Question : Vous proposez un moratoire de cinq ans sur l’application des normes d’accessibilité dans les logements neufs, comment pensez-vous pouvoir régler le problème du délai d’attente des personnes handicapées en recherche de logement ?

Benoist Apparu : Ce sont deux sujets, me semble-t-il, qui ne sont pas tout à fait de même nature. Aujourd’hui, quand on regarde les chiffres de la construction de logements en France, elle est en chute libre. Pourquoi ? Parce que l’État n’a plus les moyens financiers, malgré les défiscalisations, d’investir massivement dans la politique du logement. Donc le secteur s’effondre, économiquement parlant, et n’a plus les moyens d’une « rentabilité traditionnelle ». Quand on regarde l’évolution des normes depuis une trentaine d’années, elles ont totalement explosé. Normes de tous types, d’ailleurs, normes accessibilité bien évidemment, mais également sismiques ou liées à l’urbanisme. Ces normes ont aujourd’hui un coût absolument prohibitif dans la construction de logements. Si je m’arrête deux secondes sur la norme accessibilité, celle-ci a deux effets : un léger surcoût de construction en tant que telle, et une augmentation de la taille des logements. Et cette augmentation fait qu’on produit moins de logements par mètre carré de foncier disponible. Cela génère un surcoût très important à l’achat et à la production des logements.

Question : Ce surcoût accessibilité est néanmoins estimé entre 3 et 4%, et non pas 10 à 15% comme vous l’avez déclaré…

Benoist Apparu : Il y a deux aspects distincts. D’abord, le surcoût en tant que tel, lié à la norme c’est-à-dire aux modalités de construction d’un logement, et là effectivement vous avez des augmentations qui vont de 1 à 4% en fonction des études qui ont été menées. Le deuxième aspect, c’est l’augmentation de la taille des logements liée à la norme en question. En une dizaine d’années, on est passé de logements neufs moyens construits de 88m² à 110m², essentiellement sous l’effet de cette norme. Et là, ce n’est pas un surcoût de construction en tant que tel, mais quand vous produisez des logements à 88m² ou à 110m², le prix à l’achat n’est pas du tout le même. Vous avez 20m² de plus en moyenne à acheter, et ce surcoût-là n’est pas calculé dans le coût de production du logement. Il n’en demeure pas moins qu’avoir augmenté de 20m² la taille moyenne des logements neufs entraine un surcoût très important à la vente.

Question : Pourtant, on assiste à un phénomène inverse dans le logement social, une baisse constante de la dimension des pièces et de la superficie des logements…

Benoist Apparu : Ce n’est pas la même chose. Une fois encore, ne confondons pas techniquement les choses. Vous avez une augmentation de la superficie moyenne des logements et une baisse de la taille moyenne des pièces. Pourquoi ? Parce que justement, pour faire un couloir de 1m de large et que la norme accessibilité exige 1,35m, évidemment ce couloir n’est pas une pièce à vivre. Ceux qui produisent des logements en limitant l’augmentation de leur superficie réduisent en conséquence la taille des pièces à vivre. Et vous avez une explosion de la taille des salles de bains, des toilettes bien évidemment, etc., mais pas des pièces à vivre. C’est là qu’aujourd’hui le système, du fait d’un certain nombre de normes, pas uniquement la norme accessibilité évidemment, nous pose un problème.

Question : Comment compensez-vous le fait de demander un moratoire de cinq ans de la norme accessibilité qui existe depuis près de 40 ans, avec le besoin de logement des personnes handicapées ?

Benoist Apparu : Là, on parle du logement neuf, pas du logement ancien. J’ai proposé une évolution sur le neuf, pas pour l’ancien. Je propose un moratoire sur l’ensemble des normes. Cela veut dire que l’ensemble des personnes, d’une façon ou d’une autre, bénéficient ou subissent ces normes en question. Effectivement, le moratoire est une mauvaise nouvelle pour elles, je suis tout à fait d’accord avec vous…

Question : Vous ne proposez aucune disposition spécifique sauf à se rabattre sur l’ancien ?

Benoist Apparu : Rien de spécifique, sauf à se rabattre sur l’ancien, sur le neuf existant. Il y a déjà des logements accessibles. Les personnes handicapées peuvent se rabattre sur le logement neuf existant, produit récemment sous l’effet des normes en question.

Question : La majorité UMP avait voté la loi du 11 février 2005, pourquoi dénoncez-vous aujourd’hui ce texte ?

Benoist Apparu :
 Je n’étais pas député à l’époque. Si je l’avais été, j’aurais très certainement voté cette loi, comme mon groupe. Mais vous savez, ce n’est pas parce que l’on a fait depuis 20 ans toute une série de choses qu’il ne faut pas, à un moment ou un autre, se poser des questions. Le problème, ce n’est pas la norme handicap ou accessibilité en tant que telle. Il faut arrêter de regarder les normes exclusivement en fonction du prisme qui vous intéresse. Parce qu’effectivement, si je propose quelque chose sur la sécurité incendie, ce sont les pompiers qui vont monter, pardonnez l’expression, au feu. Si je parle normes ascenseurs, ce sont les ascensoristes et les personnes âgées qui vont gueuler. Chacun défend sa norme à juste titre, de son point de vue la norme qui est appliquée est une bonne norme. Simplement, à force d’en avoir créé tous les jours de nouvelles, il ne faut pas s’étonner après qu’on ne construise pas les logements dont les Français ont besoin, qu’ils soient handicapés ou non. Si vous construisez 300.000 logements au lieu de 500.000, ce sont aussi les personnes handicapées qui vont attendre encore plus longtemps que sous l’effet de mon moratoire. Il y a un moment, si on veut pouvoir loger les Français, si on veut pouvoir loger les personnes en situation de handicap, où il faut produire plus de logements. Et pour le faire, me semble-t-il, l’une des solutions aujourd’hui c’est de délaisser un certain nombre de normes. Pas que la norme accessibilité, toutes les normes.

Question : Qu’est qui différencie vos cinq propositions du projet d’ordonnance gouvernementale en cours de concertation, qui prévoit la suspension de normes d’accessibilité, de sécurité, d’ascenseur, d’isolation phonique, de parking ?

Benoist Apparu : Le champ d’application des ordonnances de Madame Duflot [ministre du logement] est beaucoup plus réduit que celui que je propose. Il concerne deux sujets particuliers qui rendent quasi impossible l’application d’un certain nombre de normes. Pour la transformation d’un immeuble de bureaux en logements, si vous voulez que l’opération soit faisable sur le plan économique, il faut mettre entre parenthèses un certain nombre de normes. Sinon, l’opération n’est pas viable, et donc la transformation ne se fera pas. Le deuxième cas concerne la surélévation d’immeubles, ce qu’on appelle les « dents creuses », pour aligner un immeuble bas sur les autres. Là c’est la même chose : si sur de l’ancien à Paris vous appliquez la norme parking, l’opération est morte parce que vous ne pourrez pas creuser trois étages en dessous de l’immeuble existant. L’idée de Madame Duflot, que je soutiens parfaitement, et j’ai d’ailleurs voté le projet de loi d’habilitation des ordonnances, c’est de mettre entre parenthèses un certain nombre de normes dans le cas de transformation de bureaux en logements ou de surélévation d’immeubles. Moi, ce que je propose est d’aller plus loin. C’est de dire, face au besoin impérieux de construction de logements en France, et essentiellement en Ile-de-France, qu’il faut mettre entre parenthèses un certain nombre de normes, pendant cinq ans et pour tous types de logements, pas simplement pour la surélévation d’immeubles et la transformation de bureaux en logements. Je voudrais ajouter un point, si vous le permettez. Sur BFM TV, j’ai effectivement fait des déclarations qui ont soulevé j’imagine beaucoup d’émoi dans la communauté des personnes handicapées, à juste titre parce qu’elles ont eu le sentiment d’être stigmatisées. L’erreur que j’ai faite est de n’avoir cité que la norme handicap, alors qu’il y en a une multitude d’autres : norme parking, incendie, sismique, etc., qui posent problème. Et donc mon idée n’était absolument pas de stigmatiser les personnes en situation de handicap, mais de stigmatiser toutes les normes qui aujourd’hui nous posent beaucoup de problèmes pour construire des logements.


Propos recueillis par Laurent Lejard, août 2013.


Réaction : Norminator a tort !

Seule association nationale de personnes handicapées à suivre l’évolution du logement accessible ou adapté en France, l’Association Nationale Pour l’Intégration des personnes Handicapées Moteurs (Anpihm) dément les arguments de l’ancien ministre.

Difficile d’être plus clair : en 11 ans, le prix de vente au m² des appartements neufs a augmenté de plus de 120%, le cout de construction au m² de 47%, l’inflation de 25,1% et la surface moyenne des nouveaux appartements a baissé de 3%. Toute la théorie de Benoist Apparu selon laquelle l’accroissement de surface imposée par les normes de mise en accessibilité gonflerait proportionnellement le prix de vente de chaque appartement s’effondre puisque depuis 2000, et sans discontinuer après 2007, date d’application de la norme « accessibilité » 2005, la surface moyenne des appartements nouveaux périclite. A contrario, l’imposante augmentation du prix du m² livré est donc due aux autres éléments constitutifs du prix de vente, c’est à dire à l’accroissement du coût du foncier, des honoraires et des marges des promoteurs. A chacun d’apprécier qu’un ex-ministre du logement feigne ne pas le savoir…

Par ailleurs, selon la base de données Sit@del2 du ministère du Logement, la surface moyenne des 2.009.000 appartements conventionnels construits de janvier 2000 à juin 2013 ressort à 71,9 m², régressant de 73,1m² en 2000 à 69,7 m² en 2013, sans aucune inflexion de tendance depuis la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 et sans aucun rapport avec les allégations de Benoist Apparu sur une prétendue augmentation de 88 à 110 m² due à la norme « accessibilité » !

Contrairement aux affirmations du Conseil d’Analyse Stratégique dans sa note d’analyse d’octobre 2011, malheureusement reprises en dépit de leurs grossières inexactitudes dans le récent rapport Broussy « L’adaptation de la société au vieillissement de sa population », par exemple, l’accessibilité ne demande pas mécaniquement 6m² supplémentaires par logement comme le montre, ci-dessous, le plan de construction d’un appartement T2 émanant du constructeur Bouygues : des plus petits qu’il soit, puisque dépassant de 0,10m² la superficie minimale légale fixée à 28 m² pour ce type d’appartement, une judicieuse redistribution du volume intérieur par déplacement de 40cm d’une cloison assure le respect de la norme d’accessibilité de la salle de bains-wc dont la superficie passe de 3m² à 3,70m² sans modifier les circulations intérieures ni amputer la pièce à vivre d’une surface démesurée.

Benoist Apparu estime enfin qu’il existe déjà suffisamment de logements accessibles et que les personnes dites handicapées ou en perte d’autonomie peuvent s’en contenter. Il oublie que, de 2006 à 2010, plus de 74.200 logements HLM desservis par ascenseur ont disparu, certes dans le cadre d’opérations de rénovation urbaine plus que justifiées, mais en perte sèche de logements accessibles. Comme il oublie que, durant cette même période, la population d’octogénaires et de titulaires de l’AAH s’est accrue de 520.000 individus.

Alors qu’une prise en charge raisonnée de la dépendance, acquise ou en devenir, est largement plébiscitée, Benoist Apparu, sans jamais même évoquer la finalité de l’accessibilité, ne veut voir dans les normes qu’un frein à certains intérêts particuliers. Mais peut-on attendre plus de discernement d’un ex-ministre capable de reprocher aux pompiers de se soucier des normes de sécurité et aux personnes âgées de « gueuler » pour s’assurer de la pertinence des normes visant à garantir leur autonomie ?


Vincent Assante et Christian François, respectivement président et administrateur de l’Anpihm, septembre 2013.

Partagez !