Il y avait foule le 10 septembre dernier pour inaugurer sous les averses la toute neuve Maison de la Culture de Bourges (Cher). Fermée pour depuis une dizaine d’années pour une rénovation à péripéties, elle fut la première à être créée sous la présidence de Charles de Gaulle qui était venue l’inaugurer le 15 mai 1965.

Autant de policiers et gendarmes armés que de manifestants pour l'inauguration de la Maison de la Culture de Bourges

56 ans plus tard, pas de Président de la République et « seulement » la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, protégée par d’innombrables policiers et gendarmes, des quelques dizaines de manifestants qui, à l’extérieur, protestaient contre la réforme de l’assurance chômage ou rappelaient que plus de 80 arbres avaient été abattus pour ériger le bâtiment : à Bourges, la campagne entre dans une ville qui voudrait devenir en 2028 capitale européenne de la culture.

Une accessibilité perfectible

Grande salle de la Maison de la Culture de Bourges depuis les palces fauteuil roulant du haut

Posée tel un quadrilatère de béton à longue façade de verre aux structures métalliques blanches, la nouvelle MCB semble fonctionnelle, claire et compacte. À l’intérieur, une salle en gradins de 700 places dont 15 « fauteuil roulant » réparties en bas et en haut (sans sièges accompagnateurs qui sont placés sur le rang derrière ou devant), une autre modulable de 200 places en gradins escamotables pour expositions ou spectacles, deux petites salles de cinéma en gradins (places fauteuil tout en haut), une salle d’exposition temporaire, deux restaurants, des locaux de création et techniques, des bureaux, l’ensemble desservi par plusieurs ascenseurs en accès libre ou contrôlé.

Comptoir latéral abaissé et mains-courantes simples de la Maison de la Culture de Bourges

Mais au-delà de l’accessibilité physique du bâtiment, tout juste conforme à la réglementation, les publics handicapés trouveront fort peu d’offres adaptées : aucun spectacle avec audiodescription, interprète en Langue des Signes Française ou sur-titrage pour toute la saison, un seul film audiodécrit et trois sous-titrés sur 23 programmés pendant ce mois de septembre dans ses deux salles pourtant équipées du matériel nécessaire. Sur le site web de la MCB, l’information sur l’accessibilité est laconique : « Nos salles de spectacles et de cinéma sont accessibles aux personnes handicapées [motrices] Certains spectacles et films sont accessibles aux personnes porteuses d’handicaps sensoriels sans dispositif spécifique (cf. pages spectacles et programme cinéma). »

Salle de cinéma Agnès Varda de la Maison de la Culture de Bourges depuis les places fauteuil roulant

Sur les fiches spectacles en ligne ou dans la brochure papier, des concerts sont ornés du pictogramme « oeil barré » signalant leurs accessibilité aux spectateurs malvoyants : simplement parce qu’il s’agit de musique ? Un seul spectacle est signalé « Accessibilité malentendants », mais avec quel support humain ou technique : simplement parce que c’est du cirque  et que ce spectacle est visuel ? « Plusieurs spectacles sont accessibles aux personnes sourdes et malentendantes, il y a eu un oubli dans les brochures, justifie Audrey Matel, secrétaire générale de la MCB. Ils sont signalés sur le site internet dans l’onglet « Dates » des spectacles. Le support adapté pour ce public sont les boucles magnétiques à renforcement sonore. Les spectacles signalés accessibles sont effectivement visuels. Pour les personnes aveugles ou malvoyantes, ce sont effectivement les concerts qui sont signalés accessibles. » Curieusement, elle ignore qu’Accès Culture réalisera l’interprétation LSF de la représentation du 30 septembre de « le nécessaire déséquilibre des choses » !

Salle d'exposition de la Maison de la Culture de Bourges

Pour le cinéma, ce n’est guère mieux : « Pour l’audiodescription, le boitier est fourni et le casque peut également être fourni auprès de la billetterie, poursuit Audrey Matel. Séances signalées avec la mention AD sur le calendrier du programme cinéma et sur le site internet de la maison dans l’onglet « Séances » de chaque film. » En pratique, aucun film sur le programme papier, un seul signalé sur Internet sur les 23 projetés ce mois-ci. « Le renforcement sonore est disponible pour tous les films, ajoute Audrey Matel. Des séances surtitrées sont également prévues, signalées dans le calendrier du programme cinéma et sur le site avec la mention SME. En ce moment, c’est tous les lundis du mois de septembre à 18h. » Soit 3 séances sur 125 !

Exposition du Tura Théâtre à la Maison de la Culture de Bourges ©Yanous.com

D’autre part, quelle médiation pour les publics handicapés, notamment déficients visuels, lors des expositions dont celle en cours du Turak Théâtre ? Et quelle place pour les artistes et créateurs handicapés ? Tout juste un spectacle mettra-t-il sur scène la danseuse trisomique Alice Davazoglou dans un duo avec sa mère Françoise, De Françoise à Alice sur une chorégraphie de Mickaël Phelippeau, les 3 et 4 mai 2022 dans la salle Pina Bausch.

Espace sous escalier non protégé et mains-courantes non doublées à la Maison de la Culture de Bourges

Pour les visiteurs aveugles, le guidage podotactile n’aura guère d’utilité : son point de départ au bord du très vaste parking Séraucourt n’est pas repérable, et il conduit vers deux entrées distinctes (hall et cinémas) sans borne sonore informant les visiteurs déficients visuels. Dans le hall, le comptoir abaissé pour les visiteurs en fauteuil roulant ou de petite taille est déporté sur un côté et devrait, comme d’habitude, servir à autre chose qu’à les accueillir… Les mains-courantes d’escaliers sont simples, non doublées pour les enfants et personnes de petite taille. Et l’espace sous l’escalier évidé conduisant aux cinémas en sous-sol n’est pas protégé, ce qui met la structure métallique et l’arrière des marches dans la trajectoire de clients aveugles empruntant logiquement l’ascenseur puisque le guidage podotactile les y dirige.

Un outil pour Bourges 2028

Ces lacunes et imperfections pèseront-elles sur la candidature de Bourges pour devenir l’un des deux capitales européennes de la culture en 2028 ? L’accessibilité, l’accueil et l’implication des personnes handicapées est l’un des éléments importants du cahier des charges de ce label qui stimule les villes. A cet égard, Bourges part avec d’importants désavantages : la voirie de nombreuses rues du centre ancien est dégradée, les secteurs pavés (place Cujas, portail nord de la cathédrale, rue porte Jaune, etc.) sont en très mauvais état voire dangereux, la plupart des musées inaccessibles et sans prise en compte des publics handicapés. Des secteurs récemment rénovés, tel celui du palais Jacques Coeur (inaccessible alors qu’il constitue un moteur touristique), ont été pavés à l’ancienne, rendant la déambulation désagréable.

Maire depuis un an, Yann Galut impute cette situation aux politiques locales menées depuis 40 ans : « on ne réparera pas en quelques années ce qui n’a pas été fait depuis une quarantaine d’années. On travaille dessus, on va présenter au mois d’octobre prochain un agenda de la longévité qui va phaser les travaux pour justement permettre l’accessibilité. »

Cet agenda, que Yann Galut avait déjà annoncé pour juillet dernier, devrait englober les besoins spécifiques de l’ensemble de la population, dont les enfants, personnes âgées ou handicapées. De son côté, la présidente de la communauté d’agglomération Bourges Plus, Irène Félix, veut employer la commission intercommunale d’accessibilité, jusqu’alors jamais réunie, pour mobiliser les élus des différentes communes, et projette également une amélioration de la chaîne du déplacement.

Rampe d'accès temporaire installée en octobre 2003 au Palais Jacques Coeur de Bourges.

Bourges avait accueilli en octobre 2003 les premières (et dernières) rencontres Art Culture et Handicap. De nombreux participants avaient relevé l’état pitoyable de certaines rues et trottoirs, situation qui n’a fait que se dégrader depuis. De quoi sérieusement handicaper la ville dans son parcours de candidature pour être en 2028 l’une des deux capitales européenne de la culture. Les élus locaux, maire en tête, qui veulent s’appuyer sur leur maison de la culture du XXIe siècle, sauront-ils rattraper une accessibilité demeurée au siècle dernier ?

Laurent Lejard, septembre 2021.

PS : l’association des Sourds du Cher nous a adressé cette réaction, le 23 septembre.

L'association des Sourds du Cher lors de la foire aux associations de Bourges

« Oui, des membres de l’association des Sourds du Cher sont venus à la MCB pour expliquer ce que les personnes sourdes ont besoin d’avoir des accessibilités plus importantes comme le sous-titrage pour les films plus précisément français. Les films étrangers sont presque toujours en VOSTFR [version originale sous-titrée] mais pas pour les films français sous-titrés. La MCB a accepté et propose un film français sous-titré en ce moment. Mais on doit informer encore plus davantagement les personnes sourdes que la MCB met le film français et sous-titré. On donne cette information par mail ou sur la page Facebook ou encore par le courrier. Ce n’est pas facile depuis la crise sanitaire, le lien social disparaît doucement, nous devons redoubler d’attention et nous gardons le contact avec les membres et les ex-membres. Aussi on demande des spectacles plus visuels (avec quelques interprétations de la langue des signes française si c’est possible) mais un spectacle visuel est aussi très bien pour les personnes sourdes. On demande aussi le son plus particulier parce que des personnes sourdes portent des appareils auditifs implantés. La MCB fait des efforts pour adapter notre demande, on la remercie vraiment beaucoup. Hélas, on n’est pas venu à l’inauguration de la nouvelle MCB car c’était complet mais ce n’est pas ça qui nous perturbe, on a demandé une interprète LSF pour cette inauguration mais on n’a jamais eu la réponse de la direction communication de la ville de Bourges. On en est déçu… »

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