Le confinement a confiné ma mémoire, par Jeanne Sibourg, étudiante en psychologie.

Le confinement se passe assez bien pour moi, même s’il me tarde de sortir et voir du monde. J’habite dans un appartement à Dijon avec mon copain pas très loin de la fac en tram. Nous avons la chance d’avoir une grande terrasse avec même un petit coin d’herbe. Nous pouvons profiter du beau temps. Je ne suis jamais sortie depuis le confinement. Mon médecin m’a conseillé de faire très attention et éviter tout contact avec l’extérieur. Seul Thomas, mon copain va en courses une fois par semaine. Nous avons des cours par internet. Je profite également de revoir tout le programme de l’année. Nous travaillons ensemble en visio avec le groupe d’étudiants dont je fais partie sur les expériences que nous avons menées. Je profite de ce temps libre pour lire les bouquins de psychologie que je me suis achetés. Certains soirs, nous jouons à des jeux de société en ligne avec des copains. Loup Garou, 6 qui prend…

Par contre, Floride ma chienne d’assistance me manque énormément. J’ai demandé à mes parents (quand le médecin m’avait conseillé de ne plus sortir) de récupérer Floride. C’était juste avant le confinement. Mes parents m’envoient des photos de ma chienne et je peux la voir en vidéo. Je suis inquiète pour mon papa qui, sur la base du volontariat, travaille en EHPAD. Il remplace du personnel malade. D’une santé plus fragile, je reste chez moi, afin d’échapper à cette terrible maladie. J’aime mieux me priver quelques temps et pouvoir profiter ensuite comme avant, même si parfois les journées sont longues.

Jeanne Sibourg et Ludivine Poivre

Libre circulation et confinement en étant paraplégique, par Yvan Poncé, représentant associatif.

C’est à partir du 15 mars pour me déplacer pour aller voter aux municipales mais ne pouvant aller boire un verre à la terrasse de mon café habituel, que je me suis interrogé. Pourquoi ne pas pouvoir aller comme d’habitude où je voulais ? Comme beaucoup de personnes que j’ai croisées ce jour-là au bureau de vote, j’étais indécis , on se fait la bise ou pas ? On se dit bonjour avec les pieds ou le coude ? Bref j’étais loin de me douter que le Covid 19 allait prendre cette ampleur et m’empêcher de circuler comme je l’entendais, et restreindre ma liberté de circulation !

Dès les premiers jours, le silence a commencé à être omniprésent, une sensation particulière de ce confinement : il manque quelque chose à notre quotidien, ces bruits de tous les jours qui nous entourent et qui font que je me sens vivant au milieu des autres. Par contre des bruits plus imperceptibles, jamais entendu quelques jours avant, devenaient plus présents.

Ensuite, pour une personne handicapé « active », en fauteuil roulant, le plus frustrant c’est le manque de liberté, le manque de mobilité, pouvoir utiliser sa voiture, son moyen de locomotion, ne plus avoir de relations avec ses proches, revenir à un état de « dépendance » même si heureusement je continue virtuellement mes responsabilités au sein des associations. Tout semble à l’arrêt, être confiné à mon domicile me renvoie à la vie que peut ressentir un prisonnier dans sa cellule, privé de liberté et disposant d’une heure pour s’aérer !

Et pour moi, ce que je trouve stressant également, ce sont les annonces décousues du gouvernement, un jour oui un jour non, un jour telle échéance pour le déconfinement, un jour une autre annonce. Déroutant !

Bref, je vis ce confinement comme une injustice, une punition ! Je vais encore plus apprécier lors du déconfinement ma liberté de mouvement, même réduite avec mon fauteuil roulant, mais redevenir maître de mon quotidien, pouvoir choisir d’aller où je peux quand c’est accessible !

Yvan Poncé et Sylvie Ganche

Le toucher confiné, par Sylvie Ganche, chargée de l’Accessibilité aux Champs Libres de Rennes.

Il m’arrive parfois de ressentir ma cécité comme un enfermement, un emmurement où les seules fenêtres sont mes mains et mes oreilles. Or, comment faire en ces temps de distanciation sociale où le toucher est banni ? Mes mains, jusque-là fidèles alliées seraient devenues de potentielles traitresses, dangereuses pour autrui et pour moi.
Seule issue possible, le confinement total. La fuite par l’immobilité, joli paradoxe…

Je garde donc mes doigts pour moi et ne donne plus que des coups de main virtuels grâce à l’ordinateur et sa synthèse vocale, ou du toucher sonore par téléphone. En parallèle, la population redécouvre et valorise enfin les « petites mains », les gestes d’humanité, les métiers manuels, sans qui rien ne se fait. Elle les remercie chaque soir, à son tour, manuellement,  par de sincères applaudissements.

C’est aussi une façon d’encourager, d’attendre patiemment le retour des fraternelles étreintes, de la joie de retrouver la chaleur d’autrui, le temps où mes mains reprendront leurs places et tous leurs sens, où je ne serai plus sur la touche mais seulement touchée de toucher…

2020 devait être l’année de mon mariage ! par Ludivine Poivre, militante associative.

Mon médecin m’oriente vers le 15 pour être testée pour le Covid19. Le médecin régulateur me dit que je ne le serai pas :
« – Vous ne pouvez pas l’avoir contracté, vous êtes handicapée.
– Pardon ?
– Vous êtes en fauteuil roulant ?
– Oui.
– Donc vous ne pouvez pas l’avoir.
– À moins que vous ne m’expliquiez que mon fauteuil roulant fait masque FFP2… Si, c’est probable ! (le toubib n’a aucun humour)
– Je vous envoie un médecin. »
Treize heures après, je rappelle le 15. Ils ont reçu des directives, les tests sont réservés aux soignants et aux patients en réanimation. Je suis diagnostiquée « par défaut », 4 symptômes sur 7 suffisent, début de quatorzaine avant le confinement général. Serai-je fixée un jour sur le fait d’être immunisée ?

Depuis le début de la pandémie en France, pas d’auxiliaire de vie, plus de kiné, pas l’ombre d’un masque (« ça ne sert à rien » mais « peut-être que si »…). Pas d’aide pour le ménage, ce n’est pas un « acte essentiel de la vie », que ce soit pour les personnes handicapées ou âgées isolées. Il serait temps de se repencher sur la question.

Un décès intervient dans la famille, je peux confirmer que de ne pas pouvoir assister aux obsèques rend le deuil difficile.

J’espère que du côté du Gouvernement, l’impréparation restera en mémoire et que le nécessaire sera fait pour qu’en cas de récidive d’une telle situation, on ne revive pas le même scénario. Il est nécessaire que les soignants, à bout depuis trop longtemps, ne subissent plus ce dédain de leurs conditions de travail, ces restrictions économiques incessantes. Ce n’est ni la première ni la dernière épidémie, alors ne reproduisons pas les mêmes effets.

J’ai la chance d’avoir un toit, un homme aimant et un entourage solide. Pour ma part, j’ai hâte que le confinement s’arrête mais je le vis au mieux. Quant à notre mariage… Qui vivra verra !

Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2020.

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