Le 29 février dernier, Sonia Echaroux gravissait au petit matin une grue de chantier à Rouen, à quelques dizaines de mètres de la Maison Départementale des Personnes Handicapées et de la Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale (ex-inspection académique) de Seine-Maritime. Installée au sommet, elle a déployé une banderole demandant que son fils ainé bénéficie enfin de l’accompagnement qui est nécessaire pour qu’il poursuive ses études au collège, il est en 5e. Cette protestation publique, mortelle en cas de chute, plusieurs mamans poussées à bout l’ont employée depuis le printemps 2017 (lire l’actualité du 7 juin 2017). Pourquoi Sonia Echaroux a-t-elle mis sa vie en danger ?

Cette grue, elle l’avait repérée au moment d’être reçue par la Commission des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée de la MDPH. « Je pensais à cette action depuis le 28 janvier, quand j’ai vu une grue par la fenêtre pendant la commission. Je suis présente à la CDAPH pour chaque dossier de mes enfants, on a l’impression d’un procès express. Moi je reste au moins une heure pour expliquer douze ans de la vie de mon fils. La CDAPH traite des dossiers, pas des humains. On m’y a dit ‘on est une quarantaine de personnes à savoir que Charly n’a pas besoin d’AESH’. J’étais anéantie. Pourtant, le médecin avait demandé un AESH à temps complet. Lors du précédent dossier, la commission a refusé l’AESH et orienté Charly vers un SESSAD [Service d’éducation spéciale et de soins à domicile] avec ergothérapie et psychomotricité, et utilisation d’un ordinateur. » Si l’action du SESSAD a été positive pour Charly, l’absence d’accompagnement scolaire perturbe sa scolarité, autant en classe qu’à la cantine. Face à ce nouveau refus, Sonia Echaroux a pris la décision de protester publiquement un mois plus tard. « En bas de l’immeuble en construction, au niveau du chantier, j’ai fait le tour pour trouver une entrée, accéder à la grue, déployer ma banderole ‘pas d’avs = enfance en détresse’. Habituellement j’ai le vertige, mais là je ne l’ai pas eu. Quand on pense au bien-être de son enfant, on arrive à un tel point qu’il n’y a pas plus d’autre solution. J’avais à boire et manger, et un mégaphone pour attirer l’attention, que les agents de la MDPH et de l’inspection académique sortent des bureaux. Un représentant du département est monté sur la grue par un ascenseur, il m’a rassuré sur l’envoi d’un courrier de notification qui était parti, j’ai demandé à le voir, un pompier l’a amené. On m’a proposé un rendez-vous de négociation qui a eu lieu ce matin [11 mars]. J’attendais beaucoup de la réunion, j’ai pu montrer les cahiers de Charly pour faire comprendre comment il travaille. » Pour bien faire comprendre que Charly n’est pas un dossier, mais un enfant que des adultes doivent aider plus que d’autres du fait de sa vulnérabilité.

Sonia Echaroux vit avec son mari, Geoffrey, et ses trois enfants à Eu, en Seine-Maritime. Deux des trois sont atteints par une maladie génétique rare, Charly 12 ans et demi et Jade 10 ans, pour le 3e, Nolan 6 ans, né grand prématuré, elle ne sait pas encore. « Mes enfants ont été diagnostiqués tardivement, à 6 ans pour Charly. Ils n’ont pas la sensation de faim, de soif, petits il fallait les gaver. Ils ont des problèmes psychomoteurs, sans déficience intellectuelle. Il n’y a pas de traitement ou de médicament. Tout petit, Charly a fait plusieurs séjours à l’hôpital pour dénutrition, puis pour une pneumonie. Les médecins ont signalé une maltraitance familiale à la Protection Maternelle et Infantile ! Heureusement que notre médecin traitant nous a soutenus et orientés vers un généticien. » Charly serait plutôt précoce, quasiment surdoué, mais reste assez agité. « Il est hyperactif, en maternelle il s’est sauvé de la classe. » Alors pour qu’il soit maintenu à l’école, il a fallu fermer à clé la porte de la classe et les parents ont enclenché les formalités auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées pour obtenir un Accompagnant de l’Élève en Situation de Handicap (AESH). « La première décision a été rapide pour un AESH à temps complet. Puis au CE2, il est passé à mi-temps, puis 8 heures, puis 6 heures, puis rien au début du CM2. Charly était scolarisé à temps plein, mais avec des absences assez fréquentes liées à son état de santé et au suivi médical. » Même pour la place en SESSAD, Sonia a dû se battre. « Tout est combat, après la notification j’ai appelé le SESSAD pour son intégration, on m’a répondu qu’il y avait deux ans d’attente. J’ai appelé l’Agence Régionale de Santé et expliqué les difficultés, et menacé d’une action en montant sur une grue pour qu’une place soit libérée, ce n’est pas à nous parents de supporter les carences de l’État. » Et une place a été débloquée. « On passe du temps dans les hôpitaux, chez les partenaires de santé qui connaissent les besoins de mon enfant. On a remonté un dossier AESH pour Charly, justifié par des certificats médicaux, avec le SESSAD, la psychomotricienne, le collège demande un AESH à temps complet. Pourquoi en commission on ne tient pas compte de tout cela ? »

Sonia travaille à Mers-les-Bains, dans un fast-food. Ou plutôt travaillait parce qu’elle a suspendu son contrat grâce à un congé parental puis le congé de présence parentale pour enfants handicapés. Toujours en CDI, son congé est renouvelé chaque année par l’employeur. « Tout est administratif, il faut deux à trois mois pour les rendez-vous médicaux afin d’avoir les documents nécessaires. Pour le dossier du congé parental auprès de la Caisse d’Allocations Familiales renouvelé du fait de nouvelles pathologies diagnostiquées sur Jade dont le suivi médical dépend de trois hôpitaux, avec le retard de dépôt lié aux vacances d’été et les difficultés à obtenir des certificats médicaux de la part des médecins hospitaliers, ce n’est pas leur priorité. 90% de notre vie est de l’administration. Aujourd’hui [11 mars], je suis allée au Conseil Départemental de Rouen pour défendre le dossier de Charly. La nuit, on fait des dossiers. La plupart des gens n’ont qu’un enfant handicapé, nous on en a deux. » La Commission a accordé un AESH mutualisé sur le temps scolaire de Charly, mais au final, il ne bénéficiera que de 10 heures, assurées par deux personnels différents. « Quand on appelle l’Éducation Nationale, elle renvoie la responsabilité sur la MDPH qui renvoie la responsabilité à la DSDEN… qui m’a raccroché au nez. J’en ai eu marre et je suis montée sur une grue. Il faut respecter les familles, les professionnels de santé qui peuvent aussi lâcher. On ne peut pas travailler en partenariat avec ce genre de résultat. Le combat continue. Je risque une plainte pour être entrée dans le chantier qui a été arrêté, 11 pompiers et 3 véhicules sont intervenus, des policiers en nombre, plus les travailleurs qui ont chômé, ça fait plus de perte d’argent que si on avait payé l’AESH. » Une logique humaine que l’Administration ne veut pas entendre, au risque que d’autres mamans gravissent d’autres grues…

Laurent Lejard, mars 2020.

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