D’ici la fin juin 2014, le premier label Destination pour Tous sera attribué au seul territoire étant parvenu au terme d’un parcours d’obstacles long et coûteux. La ville de Bordeaux devrait logiquement être ce récipiendaire; non parce que son adjoint au maire chargé des personnes handicapées, Joël Solari, est vice-président de l’organisme gestionnaire du label, l’Association Tourisme et Handicaps (ATH), mais plutôt faute d’alternative. Lancé il y a cinq ans pour réparer une bévue de l’ignorante ministre alors chargée des personnes handicapées, l’UMP Nadine Morano, Destination pour Tous n’a fait qu’être retardé et doit aujourd’hui, sous peine d’être décrédibilisé, accoucher de son premier récipiendaire. Alors ce sera pour le seul dossier ayant réussi à résister à une instruction assez particulière et différenciée, comme l’expliquent les référents des quatre territoires candidats : Bordeaux, le Pays Voironnais (Isère), le canal du Midi et de la Robine (Aude) et Binic (Côtes d’Armor).

Bordeaux privilégiée.

Bordeaux, le chargé de Mission Tourisme, Laurent Hodebart, affirme que la ville s’est préparée à recevoir le label Destination pour Tous : « Toute l’information est sur un site web dédié [optimisé pour les smartphones NDLR]. Notre dossier a été remis à jour, l’ATH nous a demandé de faire réaliser un audit par un cabinet extérieur. Notre dossier est conforme a priori. » La ville avait participé en 2011 à l’expérimentation du label (lire ce reportage) ce qui lui a permis de repérer les lacunes constatées à l’époque (lire cet autre reportage) et de les combler. Grâce à une forte croissance de sites labellisés, la capitale aquitaine dispose désormais d’une gamme d’hébergements adaptés dans des hôtels de 1 à 4 étoiles, d’une offre de restauration conséquente, d’une diversification d’activités culturelles accessibles et adaptées, de professionnels de santé et aides à domicile recensés, etc. Elle propose également des parcours de visite accessibles aux visiteurs handicapés moteurs, auditifs ou mentaux. Il est toutefois dommage que le site Tourisme Accessible Bordeaux ne comporte qu’une information de quelques lignes par site, sans lien cliquable, ce qui oblige à téléphoner ou faire une recherche pour en apprendre davantage. Laurent Hodebart précise la méthodologie suivie et les relations avec l’Association Tourisme et Handicaps : « On a respecté les grilles d’évaluation fournies, on a fait un retour d’expérience à l’ATH avec une démarche itérative, on a échangé sur les critères en phase expérimentale. On a rempli le dossier avec les critères, plus l’audit, il n’y a pas eu de visites de terrain par l’ATH. »

L’Aude délaissée.

Tout autre son de cloche dans l’Aude, où le territoire du canal du Midi et de la Robine a également participé à l’expérimentation de 2011 puis été présenté cette année pour obtenir le label, comme l’explique Dorian Mateos, chargé de Tourisme et Handicap au Comité Départemental de Tourisme: « ATH n’a pas demandé d’audit, cela avait été évoqué lors du séminaire ATH par une représentante de la DGCIS [Direction Générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services, service de l’Etat NDLR] en décembre dernier à Paris, mais je n’ai pas reçu de procédure à suivre, ni la DIRECCTE Languedoc-Roussillon [Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi NDLR] qui me suit dans cette démarche. »

A la différence de Bordeaux, l’ATH n’a pas « débriefé » avec l’Aude en 2011: « Il n’y a eu par ATH aucun bilan et analyse de l’expérimentation de Destination pour Tous, reprend Dorian Mateos. Pour l’appel d’offres, Bordeaux est déjà donnée vainqueur. On n’a aucune écoute ni concertation, ATH supprime des labels pour quelques semaines de retard dans le renouvellement et il faut tout refaire. » Le travail accompli sur le territoire concerné par le dossier est pourtant remarquable, comme le montre ce récent reportage, même s’il subsiste un point faible: l’offre de soins et de services à la personne repose sur une liste fournie par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) de l’Aude, sans garantie que ces organismes et professionnels libéraux acceptent de servir des touristes handicapés aux heures qui leur conviennent.

Binic et le Pays Voironnais reportés.

Charmante station balnéaire des Côtes d’Armor (lire ce reportage), Binic a réalisé de gros efforts d’accessibilité pour une commune de 3.700 habitants. Impliquée au long cours dans une démarche de tourisme adapté, elle a candidaté à Destination pour Tous bien qu’elle n’ait pas participé à l’expérimentation de 2011. Mais la ville a dû suspendre son dossier, les élections municipales l’ayant empêchée de réaliser l’audit demandé par l’ATH, comme l’explique Tiphaine Laridon, adjointe au maire chargée du tourisme et présidente de l’Office de Tourisme :

« En période de renouvellement des élus [l’équipe sortante a été réélue en mars 2014 NDLR], il était très difficile avant les élections d’engager une dépense nouvelle pour satisfaire les points qui n’allaient pas. Juste après les élections, le temps venait à manquer pour réaliser ce qui posait problème et lancer une procédure d’appel d’offre pour le cabinet d’audit. Nous pensons donc demander une prolongation de notre présélection, le temps de remplir les conditions qui ne l’étaient pas et ensuite demander l’audit. »

Cet audit d’au moins 4.000€ ne pouvait être confié qu’à certains organismes agréés, qui n’ont pas précédemment travaillé pour la ville; il aurait porté sur le territoire concerné sans aucune garantie de résultat.

Ce qui conduit Tiphaine Laridon a relever le poids excessif des exigences du label et de sa gestion : « Pour une petite collectivité comme la nôtre, les éléments non conformes semblant encore importants et compliqués à mettre en place notamment pour tout ce qui concerne les structures privées, nous nous interrogeons sur le fait d’aller jusqu’au bout du dossier. Nous continuerions alors nos adaptations à notre rythme, dans l’esprit du label, sans pour autant le demander, sa gestion nous semblant complexe au final. »

Autre candidat novice, le Pays Voironnais s’est engagé sur une thématique loisirs avec un enthousiasme rapidement douché par la très parisienne ATH… Alors que trois pôles territoriaux cohérents étaient présentés, deux pour les activités de loisirs (lac de Paladru et Voreppe) et le troisième (Voiron) pour les services à la personne, l’organisme parisien a demandé que l’un des deux pôles loisirs soit retiré du dossier, ce qui l’a rendu bancal.

« Le dossier Destination pour Tous doit être resserré, expliquait en avril dernier Elisabeth Four-Merlin, alors chargée du tourisme au Pays Voironnais. Il portait initialement sur trois pôles: le lac de Paladru, Voiron et Voreppe. Il resterait Paladru et Voiron, mais le dossier est en attente d’affectation d’élus communautaires et de leurs décisions. Paris a proposé de fournir une mission de reconfiguration, sans apporter d’autre précision. Le motif est que l’offre actuelle à Voreppe est insuffisante et que les services de santé et à la personne sont essentiellement situés à Voiron (ils ont été recensés), alors que la ville n’a rien à offrir en loisirs ou patrimoine adaptés. »

A ces exigences s’ajoutent des difficultés locales de labellisation Tourisme et Handicap. Par exemple, il a été demandé à la propriétaire d’une maison de ferme rénovée en gîte de scier le linteau en pierre de la porte d’entrée pour que des locataires handicapés mesurant plus de deux mètres puissent entrer la tête haute ! Une gérante de centre équestre s’est par ailleurs vue refuser une labellisation par Paris parce qu’elle n’a pas le « bon » diplôme reconnu par ATH… mais d’autres d’un niveau plus élevé !

« La commission du label Destination pour Tous [qui compte 23 membres NDLR] a estimé recevable deux des quatre dossiers, ceux de Bordeaux et Binic, qui devaient remettre le rapport d’audit fin mai, explique la présidente d’ATH, Annette Masson. On n’a pas demandé aux deux autres territoires d’effectuer cet audit, pour eux des points sont à corriger. Le dossier de l’Aude n’est pas conforme, c’est un catalogue de sites mais sans les tableaux du cahier des charges. » Selon Annette Masson, les bilans et retours d’expériences à géométrie variable de l’expérimentation de 2011 pour Bordeaux et l’Aude seraient de la responsabilité de la Déléguée Ministérielle à l’Accessibilité, Marie Prost-Coletta, qui s’était rendue en visite « officielle » dans la capitale aquitaine et sur le territoire du canal du Midi et de la Robine. De même, l’absence de visite des territoires candidats résulterait du contrôle des dépenses par la tutelle d’Etat : « On a des moyens pour gérer les dossiers pendant deux ans, ajoute Annette Masson, prendre des contacts et faire des visites si les ministères approuvent les frais de déplacement qui sont soumis à leur accord. » Les 50.000€ versés en 2012 par l’Etat pour lancer ce label seraient donc gérés avec parcimonie, alors qu’ATH n’emploie actuellement qu’une secrétaire administrative à temps plein, renforcée par une professionnelle retraitée qui travaille à temps partiel, alors que l’association reçoit près de 100.000€ de subventions ministérielles annuelles. La tutelle d’Etat a demandé un renforcement en personnel, notamment pour gérer Destination pour Tous, mais Annette Masson dément l’un des administrateurs d’ATH qui affirme qu’un chargé d’affaires vient d’être recruté : « Il est prévu d’embaucher à temps partiel, après le déménagement de nos bureaux à la fin de l’année, et en fonction de la montée en puissance des dossiers pour le label. »

La réponse est venue du terrain : à dix jours de sa clôture le 30 juin 2014, un seul nouveau dossier a été déposé dans le cadre du second appel à candidatures, Destination pour Tous n’est pas mobilisateur. Ce qu’a parfaitement perçu le ministère du Redressement productif, qui a décidé de ne pas lancer d’autre appel à candidatures, comme l’explique l’une de ses porte-parole : « Nous laissons aux professionnels comme aux collectivités le temps d’appréhender la nouvelle législation sur l’accessibilité, sachant que pour la plupart d’entre eux, la priorité des mois à venir sera la réalisation d’un Agenda d’Accessibilité Programmée. » Si ce n’est pas encore l’enterrement de Destination pour Tous, cela le préfigure. Finalement, le premier et peut-être unique label, ira au dossier le mieux ficelé, et pas nécessairement au territoire le plus adapté…

Laurent Lejard, juin 2014.

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