L’ensemble des citoyens français est appelé, le 29 mai 2005, à se prononcer par référendum sur le projet de Constitution Européenne. Ce texte, s’il est approuvé par tous les pays membres de l’Union, s’imposera aux Etats. Mais que peuvent en attendre les personnes handicapées ? A cet égard, le texte est concis, il traite du handicap sous l’angle de la discrimination et des actions positives pour la combattre : « Est interdite toute discrimination fondée notamment sur […] la langue, […] un handicap » (in article II-81), « L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté » (in article II-86). Ces deux articles sont extraits de la Charte des droits fondamentaux qui constitue la deuxième partie de la Constitution Européenne; son inclusion ne figurait pas dans la version initiale, dite Convention V.G.E (du nom de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing qui en dirigea la rédaction).

Oui.
 Marie-Anne Montchamp, Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, affirme que l’inclusion de cette Charte dans la future Constitution Européenne permettra d’obtenir « des avancées sans précédent contre les discriminations et en faveur des personnes handicapées; elles pourront faire entendre leur voix et bénéficier de législations harmonisées ». La Ministre estime que le droit de pétition et d’initiative législative stimulera la démocratie et l’expression associative en Europe. « Une constitution qui reconnaît les handicapés [sic] comme une minorité ayant droit au respect, à l’égalité, est une nouveauté considérable qu’il ne faut pas rater », déclare pour sa part Elisabeth Auerbacher, Responsable Nationale au Handicap du Parti socialiste. Le Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes (C.F.H.E), qui regroupe plus d’une quarantaine d’associations françaises, en fait également une lecture positive dans une brochure récemment diffusée avec le soutien logistique de l’Association des Paralysés de France : « Ce livret doit pouvoir éclairer aussi la réflexion des responsables associatifs et politiques dans les grands débats qui engagent notre avenir », souligne son président, Christian Delorme, dans la préface de l’ouvrage. La brochure s’efforce de mettre en valeur l’action des institutions européennes en faveur des personnes handicapées, ainsi que du Parlement Européen et son intergroupe « handicap ». Le C.F.H.E agit en France comme un relais national du lobby qu’est le Forum Européen des Personnes Handicapées (F.E.P.H). Ce dernier, à la différence du C.F.H.E, milite clairement pour l’approbation de la Constitution Européenne; il relève la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union ainsi que l’élimination des barrières discriminatoires à l’encontre des personnes handicapées. Partisan déclaré du Oui, l’Association des accidentés de la vie (FNATH) estime pour sa part que le texte « donne une valeur juridique contraignante à l’ensemble de ces droits, notamment l’interdiction des discriminations, le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé, et à des conditions de travail justes et équitables ».

Indécis. Les dirigeants du Collectif des Démocrates Handicapés (C.D.H) se sont majoritairement prononcés pour le Oui, tout en laissant leur liberté de choix aux adhérents, soulignant « l’importance de ne pas casser la dynamique européenne » et ajoutant que « dans le texte constitutionnel, les personnes handicapées et les minorités sont mieux traitées que dans notre propre Constitution ». Les partisans du Non au sein du C.D.H « regrettent le manque d’ambition sociale » et « redoutent plus particulièrement le tout- économique de l’Europe ».

Non. Dans le camp des opposants, on trouve l’Association nationale de défense des Malades, Invalides et handicapés (AMI) qui juge que la Constitution « impose un modèle de Société et pose tous les éléments nécessaires pour empêcher, dans l’avenir, tout autre choix […] une société ultra- libérale, un marché où la concurrence est libre ». L’AMI déplore que les services publics deviennent des services d’intérêt économique général soumis aux règles de la concurrence, craignant une remise en cause du droit d’accès pour tous, et qualifie la Charte des Droits fondamentaux de « voeu pieux […] puisqu’elle ne fait aucune obligation aux Etats en matière de droit social et de droit du travail de s’aligner sur les droits les plus élevés existants, elle ne crée aucune compétence ni aucune nouvelle tâche pour l’Union, l’application des droits reconnus par la charte est renvoyée aux pratiques et législations nationales ». Vincent Assante prend quant à lui position dans le débat comme membre du Conseil National du Parti Socialiste: « Si l’on veut lutter efficacement contre le processus social et sociétal de création de situations de handicap, il serait préférable d’avoir un projet de Constitution équilibrée, garante des droits sociaux et fondamentaux, et non une camisole de force constitutionnelle et politique tout entière dévouée à l’objectif libéral et central, favoriser une concurrence libre et non faussée ». Vincent Assante insiste également sur la nécessité pour le citoyen « de ne pas se laisser abuser par l’ambiance politiquement correcte qui voudrait que le Oui soit naturel et le Non nécessairement contre l’Europe. Rien n’est plus faux ! ».

Le débat politique national a été éclairé par diverses péripéties. Courant mars 2005, le projet de Directive européenne sur les services, dite Directive Bolkestein (du nom d’un ancien membre de la Commission Européenne qui élabora ce texte dans la plus grande opacité). Finalement retardée à la demande de plusieurs Etats, la Directive aurait permis d’employer un travailleur selon les règles juridiques de son pays d’origine. En France, les partis politiques, le Président de la République et le Gouvernement se sont émus d’un fort risque de « dumping social ». Par exemple, un éducateur letton à statut de travailleur indépendant aurait pu oeuvrer dans un établissement français selon le droit du travail et les conditions salariales de Lettonie. Cette pratique est déjà répandue dans les entreprises du bâtiment en Grande- Bretagne, et même en France comme lors de la construction du paquebot Queen Mary, par l’importation de main d’oeuvre étrangère employée et rémunérée à des conditions proches de celles du pays d’origine. Le mois d’avril 2005 a ensuite été marqué par la demande de plusieurs pays, auprès de la Commission Européenne, de restreindre les importations de produits textiles en provenance de Chine : libéralisé depuis le début de l’année, le commerce de ces articles fabriqués à bas prix de revient par une main d’oeuvre peu payée et travaillant dans des conditions hors normes sociales européennes, a envahi les magasins au détriment des productions nationales. Plusieurs Etats, dont la France, ont demandé une mesure de sauvegarde afin de rendre les importations de produits textiles chinois moins compétitives. Or, le projet de Constitution Européenne institue que « L’Union offre à ses citoyens […] un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ».

Entre une reconnaissance des personnes handicapées soumise à une transposition en droit national laissée au bon vouloir des Etats membres et le risque de « dumping social » brandi telle une épée de Damoclès par ses opposants, la ratification française de la Constitution Européenne est devenue aléatoire, le choix des citoyens handicapés reposant davantage sur leurs convictions politiques que sur la qualité du projet Européen.

Laurent Lejard, mai 2005.

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