Depuis sa présentation au Festival des Films du Monde à Montréal, en août 2011, Hasta la Vista enchaîne récompenses et succès public. Pourtant, l’histoire que conte ce film, inspiré de celle d’un jeune homme lourdement handicapé, était plutôt casse-gueule à traiter au cinéma : trois amis qui vivent chez leurs parents et n’ont pas connu l’amour physique décident de partir se déniaiser dans un bordel espagnol qui a comme spécialité l’accueil des personnes handicapées…

C’est pourtant avec une sensibilité imprégnée d’humour que le réalisateur belge Geoffrey Enthoven traite un sujet difficile et encore socialement conflictuel : l’émancipation des jeunes handicapés et la conquête de leur vie affective et sexuelle. Il avait envisagé de confier les rôles des garçons à de jeunes handicapés mais a dû renoncer après 18 mois de casting : « On n’a pas trouvé parmi ceux que l’on a auditionné le professionnalisme nécessaire. L’une des personnes aurait pu convenir, mais pas pour une comédie. Et finalement, tourner avec des comédiens valides nous a permis d’ouvrir davantage les situations du scénario. »

Hasta la vista est présenté en France quatre mois après sa diffusion en Belgique : « Je n’ai eu que des retours positifs, poursuit Geoffrey Enthoven, à l’exception de deux critiques reprochant une forme de populisme… Alors que le sexe n’est pas le premier message du film, qui est une histoire d’amitié, de rencontres et d’ouverture à la vie. » Geoffrey Enthoven constate par ailleurs un resserrement des mentalités en matière de sexualité : « Avant l’affaire Dutroux, on savait que des prostituées allaient dans des établissements d’hébergement de personnes handicapées, on n’en parlait pas, ça ne faisait pas d’histoire. Mais ça a changé depuis, c’est le problème des minorités. »

Câlins, sensualité et amour.

Hasta la vista est tiré en partie de la vie d’Asta Philpot. Né en 1982 avec une maladie congénitale (l’arthrogrypose) il vit en Angleterre et a vu progressivement son autonomie se réduire : « Depuis l’âge de 18 ans, explique-t-il, j’étais curieux non seulement de sexe mais d’intimité : comment ça fait, deux corps qui se touchent ? Quand on est handicapé, ce n’est pas évident d’aller comme ça vers quelqu’un pour un câlin, et moins encore, comme c’est le cas pour certaines personnes valides, de se faire un cinq-à-sept ! »

Mais passer de l’envie à la pratique ne s’est pas présenté à lui par le simple jeu du flirt et des rencontres sentimentales. Pour connaître le plaisir charnel, il avait envisagé de s’adresser à une prostituée, mais pas près de chez lui : « En Angleterre, le milieu de la prostitution est très glauque, probablement parce que c’est illégal, donc je n’ai jamais été tenté par ça sur place. J’étais en vacances en Espagne avec ma famille quand le propriétaire d’un bar m’a indiqué un bordel génial non loin de l’endroit où nous résidions. C’était incroyable : jamais auparavant je n’avais fait l’objet d’autant d’attention de la part de femmes ! D’accord, c’est un business, on paie, mais la chose la plus importante pour moi c’est que pendant une heure je me suis senti sexuellement attirant… Ma famille et mes amis m’ont soutenu à fond. Pour tout dire, ils m’ont encouragé ! »

Cette découverte de sa sexualité lui a donné envie de dépasser le cadre habituel de la conception que se fait la société de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées : « Nous vivons dans un monde étroit d’esprit, plein d’idées préconçues sur le handicap, que cela concerne la sexualité, la parentalité ou autres : la liste est longue. Dans un monde parfait, il n’y aurait aucune discrimination, mais notre monde n’est pas parfait. Et si la prostitution existe, alors pourquoi pas ? N’oublions pas que c’est l’une des plus vieilles ‘traditions’ du monde. J’espère me marier un jour mais si, d’ici là, j’ai besoin de soulager mes besoins sexuels où est le problème ? D’abord, la prostitution devrait être légalisée pour tout le monde : cela ferait progressivement disparaître la criminalité qui l’entoure. En attendant que la société ait l’esprit plus ouvert, comme en Hollande par exemple, les personnes handicapées devraient obtenir le financement de ce besoin humain fondamental. Il est temps que les gouvernements fassent quelque chose pour ça et prennent des mesures concrètes. Si on me donne une allocation pour du sexe, je l’accepterai ! »

Voyager pour découvrir la vie.

C’est à une découverte du monde que nous convie Geoffrey Enthoven en confrontant l’amitié et la « petite société » qu’ont construite Philip, Lars et Jozef à celle des hommes. « J’avais un peu peur de jouer quelqu’un avec un handicap, confie Tom Audenaert qui joue l’aveugle Jozef. C’est quelque chose de fragile. Pour ne pas tomber dans la caricature, j’ai discuté avec des aveugles, dont un ne voulait d’ailleurs pas se dire aveugle mais non-voyant. Je suis très content d’avoir joué ce rôle. Il fallait que les spectateurs soient convaincus du personnage. »

Tom Audenaert réussit à composer un être sensible derrière une apparence de lourdaud, seul à voir la beauté lumineuse de l’aide humaine, Claude, qui conduit en Espagne trois hommes dont l’enfermement égoïste ne résistera pas au voyage. « C’est grâce à un voyage que ces personnes handicapées ont pu trouver leur liberté, explique Isabelle de Hertogh, qui joue Claude. En rencontrant des parents, j’ai remarqué que peu de choses étaient accessibles à leurs enfants; alors voyager est une ouverture vers des possibilités, des libertés nouvelles. Les personnes handicapées désirent ne pas être vues comme différentes, alors qu’elles sont souvent infantilisées. »

Isabelle de Hertogh se rappelle le regard porté par des passants sur l’acteur Robrecht Vanden Thoren (qui joue Philip) lors du tournage : « C’était un regard de pitié posé sur lui, parce qu’il était confronté à des difficultés physiques. J’ai beaucoup appris en rencontrant des personnes handicapées lors de la préparation du film. J’ai remarqué leur côté très direct, franc, vif, qui renvoie à la pureté, la franchise de l’enfance. Avec des envies, des rêves. J’ai vu le documentaire de Jean-Michel Carré ‘Sexe amour et handicap‘, sur la vie affective et sexuelle. Je ne pourrais plus stigmatiser un couple dans lequel il y a une personne handicapée, alors qu’on les frustre, on limite leur libido. Je pense que je n’étais pas assez ouverte avant de rencontrer Asta Philpot. Ce qui est bien, c’est d’ouvrir un débat, sans tabou. Je ne sais pas si un service sexuel est bien, mais je sais que les personnes handicapées ont besoin d’amour. L’amour, c’est quelque chose de magique. »

Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2012.


Hasta la vista, film de Geoffrey Enthoven, avec Robrecht Vanden Thoren (Philip), Gilles de Schryver (Lars), Tom Audenaert (Jozef) et Isabelle de Hertogh (Claude). En salles en France à partir du 7 mars 2012.

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