Voilà une série de propositions qui ne fera certainement pas remonter la côte de confiance des propriétaires privés : leur union nationale (UNPI) vient de publier un manifeste en faveur d’un Habitat essentiel qui vise à construire beaucoup, pas cher ni durable, des logements communautaires totalement inaccessibles aux personnes handicapées (sauf les rez-de-chaussée qui leur seraient réservés) ou à mobilité réduite (dont les parents d’enfants en bas âge, les personnes âgées, etc.). Dans toutes les interviews qu’il a données, le président de l’UNPI, Jean Perrin, a systématiquement présenté l’accessibilité comme étant l’obstacle à lever pour construire des logements économiques.

« Il faut qu’on se comprenne bien, nuance Gérard Forcheron, président de la commission Habitat essentiel et de l’UNPI Rhône-Alpes. Ma mère est handicapée, c’est un problème que je connais bien, aujourd’hui on est valide, demain on peut ne plus l’être. » Il faut donc comprendre que l’un des concepteurs du projet est un « expert » du handicap. Pourtant, sa réflexion s’arrête là, à croire qu’il trouverait normal de loger sa vieille mère dans un rez-de-chaussée à la portée de n’importe quel passant, partageant séjour, WC et salle de bains avec les autres personnes handicapées stockées au même étage… Gérard Forcheron ne répond rien lorsqu’on lui demande son avis sur l’impossibilité pour ces occupants de rendre visite aux résidents des étages, les parents avec enfants en landau ou poussette, les personnes âgées qui peinent à gravir un escalier ou celles qui tombent malades, deviennent handicapées. Il oppose d’autres arguments : « Il n’est pas question de remplacer les immeubles d’aujourd’hui par un nouveau concept, mais de fournir un toit à 500.000 familles. On peut les considérer comme des logements d’urgence. »

Low-cost à tous les étages.

L’UNPI présente l’Habitat essentiel comme une solution très économique pour tous ceux qui n’ont pas de logement : « Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que des gens dorment dans la rue ou dans leur voiture ? » interpelle Gérard Forcheron. Pourtant, sa préoccupation altruiste ne résiste pas à la dimension essentiellement financière du concept : « Si l’on raisonne sur un coût de construction de 900€ au mètre carré, poursuit-il, on sortirait un loyer mensuel entre 4€ et 5€ le mètre carré. » De quoi rentabiliser un investissement en moins de 15 ans si certaines conditions sont remplies : cession quasi-gratuite du terrain à bâtir par les collectivités locales, logements fabriqués industriellement sous forme de boîtes à assembler (procédé déjà utilisé, par exemple, pour les hôtels F1), aides publiques à la construction et avantage fiscal significatif pour les propriétaires. Dans ce cadre, les heureux occupants disposeront de quatre murs, d’un plancher et d’un plafond, avec salle de séjour et sanitaires communs à plusieurs familles, un type d’appartement communautaire popularisé à l’époque de la Russie soviétique… Argument balayé par Gérard Forcheron : « On lui fait dire ce que l’on veut au modèle communautaire ! Vous savez, on ne construit rien à Lyon à moins de 3.500€ le mètre carré. C’est un prix de vente excessif pour les jeunes ménages, même les loyers sont trop élevés. »

Et comment résister à cet autre argument propre à séduire Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif ? : « Le concept d’industrialisation de la construction est un remède à la désindustrialisation de notre pays, mais ce n’est pas construire de mauvaise qualité. Il s’agit d’une volonté politique. Aujourd’hui, on ne peut rien construire sans respecter toutes les normes. On propose un complément à l’habitation. Si on arrive à construire 50.000 logements Habitat essentiel par an en plus des 300.000, on aurait fait un pas pour les mal-logés. » Alors, pour construire moins cher, passons-nous des normes, dont celle d’accessibilité, et du confort minimal. « Il faut avant tout que les politiques soient d’accord », appuie Gérard Forcheron. Suivront-ils l’UNPI sur cette voie périllieuse ?

Laurent Lejard, octobre 2012.

Partagez !