Deuxième ville de France, Marseille est une métropole contrastée dont le port de commerce, qui fit sa fortune pendant l’exploitation des colonies d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud-Est, est aujourd’hui sinistré comme l’industrie qui transformait les produits déchargés durant les années fastes. Après la tentative bien tardive de relancer l’économie locale par le gigantesque projet Euroméditerranée, les édiles marseillais comptent maintenant sur l’année 2013 : Marseille sera, avec Košice en Slovaquie, Capitale européenne de la culture. Et la municipalité a vu très grand, multipliant les chantiers pour au moins 800 millions d’euros d’investissements, au point de rendre la ville difficilement circulable à pied ou en voiture (les visiteurs handicapés moteurs oublieront les bus et le métro, inaccessibles pour longtemps encore).

Une implication culturelle très restreinte.

L’année s’annonce faste pour la plupart des publics mais guère pour les personnes handicapées : leur accueil sera limité et leur implication rare. Directeur de la compagnie de cirque adapté Zim-Zam, Antoine César est sévère sur cet aspect : « Les projets d’implication artistique des personnes handicapées dans Marseille-Provence 2013 n’existent pas. Notre projet a été rejeté, on n’a même pas été informé qu’on n’était pas labellisé, que notre festival Fadolis ne figurerait pas dans le programme. » En fait, sur 2.300 projets déposés auprès de MP 2013, une dizaine seulement impliquaient des artistes handicapés. Finalement, quatre manifestations sont retenues : Le bal des Intouchables fin janvier à La Seyne-sur-Mer (Var) et en février à Marseille, cirque dirigé par Antoine Rigot qui est handicapé moteur, puis « Intérieurs/Extérieurs jour », action pour les personnes déficients visuelles incluse dans Innovart en octobre et novembre à Marseille, le film Luminy de Guillaume André (confrontation d’élèves de l’école des Beaux-Arts de Marseille dans un atelier animé par une chorégraphe qui mêle Sourds et entendants) présenté dans le cadre du FIDlab en juillet à Marseille et, fin septembre, à l’occasion de la Journée Mondiale de la Surdité, une manifestation à Villa Méditerranée autour des Langues des signes et de la culture sourde en Méditerranée avec conférences, débats, projections et visites signées. Quatre projets, donc, sur 500 cofinancés par MP 2013, et 350 labellisés. Moins que les Capitales européennes de la culture Turku 2011, mais plus que Guimarães 2012.

Les milieux culturels locaux se sont très tôt inquiétés de ce phénomène, et certains ont créé un Marseille 2013 Off : « Nous on donne la parole ou la place aux artistes, revendique Stéphane Sartaux, son porte-parole. On est là pour bouger la Capitale. On n’imagine pas représenter le tissu culturel marseillais, mais une Capitale formate les choses : on veut montrer que l’art ne se résume pas à la culture. Montrer ce qu’est l’acte artistique en soi, avec des artistes locaux qui ne sont pas dans les petits papiers des institutions locales. » Les quatre axes du programme n’ont rien pour plaire aux édiles : « Poubelle la Ville », « Mytho City », « Kalachnik’Off » et « Merguez Capitale » présenteront tout ce que les décideurs économiques et politiques ne veulent plus voir à Marseille ! Côté personnes handicapées, elles auront la parole dans le cadre de la série vidéo 111 Bonnes Raisons, en cours de réalisation par Gilles Armand.

Accessibilité et médiation à faire connaître.

La consultation de l’agenda du site Marseille-Provence 2013 ne comporte pas d’information sur l’accueil des publics handicapés, et le rare pictogramme « fauteuil roulant » est parfois absent d’un lieu pourtant accessible, par exemple sur la fiche de la grande exposition Méditerranées au hangar J1 de la Joliette : dommage, c’est la seule que l’association Marseille-Provence 2013 a réellement rendue accessible à ce jour ! « Le J1 est mis à notre disposition, explique la chargée de presse de MP 2013. Il est desservi par un ascenseur. Il y aura des visites guidées en LSF pour les groupes, des documents en braille pour l’exposition Méditerranées. Pour les autres expositions, il y aura des actions au cas par cas. » Le Comité Départemental de Tourisme des Bouches-du-Rhône, qui a par ailleurs constaté que personne ne s’était occupé de cette information, ni les associations, ni l’organisation, prépare un guide imprimé des lieux et événements accessibles, avec l’éventuelle médiation culturelle. Parce que dans ce domaine, les initiatives sont assez nombreuses, et l’information tarde à en être diffusée. Mais ce guide ne sera pas prêt avant février au moins. Une seconde édition est prévue pour le second semestre, mais pas de version web : question de budget…

MP 2013 n’a pas prévu d’accueil spécifique des spectateurs handicapés lors des événements publics attirant la foule, alors que dans une ville aux transports inaccessibles et aux incivilités répandues, cela équivaut à l’impossibilité d’assister aux dits événements. « Comment les visiteurs handicapés vont-ils faire pour se déplacer, interroge David Laboucarié, chargé de communication pour l’Association des Paralysés de France. Nous n’avons pas de lien avec Marseille-Provence 2013. On n’a pas été contactés et on ne l’a pas fait. Nous allons organiser des sorties pour que nos adhérents en profitent comme tous les Marseillais, en assurant le transport, l’accompagnement. » Mais David Laboucarié précise comment l’APF de Marseille contourne la difficulté : « Pour la fête de la musique, la solution que l’on a trouvée est de faire la fête à la Délégation. » Une session d’information des associations organisée par MP 2013 est prévue en janvier, un peu tard pour compter sur leur expertise…

Le nouveau Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) proposera aux visiteurs handicapés des aides, supports et médiation pour ses expositions temporaires, idem pour Villa Méditerranée. Une grande partie des musées municipaux est en rénovation et restructuration, mais les expositions temporaires qu’ils accueilleront pour MP 2013 ne disposeront pas de supports ou médiation adaptés. L’opération aura toutefois été un catalyseur d’initiatives et de moyens. Ainsi, des médiateurs sourds sont en cours de formation sur financement Agefiph pour intervenir au Mucem et à Villa Méditerranée, ainsi qu’au Fonds Régional d’Art Contemporain et à Regards de Provence, deux nouvelles institutions culturelles. Des événements vont impliquer les Sourds, tel une Clameur en LSF le 12 janvier à 19h place Bargemon. Cette implication doit tout au dynamisme des Sourds marseillais.

Du côté du Off, une partie des lieux de programmation des événements est encore inconnue : « On va faire tout pour que les événements soient accessibles au plus grand nombre, précise Stéphane Sartaux. Mais on ne pourra pas proposer de médiation pour le public, faute de moyens. » Reste à connaître l’implication de la ville de Marseille sur la place et le rôle des personnes handicapées durant les événements culturels de 2013, ce qui revient à interroger l’adjoint au handicap auquel tout remonte : dans la cité phocéenne, le handicap n’est en effet pas traité en transversalité, mais centralisé au titre de l’action sociale. Pas de chance : l’adjoint Patrick Padovani a annulé la veille un premier rendez-vous sur le sujet et ne s’est pas donné la peine d’être présent au second… Heureusement que les bonnes volontés marseillaises ne manquent pas, pour qu’à moins de deux ans de l’accessibilité à tout pour tous, Marseille ne donne pas, une fois encore, le plus mauvais des exemples !

Laurent Lejard, janvier 2013.


Pour découvrir ce que Marseille doit aux arts et à la culture : Les organisateurs de Marseille-Provence 2013 ont visiblement voulu passer en sourdine une grande partie du patrimoine culturel et de la mémoire locale, notamment les aspects les plus populaires qui ont pourtant construit la Marseille d’aujourd’hui. Ces lacunes sont comblées par le remarquable ouvrage Marseille Culture[s] paru en novembre 2012 chez HC Editions. Les auteurs, sous la coordination de Jean Contrucci et Gilles Rof, présentent l’histoire de la ville à travers les arts qui y ont été développés, de l’Antiquité à nos jours, mettent en évidence les aspects novateurs et créatifs des artistes locaux et des étrangers qui ont fait escale ou construit leur vie dans la cité phocéenne. Et ils ne font pas l’impasse sur les étroites imbrications entre acteurs économiques, créateurs et politiciens, ainsi que sur l’hétérogène peuple de Marseille au fil du temps, des aspects que l’on trouvera dans le Off mais pas dans l’officielle Marseille-Provence 2013…

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