Le 5 décembre 2011 fera date dans l’histoire commerciale de la voiture électrique : ce jour-là, Paris inaugure officiellement un service de location en libre-service de voitures électriques sous l’oeil avide des médias du monde entier. Avec comme slogan « Zéro émission, zéro odeur, zéro bruit » : « Autolib’ est une opportunité de changer la ville grâce à des voitures 100% électriques sans bruit et sans émission de CO2″, proclame Vincent Bolloré, l’industriel qui a décroché le contrat. Et effectivement, la petite Bluecar conçue par le carrossier Pininfarina est particulièrement silencieuse. Mais voilà : on ne l’entend pas venir lorsque l’on circule à pied, ce qui la rend potentiellement dangereuse pour les enfants, les personnes âgées, les cyclistes et les personnes déficientes visuelles. L’industriel a pourtant pensé à cet inconvénient majeur en équipant la Bluecar d’un signal sonore, mais le conducteur devra actionner celui-ci volontairement en appuyant sur un bouton. Une impulsion simple déclenche une série de bips, l’appui prolongé bascule le signal en mode permanent. Mais il y a fort à parier que la quasi-totalité des clients d’Autolib ne circuleront pas en mode « bip-bip », ce son audible dans l’habitacle s’avérant rapidement désagréable. « Nous travaillons avec un acousticien pour élaborer un son diffusé à l’extérieur mais inaudible à l’intérieur, précise Julien Varin, chef de projet. Paris n’a rien demandé sur la sonorisation du véhicule. »

« Le son émis par cette voiture n’est pas détectable, déplore Philipe Aymond, instructeur en locomotion à la Fédération des aveugles et handicapés visuels de France (FAF). Il n’alertera pas les personnes déficientes visuelles, d’autant qu’il est en pratique optionnel ». Avec Thierry Jammes, président de la Commission Accessibilité de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA), Philipe Aymond a testé en milieu urbain le son émis par la Bluecar Bolloré et la Renault Fluence ZE : « Le bruit émis par cette berline est inaudible, il est noyé par les sons de l’environnement urbain », regrette Thierry Jammes.

La Renault Fluence ZE émet à très basse vitesse le son artificiel d’un léger feulement qui disparaît dès que la voiture atteint 15 km/h. Ce son n’est pas actif en marche arrière. Pour ces deux voitures, le verdict de Philippe Aymond et Thierry Jammes est sans appel : les personnes déficientes visuelles seront potentiellement en danger lorsqu’elles croiseront ces voitures. « Les constructeurs n’ont pas concerté les associations de personnes déficientes visuelles, déplore Thierry Jammes. Aux USA, les associations ont contraint le gouvernement fédéral à faire adopter une réglementation efficace et les voitures électriques émettent un son détectable. »

Aux 2.000 Bluecar Autolib’ annoncées dans Paris et les communes limitrophes d’ici juin 2012 viendront s’ajouter plus de 15.000 Renault Kangoo ZE (qui utilisent le même son que la Fluence) pour La Poste et d’autres entreprises publiques. « Renault poursuit un travail de recherche avec l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) afin de trouver le meilleur son », précise un porte-parole du constructeur. Autre constructeur français, Peugeot va également fournir des Ion électriques aux services publics : « PSA Peugeot Citroën a travaillé sur plusieurs solutions de AVAS (Approaching Vehicle Audible System) répondant aux préconisations des autorités internationales de réglementation automobile, explique le service de communication du constructeur. Le Groupe se tient prêt à en équiper ses véhicules électriques et hybrides, lorsque la réglementation aura fixé la fréquence et le niveau du son à émettre, sans risque de créer une pollution sonore. » Le constructeur disposerait donc d’une solution sonore… si les pouvoirs publics le demandent, ce qui ne sera certainement pas pour demain. A la question de savoir quelles dispositions sont envisagées par le Gouvernement en matière de sonorisation des voitures électriques, le cabinet de la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, chargée du développement durable, répond ceci : « L’initiative de Vincent Bolloré est étudiée avec beaucoup d’intérêt par le Gouvernement. » Les piétons déficients visuels ne peuvent guère compter que sur eux, et s’armer de patience tout en redoublant de prudence…

Laurent Lejard, décembre 2011.

Partagez !