Bien que peuplé de 76.000 habitants seulement, le département de Lozère est celui qui compte le plus grand nombre de places en établissements médico-sociaux. Par exemple, si les autres départements avaient proportionnellement autant de places en Établissements et Services d’Aide par le Travail, leur total serait presque 4 fois plus élevé : 452.000 ! Cette situation particulière a pourtant été menacée, l’Agence Régionale de Santé Occitanie, qui est un service de l’État, voulait redistribuer les lits médico-sociaux dans les départements limitrophes, ce qui avait, en 2018 et 2019, suscité la mobilisation d’élus et décideurs tel l’unique député de Lozère, Pierre Morel à l’Huissier. Il avait alors exprimé son point de vue, et fait à nouveau le point sur la situation locale.

Question : Quel est l’état du projet de restructuration des établissements médico-sociaux de Lozère voulu par l’Agence Régionale de Santé et que nous avions évoqué lors notre entretien de mars 2019 ?

Pierre Morel à l’Huissier : Les choses se sont stabilisées dans la mesure où j’avais pris l’initiative de soutenir une mini-manifestation devant l’ARS. En rappelant que les choix faits par la Lozère il y a 60 ans avaient permis de créer toutes les formes d’établissements pour personnes handicapées, de la Maison d’Accueil Spécialisé à l’ESAT, des foyers de vie, Instituts Médico-Professionnels, tout le panel des structures, y compris d’accueil temporaire. Après maintes interventions auprès du ministère de la Santé et des conseillers affaires sociales du Premier ministre, il a été convenu que la Lozère serait traitée de manière particulière et non plus dans un contingent régional mais avec une vocation globale nationale. Nous n’avons perdu aucun lit.

Question : Les volontés de dispatcher des lits se sont transformées en moratoire ?

Pierre Morel à l’Huissier : Oui, le ministère de la Santé sur injonction du Premier ministre dit que la vocation médico-sociale de la Lozère, qui a été reconnue dans plusieurs lois et textes gouvernementaux, doit être respectée. En 1995, un comité interministériel d’aménagement du territoire avait sanctuarisé cette vocation médico-sociale atypique, spécifique. Il a été convenu par les services de l’État qu’on ne touchait pas à ce dispositif.

Question : Vous l’analysez comment, politiquement ?

Pierre Morel à l’Huissier : C’est une décision qui tient compte du fait que la Lozère a du personnel, des équipes médicales et d’accompagnement totalement formés au handicap, notamment les handicaps lourds et mentaux. Il eut été une erreur de toucher à cette organisation, d’autant qu’on est en capacité de répondre à telle ou telle famille, on a pratiquement une adaptation à la carte. Il eut été très dommage que cette vocation très particulière de la Lozère soit remise en cause. Tout le monde s’est accordé à reconnaître que les structures sont tellement développées et adaptées qu’il faut laisser les lits et les compétences in situ.

Question : Le Gouvernement et la secrétaire d’État aux personnes handicapées Sophie Cluzel veulent instaurer une société inclusive avec création d’habitats inclusifs, quelle serait l’évolution prévisible des lits médico-sociaux lozériens ?

Pierre Morel à l’Huissier : On est parvenu à faire admettre à Madame Cluzel, qui n’avait pas une grande connaissance du handicap lourd, en l’expliquant, que nos établissements étaient inclusifs. Ils sont totalement intégrés dans la vie villageoise, à tel point que lorsqu’il y a un décès, des personnes handicapées vont assister aux enterrements. On a une spécificité rurale : quand vous avez un centre pour personnes handicapées dans un village de 300 habitants, il faut comprendre que ce centre fait partie intégrante de la vie rurale. La doctrine du tout-inclusif doit intégrer les réponses très spécifiques que nous menons dans nos territoires. Il en a été convenu par tous les responsables administratifs qu’on a pu rencontrer, qu’on était très particuliers dans l’inclusion dans les centres. La désinstitutionnalisation eut été une erreur au sens de l’inclusion des établissements dans les territoires ruraux.

Question : Dans le cadre de la politique actuelle, la Lozère s’y retrouve en matière d’actions en milieu plus ouvert, d’habitat inclusif ?

Pierre Morel à l’Huissier : On conduit des expériences, notamment à Marvejols où on a des logements rattachés à des centres. En fonction de la pathologie, du degré de handicap, les personnes qui sont en foyer libre ou logement libre sont quand même suivies par la structure. C’est comme si on externalisait une institution, et ça marche bien.

Question : Finalement, le problème c’était une méconnaissance, l’absence de dialogue, une volonté bureaucratique, une centralisation jacobine,

Pierre Morel à l’Huissier : Je pense que tout cela est lié au fonctionnement en « silos » du ministère de la Santé et des ARS, qui est dénoncé de partout, par tous les parlementaires et un certain nombre de praticiens. Les ARS, c’est un véritable échec, et à vouloir régionaliser, faire des quotas, on oublie l’aspect humain et qu’un département comme la Lozère a fait le choix avec l’abbé Oziol d’accueillir des enfants handicapés et de créer des structures adaptées, humanisées, qui tenaient compte des spécificités des personnes, et qui transcendent tout ce qui est organisationnel. On est parvenu à le faire admettre à un certain nombre de responsables administratifs mais ce combat mené, je le poursuis en étant coprésident du groupe d’études sur le handicap et la maladie d’Alzheimer à l’Assemblée Nationale. Il faut décloisonner et faire admettre au niveau national qu’il vaut mieux des structures à taille humaine plutôt que des quotas et des réponses administratives.

Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2021.

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