) le temps d’une longue rénovation et réorganisation des espaces et des salles. Les visiteurs handicapés devraient y gagner une accessibilité en autonomie dont on ne connaît pas encore les modalités, et pour patienter tous les passants peuvent découvrir l’histoire mouvementée d’un bâtiment créé pour l’exposition universelle de 1900 : les époques, les péripéties, les drames, les hommes, tout ce qui a fait la réputation du Grand Palais est présenté par une succession de dessins simplifiés et de textes courts aisés à lire, l’ensemble instruisant le passant de l’essentiel à connaître.
Comment Nayel Zeaiter a-t-il conçu ce FALC historique ? « Ce n’était pas une intention dans le sens où je ne connaissais pas ce terme de facile à lire et comprendre. J’avais une intention de vulgarisation et d’accessibilité que j’assume totalement. L’idée est de rendre accessible à tous un discours historique parfois difficile à appréhender. » Il y parvient parfaitement au fil des sections d’une frise qui peuvent s’apprécier séparément (le périmètre approche le kilomètre !) si l’on manque de temps et que l’on peut revenir. « Ça joue aussi dans le style de représentation, dans la narration. L’écriture est assez orale, c’est une caractéristique de mon travail : j’utilise des phrases simples avec un seul verbe, elles ne se succèdent pas mais fléchées les unes aux autres, et donc pas de paragraphes complexes et littéraires qui peuvent constituer des freins. Et il y a une certaine oralité dans le propos. » Citons par exemple la technique de construction des fondations qui est présentée avec un dessin décomposant les phases d’un procédé compliqué utilisé depuis l’Antiquité ; là, on comprend aisément comment il a été possible d’asseoir une construction lourde alors que « le sol, près de la Seine, n’était vraiment pas terrible », information essentielle qu’il n’est pas nécessaire ici de détailler en exposant les caractéristiques d’un terrain alluvionnaire.
Autre atout de cette histoire illustrée, elle fait découvrir des pans oubliés telle l’exposition de 1941 sur La France européenne qui préfigure l’actuelle Union Européenne, domination nazie en moins… « C’est l’enjeu d’une grande partie de mon travail. Il a un côté ouvrage didactique ou tableau d’élocution qu’on employait à l’école avant 1968, des tableaux pour apprendre à décrire, parler et s’exprimer, évoquant des scènes de la vie quotidienne, du travail, de la ferme, de la nature. Et la volonté de faire des schémas didactiques à l’image d’ouvrages de la presse universitaire. » Dans ses sources d’inspiration, Nayel Zeaiter cite les manuels scolaires de la IIIe République, époque de développement du roman national, la revue Tout l’univers éditée au long des années 1960. « Ce sont des influences formelles que j’utilise pour créer une esthétique qui soit séduisante et rassurante, qu’on ne se retrouve pas perdu face au dessin et au texte. J’utilise le dessin vectoriel sur ordinateur comme un effacement de la patte de l’artiste. »
L’exposition de ce travail doit durer jusque fin 2023, espérons que le public le respectera parce qu’on constate déjà quelques dégradations, notamment sur le portrait de Jack Lang, ministre de la Culture sous les deux mandats de François Mitterrand. Les visiteurs attentifs constateront également une incongruité qui ne serait pas volontaire : les années d’occupation par l’Allemagne nazie (1940-44), les combats de la Libération autour du Grand Palais, l’évocation de l’exposition sur les crimes hitlériens sont affichés… face à l’ambassade d’Allemagne ! Rien d’intentionnel mais le résultat du processus de création par segments et du choix du point de départ au débouché d’une station de métro. « Ce n’est pas une volonté directe, conclut Nahel Zeaiter, on s’en est rendu compte au moment du placement des panneaux. La direction du Grand Palais a échangé avec l’ambassade qui n’y voyait pas de problème particulier. » La grande histoire du Grand Palais se sera donc pas marquée par un incident diplomatique et l’altération de l’amitié franco-allemande…
Laurent Lejard, juin 2022.