Durant le printemps 2005, la vive polémique sur le projet de Directive Européenne sur les services dite « Bolkestein »a constitué l’une des causes du rejet par le peuple français de la Constitution Européenne lors du référendum du 29 mai 2005. La Directive Bolkestein, du nom de l’ancien Commissaire Européen ultra-libéral qui l’a élaborée, n’épargne aucun des services marchands : elle intègre les services à la personne handicapé, âgée, et les services de santé. Le projet initial réduit à sa plus simple expression le régime de contrôle d’une entreprise souhaitant travailler dans un autre pays tout en intervenant dans le cadre du droit du travail et de la consommation du pays d’origine : si vous faites réaliser par une entreprise maltaise des travaux d’aménagement de votre logement, livrés avec malfaçons, c’est en droit maltais et en langue maltaise que vous devrez exercer un recours contre l’entreprise ! Si après avoir commandé un voyage adapté auprès d’un tour-opérateur finlandais vous ne recevez pas les documents afférents parce que l’entreprise a fait faillite, c’est auprès de la caisse locale d’assurance et garantie des organisateurs finlandais de voyage que vous devrez porter réclamation : saurez-vous écrire en finlandais et lire la réponse qui vous sera adressée ?

En effet, la libéralisation des services proposée par la Directive est à sens unique : elle crée un guichet unique pour les entreprises voulant travailler dans un autre État de l’Union Européenne, mais elle n’institue pas de dispositif similaire pour protéger les consommateurs. En revanche, elle dynamite le droit national sanctionnant certaines activités ou pratiques : le marché français du pari en tous genres serait, par exemple, largement ouvert aux bookmakers anglais, sans aucune restriction.

Les services de santé ou médico-sociaux entrent dans le champ de la Directive initiale, de même que tous les services à domicile. Si votre prestataire d’aide ménagère ou d’auxiliaire de vie sous-traite avec une entreprise lituanienne, vous ne pourrez refuser, au nom de la lutte contre les discriminations, le travailleur qui vous sera adressé même s’il ne comprend pas ce que vous lui dites…

Des associations gestionnaires d’établissements et de services pour personnes handicapées ont décidé de se mobiliser contre l’application de la Directive Bolkestein aux services médico-sociaux. « Nous ne voulons pas que les services d’intérêt général soient inclus dans la Directive européenne, affirme Jean-Michel Charles, porte-parole de l’Union Nationale des Associations Laïques Gestionnaires. Ils ne doivent pas être livrés à la concurrence pour garantir l’égalité de traitement ». Derrière cette déclaration de principe se profile une crainte réelle : que l’État réduise le financement des aides aux personnes handicapées en s’appuyant sur une concurrence internationale gérée à coups de dumping social. Avec comme résultat une disparité de traitement entre ceux qui ont les moyens de payer des prestataires français plus chers que ceux provenant des pays nouvellement entrés dans l’Union Européenne, ceux-là même qui sont les plus farouches défenseurs du libéralisme à la sauce Bolkestein. On comprend mieux la réponse de Jean-Louis Borloo, Ministre de la cohésion sociale, à un bénévole associatif qui s’inquiétait du coût de formation des personnels d’aide à domicile : « En divisant le coût par quatre, vous allez y arriver ! »

Le Parlement Européen a décidé de résister au libéralisme sans âme de la Commission; il a supprimé l’application du droit du pays d’origine en matière d’emploi, de protection du consommateur, de protection de l’environnement et de la santé publique. Les services sociaux et de santé, les jeux, l’éducation, l’intérim sont également exclus du champ de la Directive. Mais le président Barroso a déjà annoncé que la Commission présenterait au Parlement un nouveau texte dans le courant du mois d’avril : cette Commission non élue, qui n’agit pas dans le sens des intérêts des peuples mais dans celui des lobbys et des financiers, résistera-t-elle au vote d’un Parlement légitime ?

« Bolkestein, estime John Monks, président de la Confédération Européenne des Syndicats dans une interview accordée au quotidien Libération, c’était l’autorisation donnée aux Britanniques de conduire à gauche à Rome ». Qui devra réapprendre à conduire d’ici la fin de l’année : la Commission ou les peuples d’Europe ?

Laurent Lejard, février 2006.

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